mardi 28 avril 2015

Sur un air de Samba


Le trio Toledano – Nakache – Sy est de retour trois ans après Intouchables avec un film moins drôle mais plus réussi, une fable faite de petites touches d'humanisme et de poésie.




Samba Cissé est sénégalais. Travaillant en France depuis 10 ans, il n'a pas de papiers, et se bat au quotidien pour s'en sortir. Sous le coup d'un mandat d'expulsion, en attente dans un centre de rétention à Roissy, il est soutenu par une association d'aide aux sans-papiers. Et notamment par Alice, une ancienne cadre supérieure victime de burn-out qui apporte une aide juridique à l'association. Alors que l'un comme l'autre ont des difficultés à avancer, Alice et Samba vont s'entraider et se rapprocher...

Cendrillon et prince charmant

Trois années ont passé depuis les dix-neuf millions d'entrées enregistrés par Intouchables. Et après ? Après, on prend le même acteur fétiche – pour une cinquième collaboration déjà – et on recommence. Recommencer ? Pas vraiment. Si certains éléments n'ont pas vraiment changé, comme par exemple le couple improbable qui n'était pas à la base censé se rencontrer mais la vie étant faite d'imprévus et de surprises eh ben ils se rencontrent quand même, d'autres ont évolué. Si l'humour reste le leitmotiv du duo Nakache – Toledano, ici il se teinte d'une dose de gravité. Savamment dosé, point trop n'en faut apesantir, leur propos restant dans le cadre de la comédie. Mais le rire ici est utilisé pour véhiculer un message positif avec une pointe de conte de fée, mais un conte de fée renversé, Omar Sy jouant les cendrillons et Charlotte Gainsbourg les princes charmants sous lexomil prié de se retaper pour ne pas laisser son promis s'en aller.

Un prince charmant nommé ici Alice, mais son ancien pays n'était pas vraiment celui des merveilles. Une Alice cadre sup' à la Défense, mais ça c'était avant. Un burn-out et une dépression plus tard, elle et ses plus fidèles compagnons, à savoir ses médocs, se retrouvent à bosser pour une association d'aide aux immigrés sans papiers. Ca tombe bien, Cendrillon, qui prend ici les traits d'un sénégalais nommé Samba cissé (Samba, comme la danse), en a justement besoin, d'aide. Immigré en France depuis dix ans, il travaille dans la restauration. Mais illégalement. Il est en effet sans papiers (sa chaussure de vair en quelque sorte). En centre de rétention à Roissy, en attente de son expulsion, on le laissera complaisamment s'en aller. Mais contraint de continuer à vivre caché. Heureusement, il peut compter sur ses alliés. Son oncle, Alice, ou encore Wilson, sa fée marraine, un compagnon de galère qui l'aidera et ne le laissera pas isolé.

Mauvais sort

C'est donc la France des invisibles qui est ici montré face caméra. Comme une interdiction de détourner le regard sur leur réalité. Une vie de galère 24/24, avec de temps en temps des tranches de vie positive, sympathique, souriante, comme pour mieux souligner l'espoir, mieux appuyer sur le fait que le malheur se digère mieux lorsque l'on sait laisser entrer le bonheur par la porte, aussi petite soit-elle. Tout le contraire d'Alice, qui malgré une belle vie va quand même sombrer dans le burn-out. Ou comment, sans crier gare, les bonnes choses peuvent virer au drame. Deux personnages, l'un qui coule et l'autre qui tente coûte que coûte de rester à la surface, qui ne pouvaient que s'échanger l'air mutuel qu'ils respirent, et donc se croiser, s'entraider. Voire plus si affinités. Car tout cela reste du domaine du léger, avec happy end à la clé. Le mauvais sort ne pouvant ici qu'être conjuré par une bonne tranche de rire. Pour que l'amour triomphe enfin.

Et si l'humour reste très présent, il se fait ici plus grave. Au ton léger et bon enfant d'Intouchable, succède une œuvre où premier et second degré se côtoient, et dont les principaux protagonistes ne sont pas forcément les mieux servis. Ce qui frappe, c'est effectivement des premiers rôles qui se font parfois voler la vedette par des seconds rôles. C'est ainsi que Wilson – Tahar Rahim et Manue – Izia Higelin se retrouvent avec des personnages dont la côte de sympathie est proportionnelle à la dose d'humour qui y est injectée. Une forte dose. Injectée en intraveineuse, elle arrache des sourires à n'en plus finir. Des personnages – principaux comme secondaires – qui nous font toucher du doigt une problématique moderne et universelle mais avec les loupes déformantes des quiproquos et situations humoristiques qui rendent ce film à la fois divertissant et concernant. Un équilibre trouvé et un pari difficile à priori mais relevé.


A partir d'un ouvrage de Delphine Coulin, « Samba pour la France », Eric Toledano et Olivier Nakache en tirent une mise en image drôle et touchante à la fois, un feel good movie à la française. Malgré un duo d'acteurs Omar Sy – Charlotte Gainsbourg qui ne fonctionne pas toujours à 100%, les seconds rôles se révèlent excellents et attachants, et le sujet des sans papiers n'est pas qu'une tapisserie mais bien un sujet tenu tout le long du film, sans lourdeur ni frivolité. Un très bon divertissement.






vendredi 17 avril 2015

Mommy embaume les cœurs


Concentré d'émotions, de toutes les émotions, dans le cinquième film du prodige québécois Xavier Dolan.





