dimanche 23 février 2014

Inside Llewyn Davis : Like a Rolling Stone


Plongée dans le monde de la folk à travers les tribulations d'un raté : un film joyeusement mélancolique et à l'atmosphère des sixties bien rendue.

 
 


Nous sommes à New York, en 1961. Llewyn Davis (Oscar Isaac) est chanteur folk. Il se produit dans des bars de Greenwich Village avant d'aller s'installer pour la nuit chez des amis. Il se bat pour sa survie au quotidien alors que dehors l'Amérique grelotte sous la neige. Face aux nombreux obstacles qui se dressent sur sa route, sa seule chance de percer et de vivre de sa musique est de réussir son audition face à Bud Grossman, un des hommes les plus influents du monde de la musique...

Amérique des déclassés

Llewyn Davis est un chanteur folk. Bourré de talent et d'une honnêteté sans faille, il se laisse facilement manipuler par les autres, opportunistes comme patrons influents. Après avoir chanté dans des bars, il tente de survivre en installant sa frêle carcasse à droite à gauche chez des amis ou des inconnus. Il a une sœur qui le déteste, et il aime Mary (Carey Mulligan) dont les sentiments ne sont pas réciproques. Sauf qu'elle tombe enceinte de lui par erreur et lui en veut énormément. Leurs relations sont d'autant plus compliquées qu'elle est en couple avec Jim Burkey (Justin Timberlake), chanteur que Llewyn n'apprécie pas. Jadis ayant connu son heure de gloire en duo, mais dont son partenaire est décédé, son premier album solo n'a que peu trouvé preneur. Il multiplie les mauvais choix et les gaffes et se retrouve tout au long du film avec un chat sur les bras. Llewyn Davis est un antihéros qui n'a rien pour lui, mais auquel on s'attache.

Inside Llewyn Davis est en effet une comédie noire, amère, sur l'Amérique des déclassés, toutefois on ne rit pas au détriment du personnage mais avec lui. Ce pauvre personnage mène sa vie au jour le jour en espérant que le prochain sera meilleur que celui de la veille et compte autant sur la chance que sur son talent pour vivre de sa musique. Même si c'est le chaos dans sa vie personnelle, il garde un certain détachement et fait front face à ses mésaventures avec légèreté, voire avec optimisme. Mais il n'est ni naïf ni dupe. Il croit en sa bonne étoile tous les jours et ira jusqu'à Chicago, plein d'espoir, pour rencontrer Bud Grossman, l'une des personnes les plus influentes du monde de la musique qui peut-être lui fera signer LE contrat qu'il attend dans une grande maison de disques. Mais là encore, il va vite comprendre qu'il n'est pas vraiment attendu. Une succession de déveines dans une Amérique folk des sixties en plein bouillonnement.

Amour de la musique

Greenwich Village est à cette époque l'épicentre de la nouvelle scène folk, qui verra naître Bob Dylan dès le début des années 60. Le personnage de Llewyn Davis, qui comme Dylan porte un nom à consonance irlandaise, s'inspire d'ailleurs de Dave Van Ronk, chanteur New – Yorkais. A l'instar de Van Ronk, Davis mène une vie entre passion de la musique et travail dans la marine marchande. Un emploi alimentaire alors que la musique folk était encore considéré comme une musique d'initiés et n'avait pas la dimension commerciale d'aujourd'hui. Toutefois, c'est une période où elle cherchait sa direction, alors que les chanteurs vivant du folk étaient encore rares. Cette musique créée par les ouvriers était considérée comme une musique d'ambiance dans les bars. Inside Llewyn Davis est un hommage rendu à ces musiciens qui avaient l'amour de la musique et qui écrivaient sans qu'ils en aient conscience une page de l'histoire de leur art.

