vendredi 16 octobre 2015

A Woman's World


Dans La belle saison, Catherine Corsini filme une époque pas si lointaine, celle des débuts du féminisme, où les libertés se heurtent encore aux carcans moraux.






Delphine est fille de paysans. Fille unique. Et elle est destinée à reprendre à terme la ferme familiale. Mais elle s'ennuie dans sa campagne. Au début des années 1970, Paris représente la liberté. Ainsi pourra-t-elle peut-être cacher à ses parents son secret en allant faire ses études dans la capitale : elle est homosexuelle. Là-bas, elle croise la route de Carole, professeure d'espagnol hétérosexuelle qui vit pleinement les débuts du féminisme. Les deux femmes vont tomber sous le charme l'une de l'autre...

Confrontation entre deux mondes

Le féminisme et, de manière plus générale, l'évolution de la condition de la femme et des mentalités liées à leur émancipation vu par le prisme de l'histoire. Tel est le parti pris de Catherine Corsini. C'est pourquoi elle nous propose un retour en arrière, dans les années 1970. Une époque suffisamment éloignée pour l'avoir digérée, mais suffisamment proche pour nous montrer d'où l'on part et ce qui reste encore à accomplir. Un coup d'oeil dans le rétro en forme de confrontation entre deux mondes, l'un urbain, moderne et remuant, l'autre rural, traditionaliste et ayant échappé aux tempêtes post-soixante-huitardes qui ont déferlé sur la France. Une ville aux habitants pétris de culture et désireux de vivre à fond les changements qui s'annoncent encore adossés aux mouvements ayant eu lieu deux ans plus tôt, et une campagne travailleuse, proche de la terre et où le patriarcat reste très ancré dans les mentalités.

Soit l'histoire de la rencontre, dans les rues de Paris, entre Delphine (Izïa Higelin) et Carole (Cécile de France). Delphine est fille unique d'un couple de paysans. Elle manie aisément la fourche et le tracteur, mais elle se sent seule et s'ennuie. Le bel Antoine lui tourne bien autour, et ses parents les verraient bien se marier. Mais Delphine a un secret : elle préfère les femmes. Craignant la réaction de ses parents, elle parvient à les convaincre de faire des études dans la capitale. Là-bas, elle croise la route de Carole, professeure d'espagnol et ardente défenseure de la cause des femmes. Si elle choisit de la suivre dans ses combats, c'est autant pour ceux à mener que pour se rapprocher d'elle. Sauf que Carole est hétérosexuelle et en couple. Pourtant, elles vont finir par vivre leur histoire d'amour, dans une époque où les homosexuels peuvent encore finir en internement psychiatrique à cause de leur orientation.

Faux allures de documentaire d'époque

Ce film joue donc des oppositions. Entre l'homosexuelle assumée mais qui est contrainte de se cacher et l'hétérosexuelle qui va remettre sa vie sentimentale en cause et va vouloir vivre sa nouvelle sexualité au grand jour. Mais lorsque, suite à l'AVC de son père, Delphine va devoir revenir gérer la ferme familiale, Carole, ne supportant pas la séparation, va la rejoindre. Là, elle va découvrir un monde bien loin de son idéal féministe progressiste, dans un coin où le couple homme-femme reste la norme, avec l'homme qui reste le chef de famille et le décideur prépondérant, les femmes n'étant que de simples suiveuses, des exécutantes. C'est un domaine encore très masculin, où les femmes n'ont pas – ou si peu – leur mot à dire. Malgré ses efforts d'adaptation, Carole va se sentir engoncée dans ce monde qu'elle ne comprend pas et dans lequel elle ne se sent pas à sa place. Elle va s'ennuyer car elle a le sentiment de perdre sa chère liberté.

La réalisatrice Catherine Corsini filme l'effervescence des années post- mai 68 en France, entre une capitale progressiste et des femmes en lutte pour plus de droits et de revendications féministes et égalitaristes, et une province encore loin de tout cela, statique et attachée à ses traditions. Le statu - quo est donc encore de mise, même si le mouvement existe et sa flamme entretenue. A l'intérieur de cela, elle introduit une provinciale homosexuelle, donc apte à bousculer les codes dans des lieux où la différence est encore source de rejet, et une parisienne hétérosexuelle qui se révèle à elle-même au contact d'une autre femme, se confrontant par ailleurs à ses propres principes. La belle saison est un film aux faux allures de documentaire d'époque mais de réel engagement, sincère, et qui montre que le chemin qu'il reste à accomplir pour accepter l'autre, notamment dans les mentalités, est encore long, encore aujourd'hui.



Malgré un petit côté « téléfilm » parfois, La belle saison est un film fort à l'histoire d'amour émouvante, avec notamment une Cécile de France confondante de naturel. Catherine Corsini situe son film dans une époque dont la plupart des spectateurs peuvent avoir des souvenirs, donc s'adresse à eux et les interroge sur leur propre vision du changement, faisant en creux le bilan de 40 ans de combat féministe. Sans angélisme ni manichéisme, la réalisatrice a fait un film personnel mais qui touche tout le monde.