mercredi 23 juillet 2014

Les garçons et Guillaume, à table ! : La vie de Guillaume


Entre franches tranches de rigolade et réels moments d'émotions, un premier film oeudipien et enchanteur du comédien Guillaume Gallienne.
 



Guillaume est le dernier né d'une famille de trois garçons. Il évoque ses souvenirs. Le premier d'entre eux remonte à l'âge de quatre ou cinq ans, lorsque, un beau jour, sa mère appelle toute sa petite tribu pour dîner en criant « les garçons et Guillaume, à table ! ». Début d'une vie atypique, de la recherche de l'amour de sa mère, quitte à jouer les filles qu'elle n'a jamais eu, jusqu'à son coming-out hétéro, en passant par son éducation, la recherche de lui-même et la dissipation de quelques malentendus.

Quasi-jumeau

Le comédien Guillaume Gallienne se met en scène. Pour son premier one-man show, il décide de devenir sa propre matière, son propre sujet. Du théâtre, il transpose sur pellicule son spectacle pour donner un film fin, drôle et spirituel. Mais même s'il parle de lui, il ne fait preuve d'aucun narcissisme en évoquant une sorte de double, de personnage sensiblement proche de lui mais en même temps un « je » ayant son existence propre. Tout cela sans donner la moindre seconde l'impression d'une quelconque schizophrénie. Au contraire, il évoque ce Guillaume avec beaucoup de pudeur, un « quasi-jumeau » naïf, benêt, timide, mais dont la façon de se moquer de lui-même force l'admiration. Le recul des années autant que l'autodérision lui permet en effet de reparler de ses problèmes avec légèreté, se moquant de soi tout en mettant les rieurs de son côté. Ses confidences sont tout sauf ennuyeuses et trouvent un écho bien au-delà de son propre nombril.

Soit donc l'histoire de ce Guillaume, cinq ans au début du film. Un beau soir, lui et ses frères sont appelés par sa mère pour le dîner : « Les garçons et Guillaume, à table ! » Le ton est donné. Lui qui grandit dans les pas de Sissi, rêvant d'enfiler ses belles robes, ne veut qu'une seule chose : plaire à sa mère en devenant la fille qu'elle n'a jamais eu. Il extériorise alors sa féminité, se distinguant de la masse des garçons qui entourent sa génitrice. Défile alors sur l'écran les différentes étapes de sa vie, son séjour en Angleterre, le service militaire, ses séances de psychothérapie, sa balnéothérapie, autant de scènes donnant lieu à des sketchs où le comique de situation le dispute à l'absurde. Sans oublier la recherche de soi, de sa sexualité. Tout un cheminement qui mène à la quête de sa personnalité, de sa liberté, de son affirmation. Et son détachement de la figure maternelle, qu'il connaît très bien, jusqu'au point de l'interpréter.

Émancipation nécessaire

« Dans le film, je ne serai que Guillaume... et Maman. Normal, j'ai répété le personnage pendant quinze ans... et le peaufine encore à quarante ans ». C'est par cette déclaration que Guillaume Gallienne justifie le fait d'interpréter lui-même son modèle. Ce qui aurait pu apparaître comme une fausse-bonne idée se révèle au contraire être un choix très judicieux. Dans ce film, il est donc homme et femme. L'homme EST femme. Son personnage de Guillaume ne se comprend qu'en miroir de celui de sa mère. Une mère omniprésente et qui surgit dans tous les instants de sa vie, dans tous ses choix. Elle se matérialise dès qu'il pense à elle, tel un fantôme envahissant dont il ne se dépare jamais vraiment de son ombre. Mais s'il se laisse dévorer, c'est bien parce que ce repas est consentant. Jusqu'à la volonté de quitter la table pour se composer ses propres recettes. Une émancipation nécessaire afin de se réapproprier son propre sexe.

Car la question du masculin et du féminin est aussi l'un des sujets du film. Au-delà de la question de l'homosexualité ou de l'hétérosexualité, il interroge plus largement la masculinité et la féminité. La part de féminin chez l'homme, et celle de la masculinité chez la femme. N'est-ce qu'une histoire d'apparence ou de caractère ? Et quelle place pour la séduction ? Garçon ou fille, doit-on à tout prix chercher à plaire à sa mère (ou son père) ? Ce film qui au départ ressemble à une séance de psychanalyse en public glisse donc habilement vers une représentation du corps, dans toute ses dimensions (physiques mais aussi psychiques). Et démontre que les frontières ne sont pas si claires pour tout le monde, et qu'il ne suffit pas de naître dans un corps de garçon ou de fille pour en adopter systématiquement les codes communément admis par la société dans laquelle nous vivons. Un bel essai de compréhension de l'autre.

Avec son premier film, Guillaume Gallienne rend un hommage amoureux et sincère à sa mère autant qu'au burlesque et réussit son examen d'entrée cinématographique. Le comédien désexualise l'être humain et, au travers de son expérience personnelle, démontre brillamment et avec force éclats de rires que l'on devient homme ou femme, car rien n'est acquis à la naissance. Question de conscience de soi. Un sujet profond traité sous l'angle de la légèreté, car on ne peut faire réfléchir les gens sans les avoir diverti.