dimanche 24 novembre 2013

Jeune et Jolie:On n'est pas sérieux quand on a 17 ans


François Ozon filme de nouveau l'adolescence, ses affres, ses doutes, ses mystères. Avec la révélation Marine Vacth.




Nous sommes l'été. Isabelle fête ses 17 ans en vacance avec sa famille. Elle perd sa virginité dans les bras de Félix, un allemand rencontré sur les lieux, qu'elle quitte peu de temps après. De retour à Paris, elle se met à fréquenter un homme âgé qui lui a donné son numéro de téléphone à la sortie du lycée. Mais elle décide de se faire payer pour lui faire l'amour. Elle entre alors dans la spirale de la prostitution, multipliant les clients sans aucune motivation ou raison claire...

Beauté froide et diaphane

Isabelle n'est plus une jeune fille, mais pas encore une femme. Elle entre dans cette période de la fin d'adolescence où grandir devient une nécessité, plus qu'un choix. La période est aux doutes, aux découvertes, à la prise de conscience de soi et des autres. D'une beauté froide et diaphane, elle séduit des gens de son âge comme des personnes plus âgées. Elle joue de cette séduction en développant son côté sexuel. Elle offre son corps contre de l'argent. Mais elle le fait ni contrainte, ni forcée. Sa mère et son beau-père gagnent bien leur vie et son père lui donne même de l'argent pour noël et son anniversaire. En se faisant passer pour une étudiante, pour plus vieille qu'en réalité, elle joue une sorte de rôle, et la demande d'argent fait donc partie de ce rôle. Mais elle le garde et ne le dépense pas. On ne sait jamais réellement pourquoi elle fait ces choix-là. Et encore moins son entourage, qui ne sera au courant que dans la seconde partie du film.

Pourtant, Isabelle semble une fille ouverte, épanouie, qui s'entend avec sa famille et communique bien avec eux. Elle va même jusqu'à raconter sa première fois à son frère cadet, dont elle est proche. Mais pour autant, elle ne dit rien à personne de sa double vie. Seule la mort de George, l'un de ses clients, va permettre de tout dévoiler à ses parents. Si son beau-père prend cela avec détachement, sa mère (Géraldine Pailhas) en revanche baigne dans l'incompréhension la plus totale. Elle cherche des explications, mais n'en a pas. Les rendez-vous chez un psychologue n'y changeront rien. En quelques minutes, elle bascule de la bienveillance, de la confiance, aux interrogations. Elle découvre que sa fille n'est finalement qu'une inconnue. Elle veut exercer son rôle de mère et l'aider, mais en même temps il y a une sorte de peur, de répulsion liée à cet inconnu qui se développe. Ni complices ni opposées, leurs rapports sont remis en cause.

Le goût du risque

Des rapports qui illustrent bien l'ambiguïté qui règne tout au long de ce film. Isabelle semble être une fille épanouie, ouverte, mais ne raconte à personne ses activités de prostituée, et ne dira jamais pourquoi elle fait cela. Elle mentira même à ses amies. Dès lors, les regards sur elle changent, et ses moindres paroles ou gestes sont interprétés. Isabelle va d'ailleurs à plusieurs reprises jouer de cela. Un drôle de jeu de pouvoir qui va s'instaurer entre elle et son entourage. Mais elle est malgré tout parfois rattrapée par l'adolescence. Elle navigue entre deux âges, faisant l'adulte qu'elle n'est pas encore, montrant encore ses fragilités, ses failles, sa naïveté et ses peurs. Ceci est encore plus vrai lors de sa rencontre avec la femme de George (Charlotte Rampling), où la fille un peu perdue et honteuse prend le pas sur la femme. Un costume encore trop large à porter pour une Isabelle qui toutefois semblera toujours assumer les conséquences d'actes qu'elle sait irraisonnable.

C'est ce goût du risque qu'a filmé François Ozon. Un regard sur la jeunesse subjectif mais non dénué de vérités, mais qui sont à lire dans les absences d'explications des gestes d'Isabelle. Ces ellipses de la pensée permettent d'émettre des hypothèses, sans toutefois pouvoir les vérifier par la suite. Des hypothèses multiples qui permettent diverses interprétations, plusieurs lectures à des degrés divers. Ainsi, avec un effacement volontaire d'explications, il permet à son personnage principal de mieux s'exprimer et d'évoluer dans des terrains assez larges et en même temps assez balisés. Un flou savamment et intelligemment entretenu tout au long de ces quatre saisons rythmées par des chansons de Françoise Hardy qui soulignent en décalage les sentiments et les ressentis d'Isabelle, permettant de mettre une certaine distance en même temps que participant à l'élaboration des hypothèses de cet intéressant film à tiroirs.



François Ozon aime filmer la jeunesse, et la jeunesse le lui rend bien. Jeune et Jolie est en effet une réussite. Moins un film de prostitution que de passage d'un état à un autre par le biais du sexe, il offre à Marine Vacth un rôle de femme provocante mais non choquante que l'on peut ou pas juger ou comprendre. Finalement, un beau film d'amour autant que d'émancipation, où les sentiments s'expriment en creux. Une histoire personnelle sans morale qui recèle paradoxalement beaucoup de pudeur.  



dimanche 10 novembre 2013

Jimmy P. : Les âmes blessées

Tirée d'une histoire vraie, la rencontre improbable entre deux êtres que tout oppose. Un magnifique écrin pour deux excellents comédiens.