Le film se déroule en 2015. Année où une loi permet aux parents d'enfants difficiles de confier ceux-ci à une institution d'Etat comme un hôpital psychiatrique pour mineur. C'est dans ce contexte que Diane, veuve quadragénaire vivant à Montréal, doit s'occuper de son fils Steve, diagnostiqué comme hyperactif, alors que le centre de rééducation dans lequel il a été placé à la mort de son père l'a viré à cause de son comportement. Ensemble, ils vont devoir s'apprivoiser et trouver un équilibre, coûte que coûte...

Caractère impulsif

Le film débute par une date. 2015. Or, le film a été réalisé en 2014. Il s'agit donc d'une œuvre futuriste, mais un futur immédiat. Celui de demain. De dans quelques heures, à supposer que nous n'y soyons pas déjà. Au Québec, une loi autorise les parents à confier leurs enfants difficiles à une institution d'Etat. Donc si un parent se sent dépassé par sa progéniture, elle peut s'en remettre à son pays pour s'en occuper à sa place. Diane, elle, n'en est pas encore là. Cette jeune veuve d'une quarantaine d'année, et qui peine à joindre les deux bouts – elle se fait virer du journal dans lequel elle s'occupait du courrier du cœur – vient tout juste de récupérer son ado, Steve. Reconnu comme hyperactif, le centre de rééducation dans lequel il était placé vient de le mettre à la porte à cause de son comportement violent. C'est donc elle qui va devoir le prendre en charge. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la cohabitation s'avère au début difficile.

Tout d'abord débordée par son imprévisibilité, elle va finir par trouver une alliée en la personne de Kyla, leur nouvelle voisine, mariée, enseignante et bègue, et actuellement en congé maladie. Et elles ne seront pas trop de deux pour essayer de calmer ce caractère impulsif qui a besoin d'attention à chaque instant. Des liens vont se nouer entre ce trio, dans lequel Steve représente l'épicentre. En effet, à son contact, autant Diane que Kyla vont évoluer, changer, car elles ont besoin de montrer à l'adolescent que l'on ne doit pas baisser les bras et qu'il faut avancer en gardant l'esprit positif, même si rien n'est vraiment rose. La générosité sera leur leitmotiv. Or, Steve en a à revendre. Il ressent tout de manière très accentuée, de façon très brute. Il est entier, et va s'attacher autant à l'une qu'à l'autre. Mais il reste un ado, avec ses maladresses et sa spontanéité qui lui font prendre toute sa place, jusqu'à déborder comme le lait sur le feu.

Gueules cassées

Et ce trop-plein donne lieu à des scènes tout à la fois gênantes (les propos racistes envers le chauffeur de taxi), drôles (la danse sur une chanson de Céline Dion) ou décalées (le karaoké sur « Vivo per lei » dans un bar alors que Steve est insulté par des loubards), mais dans lesquelles l'émotion est présente en chaque lieu, chaque plan. Des plans en 1:1, rectangulaire, afin de mieux guider le regard du spectateur. Il est obligé de supporter ce qu'il voit. Voir que Steve (Antoine-Olivier Pylon) prend toute la place. Sur l'écran comme dans la vie de Diane (Anne Dorval) et Kyla (Suzanne Clément). Trois personnages qui se nourrissent et s'entraident, même maladroitement, et malgré les barrières qui se dressent devant eux en permanence. Ce sont ces tranches de vie que filme Xavier Dolan avec beaucoup de talent et d'audaces. Il fait avancer sans cesse ses personnages, en dépit du précipice qui menace ce fragile équilibre.

Ces « gueules cassées » de la société, ces gens mis en marge, essayent effectivement de survivre et d'exister. Ils refusent l'inéluctable. En témoigne ici la figure maternelle. Une « mère courage » mise en valeur et célébrée lorsque l'occasion se présente (cf le karaoké), hommage à toutes les femmes qui se battent pour s'en sortir dans leur vie multiple, mère et travailleuse. Diane est à la recherche d'un nouvel emploi suite à un licenciement, donc à la recherche d'un nouveau statut social. Elle doit, comme Steve, se montrer indépendante, capable de se débrouiller seule tout en assurant pour deux les fonctions parentales. Mais cela n'est pas simple, notamment pour nouer ou renouer des liens avec un enfant qu'elle a laissé dans un institut spécialisé, et donc dont elle n'a pas eu à s'occuper au quotidien. C'est aussi pour elle l'apprentissage du rôle de mère d'adolescente. On les voit évoluer sur un fil. Devant nous. Comme nous.



Film pop gorgé d'émotions et d'heureuses surprises, Mommy est un film qui va à cent mille à l'heure, dans le sillage d'un héros hyperactif. Un film spontané et en même temps maîtrisé de bout en bout, qui bouscule et ne tombe jamais dans la mièvrerie. Un grand film d'amour filial porté par un cinéaste surdoué de seulement 25 ans, et qui réalise ici déjà sa cinquième œuvre de fiction. Une ode à la liberté, qui propose et qui ose, sans aucune naïveté ni sans tempérer l'enthousiasme. Un film qui donne un franc sourire.