mercredi 10 décembre 2014

La légende de Jimmy

Dans son dernier (ultime ?) film, Ken Loach retrace le destin de Jimmy Gralton, activiste républicain irlandais des années 1920 – 1930. Manichéen mais frappant d'actualité.






1932. Après avoir fui l'Irlande ces dix dernières années, Jimmy Gralton, un activiste républicain, quitte les États-Unis pour revenir dans le petit comté de Leitrim. Là, il doit aider sa mère à diriger la ferme familiale. Sous la pression de la population, il se décide à rouvrir le « Hall », lieu d'apprentissage de la poésie, du chant, de la danse, mais aussi lieu de réflexion. Cela n'est absolument pas du goût du curé, le père Sheridan, qui y voit un lieu de perversion communiste qui risque de lui faire perdre de son influence...

Personnage persécuté

Huit années se sont écoulées depuis la dernière visite en Irlande de Ken Loach, et sa Palme d'or pour Le vent se lève. Ici, il adapte la pièce de théâtre de Donal O'Kelly « Jimmy Gralton's Dancehall », racontant l'histoire d'un activiste irlandais ayant pris la nationalité américaine, et de retour dans son pays pour s'occuper de la ferme familiale, dans le petit comté de Leitrim, après une fuite de dix années. Malgré sa volonté de jouer de discrétion, il finira par se laisser convaincre par la population de rouvrir le « Hall », lieu de culture, d'apprentissage et de découverte au cœur d'une région où le chômage et la pauvreté règnent. Mais, dans les années 1930, la religion et les traditions conservent une forte influence. De peur de perdre cette emprise, le curé, le père Sheridan, entre provocation et dénonciation, finira par réussir à faire expulser Jimmy Gralton en 1933, seul homme déporté de son pays sans jugement. Il n'y reviendra plus jamais.

Jimmy Gralton (Barry Ward) est un personnage éminemment sympathique aux yeux du réalisateur britannique. En effet, c'est un personnage persécuté par l'immobilisme de son temps et ses représentants, politiques comme religieux, qui voient en la figure de Jimmy un dangereux communiste qui pervertit la jeunesse et la détourne de la religion. La guerre d'Indépendance, terminée depuis une dizaine d'années, est encore dans toutes les têtes et continue d'alimenter les crispations. Mais l'élection d'un gouvernement républicain représente un souffle d'espoir. Dans ce contexte, le retour du « fils prodigue » représente une formidable opportunité de soutient de la part d'un activiste influent et progressiste, défenseur du peuple et formidable tribun prêt à tout pour rallier le monde à ses convictions. Un porte-parole que l'on finira par vouloir faire taire, preuve d'un pays pas encore totalement débarrassé de ses récents démons.

Esprit de fronde

Une histoire qui offre une résonance encore aujourd'hui. Au travers du personnage du père Sheridan, Ken Loach interroge sur le poids de la religion encore aujourd'hui, ses résurgences et ses conséquences. A cela il oppose la fonction divertissante et d'apprentissage de la culture, celle qui élève, son rôle populaire et qui invite à penser, à réfléchir face à ceux qui imposent un discours rigide et de masse, qui ont réponse à tout. Il met en avant le besoin de la jeunesse de sortir de son ennui et de son isolement, éprise de liberté, mettant en lumière face à cela les vieux religieux qui ne veulent surtout pas voir leur échapper leur emprise et leurs privilèges et souhaitent surtout que rien ne change. Ainsi, d'un conflit local, le britannique le transforme en message universel s'adressant au monde, qui invite à se libérer du poids du passé et à regarder en confiance vers l'avenir, louant au passage l'esprit de fronde.

Ce qui s'avère être une formidable histoire de solidarités et d'humanités se trouve également être un film manichéen. En érigeant une statue de héros à Jimmy Gralton, il rabaisse aussi le clergé avec un peu trop de simplicité. Il exprime son point de vue, politique notamment, ne laissant ainsi pas indifférent, mais ce parti pris d'un seul camp n'oppose au noir que le blanc, laissant la complexité des situations et des personnages de côté. Mais Ken Loach assume. Son Jimmy Gralton représente en effet une nouvelle pierre dans sa galaxie cohérente, faite d'hommes et de femmes opprimés en constante lutte contre les ayatollahs de tout bord. Des hommes et des femmes qui, ici, entourent un « sauveur », qui représente quelqu'un pour eux, un modèle à suivre. Ils le défendront jusqu'à la fin, à l'instar de sa mère qui retardera volontairement les gendarmes pour que son fils puisse organiser sa fuite. En vain.




Personnage charismatique, Jimmy Gralton a droit à un portrait hagiographique de la part d'un Ken Loach qui tire ici sa révérence avec un film de belle facture. Mais il insiste ici sur le côté film choral, pour montrer que la solidarité toujours triomphe, et notamment la force de la jeunesse auquel il croit. Critiquant entre les lignes le retour au communautarisme dont nos sociétés sont les victimes, il livre une brillante ode à la transgression, montrant que c'est par la culture et le collectif que les gens sortiront par le haut. Un film plein d'espoir en la génération qui vient.