Nous sommes après la Seconde Guerre mondiale, aux États-Unis. Jimmy Picard est un indien Blackfoot qui a combattu en France. Souffrant de maux de têtes, de vertiges ou encore de perte d'audition, il se fait soigner dans un hôpital militaire du Kansas. Après une première analyse, on lui diagnostique une schizophrénie. Toutefois, les médecins acceptent un second point de vue, et pour cela font appel à George Devereux, un psychanalyste et ethnologue français, spécialiste des cultures amérindiennes...

Voyage intérieur
Jimmy Picard n'est pas un patient comme les autres. Issu de la tribu des Pieds-Noirs, ce nord-amérindien souffre de syndromes post-traumatiques, séquelles de la Seconde Guerre mondiale. Soigné dans un hôpital pour vétérans dans le Kansas, il est dans un premier temps diagnostiqué comme schizophrène, et il doit donc être interné. Pourtant, il n'est pas à sa place parmi les autres patients. C'est pourquoi il accepte une thérapie individuelle avec un psychanalyste français, qui va peu à peu l'entraîner vers un voyage intérieur, à la recherche de ses origines et de son passé qui ressurgira pour mieux l'en libérer. Des actions immobiles, où tout passe par la parole. Tout se passe dans la tête. Au travers de dessins et de souvenirs, il s'acheminera petit à petit vers la guérison. Il se réconciliera avec lui-même grâce à la confiance qu'il accordera à George Devereux, qui apparaîtra vite comme une porte de sortie.

George Devereux joue en effet l'homme providentiel pour Jimmy P. Impressionné lors de leur première rencontre, le français va rapidement gagner sa confiance lorsqu'il mettra en avant sa culture amérindienne – il a vécu chez les indiens Mohaves -, montrant qu'il est du côté de son patient et non pas qu'il veut le juger sans le connaître. Devereux se retrouve en Jimmy P., car comme lui il est un déraciné, puisqu'il est en effet né en Europe de l'est, dans l'Empire austro-hongrois. Du fait qu'il est son seul patient, cela lui permet de développer un lien fort afin de mieux le soigner et mieux comprendre ce qui le rattache à ses origines et ce qui le rattache à sa famille, mettant en lumière l'imbrication, mais aussi la distinction de l'un par rapport à l'autre dans son mal. A côté de cela, Devereux est filmé presque de façon documentaire dans ses aspects plus privés, plus sensibles, brisant ainsi l'armure du médecin pour exposer l'âme de l'homme.

Une subtile et harmonieuse partition
Ces deux hommes vont se rapprocher, jusqu'à nouer une improbable amitié. D'autant que Jimmy Picard reste un patient, donc à l'écart des discussions médicales et thérapeutiques. Il ne sait donc pas ce que l'on dit de lui. Involontairement, son statut d'étranger lui est constamment rappelé. C'est pourquoi Devereux et lui vont devoir «s'apprivoiser». Instinctivement, Jimmy décide de lui faire confiance une fois les premières preuves apportées (sa connaissance de la culture et du langage amérindien). Au-delà du rapport médecin – patient, l'histoire tourne alors au film sur l'amitié entre hommes. Plus le scénario avance, moins il y a de barrières entre les deux personnages. Ils sont peu à peu traités sur un même pied d'égalité. Traité du point de vue de Jimmy P. au début, un équilibre s'effectue peu à peu au fur et à mesure de l'évolution des relations entre les deux héros. Une subtile et harmonieuse partition qui aboutira à la guérison.

A ce titre, les deux acteurs principaux, Benicio Del Toro et Mathieu Amalric ont su s'approprier les rôles et interpréter des personnages à fleur de peau où l'action est intériorisé et passe par la parole. Des dialogues constructifs qui peu à peu reconstituent le puzzle de la vie de Jimmy P. Presque une prouesse, tant les aspects scientifiques et psychologiques peinent un peu plus à convaincre et à captiver sur la longueur. Des aspects parfois un peu techniques qui heureusement n'empiètent pas sur les rapports humains qui emportent l'adhésion. Les scènes les plus belles étant celles où la caméra se rapproche au plus près de ses personnages, sublimant les côtés les plus intimes de leur relation. La simplification de la réalisation sied bien pour capter l'évolution de leurs rapports, les tensions comme les francs moments de complicité. Un conte américain au final assez réussi de la part d'Arnaud Desplechin.



John Ford et François Truffaut sont ici convoqués dans cette adaptation-pari d'un livre de psychanalyse de George Devereux. Dans Jimmy P., le réalisateur d' «Ester Kahn» et «Rois et Reines» montre deux âmes à nues qui se reconstruisent à leur façon. Dans le cœur de ces deux hommes transitent des émotions brutes et fragiles que parviendront à canaliser l'entraide mutuelle. Une histoire vraie portée par deux acteurs non moins vrais dans leur jeu et qui participent pour beaucoup à la réussite de ce film.