Entre franches tranches
de rigolade et réels moments d'émotions, un premier film oeudipien
et enchanteur du comédien Guillaume Gallienne.
Guillaume est le dernier
né d'une famille de trois garçons. Il évoque ses souvenirs. Le
premier d'entre eux remonte à l'âge de quatre ou cinq ans, lorsque,
un beau jour, sa mère appelle toute sa petite tribu pour dîner en
criant « les garçons et Guillaume, à table ! ». Début d'une vie
atypique, de la recherche de l'amour de sa mère, quitte à jouer les
filles qu'elle n'a jamais eu, jusqu'à son coming-out hétéro, en
passant par son éducation, la recherche de lui-même et la
dissipation de quelques malentendus.
Quasi-jumeau
Le comédien Guillaume
Gallienne se met en scène. Pour son premier one-man show, il décide
de devenir sa propre matière, son propre sujet. Du théâtre, il
transpose sur pellicule son spectacle pour donner un film fin, drôle
et spirituel. Mais même s'il parle de lui, il ne fait preuve d'aucun
narcissisme en évoquant une sorte de double, de personnage
sensiblement proche de lui mais en même temps un « je » ayant son
existence propre. Tout cela sans donner la moindre seconde
l'impression d'une quelconque schizophrénie. Au contraire, il évoque
ce Guillaume avec beaucoup de pudeur, un « quasi-jumeau » naïf,
benêt, timide, mais dont la façon de se moquer de lui-même force
l'admiration. Le recul des années autant que l'autodérision lui
permet en effet de reparler de ses problèmes avec légèreté, se
moquant de soi tout en mettant les rieurs de son côté. Ses
confidences sont tout sauf ennuyeuses et trouvent un écho bien
au-delà de son propre nombril.
Soit donc l'histoire de
ce Guillaume, cinq ans au début du film. Un beau soir, lui et ses
frères sont appelés par sa mère pour le dîner : « Les garçons
et Guillaume, à table ! » Le ton est donné. Lui qui grandit dans
les pas de Sissi, rêvant d'enfiler ses belles robes, ne veut qu'une
seule chose : plaire à sa mère en devenant la fille qu'elle n'a
jamais eu. Il extériorise alors sa féminité, se distinguant de la
masse des garçons qui entourent sa génitrice. Défile alors sur
l'écran les différentes étapes de sa vie,
son séjour en Angleterre, le
service militaire, ses séances de psychothérapie, sa
balnéothérapie, autant de scènes donnant lieu à des sketchs où
le comique de situation le dispute à l'absurde. Sans oublier la
recherche de soi, de sa sexualité. Tout un cheminement qui mène à
la quête de sa personnalité, de sa liberté, de son affirmation. Et
son détachement de la figure maternelle, qu'il connaît très bien,
jusqu'au point de l'interpréter.
Émancipation
nécessaire
«
Dans le film, je ne serai que
Guillaume... et Maman. Normal, j'ai répété le personnage pendant
quinze ans... et le peaufine encore à quarante ans ».
C'est par cette déclaration que Guillaume Gallienne justifie le fait
d'interpréter lui-même son modèle. Ce qui aurait pu apparaître
comme une fausse-bonne idée se révèle au contraire être un choix
très judicieux. Dans ce film, il est donc homme et femme. L'homme
EST femme. Son personnage de Guillaume ne se comprend qu'en miroir de
celui de sa mère. Une mère omniprésente et qui surgit dans tous
les instants de sa vie, dans tous ses choix. Elle se matérialise dès
qu'il pense à elle, tel un fantôme envahissant dont il ne se dépare
jamais vraiment de son ombre. Mais s'il se laisse dévorer, c'est
bien parce que ce repas est consentant. Jusqu'à la volonté de
quitter la table pour se composer ses propres recettes. Une
émancipation nécessaire afin de se réapproprier son propre sexe.
Car
la question du masculin et du féminin est aussi l'un des sujets du
film. Au-delà de la question de l'homosexualité ou de
l'hétérosexualité, il interroge plus largement la masculinité et
la féminité. La part de féminin chez l'homme, et celle de la
masculinité chez la femme. N'est-ce qu'une histoire d'apparence ou
de caractère ? Et quelle place pour la séduction ? Garçon ou
fille, doit-on à tout prix chercher à plaire à sa mère (ou son
père) ? Ce film qui au départ ressemble à une séance de
psychanalyse en public glisse donc habilement vers une représentation
du corps, dans toute ses dimensions (physiques mais aussi
psychiques). Et démontre que les frontières ne sont pas si claires
pour tout le monde, et qu'il ne suffit pas de naître dans un corps
de garçon ou de fille pour en adopter systématiquement les codes
communément admis par la société dans laquelle nous vivons. Un bel
essai de compréhension de l'autre.
Avec
son premier film, Guillaume Gallienne rend un hommage amoureux et
sincère à sa mère autant qu'au burlesque et réussit son examen
d'entrée cinématographique. Le comédien désexualise l'être
humain et, au travers de son expérience personnelle, démontre
brillamment et avec force éclats de rires que l'on devient homme ou
femme, car rien n'est acquis à la naissance. Question de conscience
de soi. Un sujet profond traité sous l'angle de la légèreté, car
on ne peut faire réfléchir les gens sans les avoir diverti.