Dheepan
entremêle l'amour et la guerre dans tout ce qu'ils ont de violent,
de charnel et de psychologique dans une même danse du souvenir et du
rêve d'apaisement.
Combattant des Tigres Tamoul, Dheepan
fuit la guerre au Sri Lanka avec une femme et une fille qu'il ne
connaît pas, afin de pouvoir obtenir un asile politique. Ces trois
inconnus atterrissent dans une banlieue française. Là, Dheepan
obtient un travail de gardien d'immeuble. Mais il découvre bien vite
que le trafic de drogue et la violence qu'elle engendre rend son
quartier dangereux, et il va alors devoir protéger celles qu'il rêve
de voir un jour devenir sa femme et sa fille, sa nouvelle famille...
Les guerres qui rapprochent
Le festival de Cannes a pris
l'habitude ces dernières années de consacrer les couples. Ceux dont
la femme est en fin de vie (Amour, Michael Haneke, 2012). Les
homosexuels (La vie d'Adèle, Abdellatif Kechiche, 2013). Et
ceux qui se déchirent (Winter Sleep, Nuri Bilge Ceylan,
2014). Dheepan ne déroge pas à cette mode. Ici, il est
question de la constitution d'une famille à partir de trois entités
distinctes qui vivent ensemble pour la même raison : fuir la guerre.
Mais leurs buts sont différents. Si le héros ne rêve juste que de
stabilité et de calme, sa « femme », elle, ne veut pas rester et
rejoindre une parente qui vit en Angleterre. Mais cette cohabitation
forcée qui va durer plus longtemps que prévu va changer la donne et
apprendre à ces trois solitudes à former un seul et même foyer. Et
ce sont les guerres qui vont les rapprocher. Les conflits qui vont
transformer les hasards de la vie en une réimplantation dans un lieu
où ils évoluaient en déracinés.
Ce conflit, le personnage principal du
film, Dheepan, y a participé. Il est en effet un soldat ayant
combattu dans l'armée des Tigres Tamoul au Sri Lanka. Mais la guerre
civile prend fin, et la défaite est proche. De plus, toute sa
famille a été décimée dans ce conflit. Sa seule solution pour
protéger sa vie est de quitter son pays. Pour faciliter sa fuite, il
embarque avec lui une femme, Yalini, et une fille, Illayaal, seules
elles aussi, afin de se faire passer pour une famille et faciliter la
demande d'asile. Débarqués en France, ils sont installés en
banlieue, dans un quartier peu sûr. Là, Dheepan y trouve un travail
de gardien d'immeuble. Mais les souvenirs du passé ne sont jamais
loin, et les problèmes liés au trafic de drogue font ici figure de
piqûre de rappel. Mais un autre conflit, plus privé celui-là, va
bientôt émerger avec Yalini et Illayaal, car il va vite
s'apercevoir qu'il est difficile de nouer des liens avec des inconnus
ayant vécu les mêmes blessures.
Western urbain
Jacques Audiard mêle ici un conflit
externe, la guerre au Sri Lanka, avec un conflit interne, celui de la
famille. Et des sentiments. Marqué par son histoire, Dheepan va
devoir s'adoucir et faire preuve de qualités humaines pour dialoguer
et gérer deux nouvelles personnes dans son foyer, alors qu'il a déjà
perdu une première famille sous les armes. Or, l'humain n'est pas ce
qui est demandé dans les combats, mais l'animalité qui se tapit en
chacun de nous. Ainsi, Dheepan est l'histoire de la transformation
d'un animal en homme. Même si les violences liées au trafic de
drogue vont sans cesse ramener Dheepan à ses instincts primaires de
mort. La guerre demande des leaders. Avec Yalini et Illayaal, Dheepan
va devoir trouver un équilibre et accepter de ne pas tout contrôler,
de faire confiance. Ainsi, il endosse dans ce film le costume du
héros solitaire, du shérif protecteur de la veuve et de l'orphelin
dans un western urbain.
Dheepan
s'inscrit en effet à mi-chemin entre les films de cow-boys et
d'indiens et le polar noir. Mais avec des personnages à la Audiard.
Amputé, comme Marion Cotillard dans De rouille et d'os,
sauf qu'ici Dheepan l'est de ses racines, de sa famille, de sa
première vie. Son amputation est donc plus métaphorique que
physique. Enfermé dans un lieu violent, comme l'était Tahar Rahim
en prison dans Un
prophète.
Ici, la prison est représenté par la banlieue, son immeuble
d'habitation. Mais là où Malik El Djebena devait sauver sa peau,
Dheepan doit sauver celle des autres puisqu'en fuyant la guerre il
l'avait déjà fait pour lui. Pour autant, il ne peut échapper au
sang. La guerre, son histoire l'a imposée à lui, et durablement. Il
est un solitaire, mais qui rend la justice pour les autres. Il
protège – au sens premier – la veuve et l'orphelin. Et si, ici,
la langue pose des barrières, Dheepan
montre que la colère et la vengeance sont des valeurs universelles.
Dheepan
est de ces personnages forts qui marqueront la galaxie d'Audiard,
brisé par la vie mais qui doit rester debout, malgré tout. Un
altruiste prêt à retrouver ses instincts primaires pour protéger
les siens. C'est un peu dommage que l'arrière-plan soit dessiné
plus grossièrement, avec sa banlieue pleine de méchants et un amour
que l'on devine rapidement triomphant. Mais le choc visuel compense
aisément ces faiblesses, affirmant si besoin en était encore que le
réalisateur de Sur
mes lèvres
est l'un des meilleurs cinéastes actuels.