13 ans après O Brothers, avec George Clooney, les frères Coen se replongent – admirablement - dans le milieu de la musique avec Inside Llewyn Davis. Avec un Oscar Isaac formidable en looser magnifique dont la vie n'est que ratages sur ratages, mais qui ne perdra jamais espoir et qui nous est rendu finalement sympathique car proche de nous dans ses malheurs. Sans compassion ni antipathie, ils ont trouvé la bonne distance pour conter les mésaventures de leur héros malgré lui. Un chanteur qui se fait tabasser dans la rue à la sortie d'un bar par un inconnu ou qui est obligé de se trimballer avec le chat roux d'un couple qui l'hébergeait et qui s'est échappé alors que la porte claquait derrière lui. Un vagabond qui se laisse porter au gré d'un vent qui ne le poussera jamais jusqu'au succès recherché. Une vie d'artiste qu'il recherche et subit à la fois, sous la caméra des réalisateurs de Barton Fink, qui s'amusent de leur personnage sans jamais le juger.



En ramassant sur une semaine tous les ennuis possibles et en les envoyant à la face d'un chanteur folk qui n'en demandait pas tant, les frères Coen signent une comédie sociale sur une Amérique des années 50-60 qui fait à certains égards écho à l'époque moderne, avec un regard distancié mais qui n'en pas moins mordant pour autant. Avec pour bande-son une musique teintée à la fois de réalisme et de mélancolie. Un film dépressif mais non dépréciatif, et dont l'espoir n'est paradoxalement pas absent. Comme un petit bijou noir posé sur un écrin lumineux.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

samedi 8 février 2014

La Vénus à la fourrure : Deux auteurs en quête de personnages

Deux acteurs dans un lieu unique : Polanski fait dans le minimalisme pour un film d'une force et d'une sensualité incroyable.






Thomas (Mathieu Amalric) est metteur en scène. A la recherche d'une comédienne pour sa nouvelle pièce de théâtre, les auditions ne sont pas concluantes. C'est au moment où il s'apprête à rentrer chez lui que débarque Vanda (Emmanuelle Seigner). Vulgaire, écervelée, le courant ne passe pas entre eux au début. Mais lorsqu'il lui laisse sa chance, elle se métamorphose et l'envoûte. De plus en plus obsédé par Vanda, Thomas va alors peu à peu rentrer dans son jeu et se laisser posséder par son actrice.

Inversion des rôles

Vanda est comédienne. Elle arrive très en retard aux auditions pour la nouvelle pièce de Thomas, une adaptation de La Vénus à la fourrure de l'autrichien Leopold Von Sacher-Masoch. Sa tenue pas très distinguée ainsi que son parler populaire ne la font pas passer inaperçue. Cette tornade semble loin du personnage que Thomas a en tête. Seul leur prénom identique rapproche l'interprète et le rôle. Pleine d'assurance, d'arrogance, et prête à tout pour réussir à convaincre le metteur en scène, elle a apporté avec elle ses propres propositions de costume, et a appris le texte par cœur. Elle peut ainsi aisément se mouvoir du réel au virtuel, du casting à la scène, d'un dialogue à un autre, d'un personnage à un autre en moins d'une seconde, comme une formule magique qui abolit les frontières, déchire le rideau séparant les deux univers. Ses rapports avec Thomas évoluent au fil de la répétition, jusqu'à inverser les rôles.

Thomas, lui, est un metteur en scène exigeant qui n'a trouvé en aucune des comédiennes auditionnées le personnage qu'il cherchait. L'arrivée de Vanda va provoquer chez lui au début un sentiment de rejet. Son premier jugement sur elle est plutôt négatif, mais son regard et sa position dominatrice va progressivement évoluer au fil du casting. D'extravertie, Vanda va passer grâce au texte et à ses costumes à la femme fatale sensuelle à laquelle il ne peut résister. Il va peu à peu transformer son scepticisme en fascination, voire en envoûtement. Il se laisse malgré lui charmer. De dominant, il devient dominé ; de possesseur, il se laisse peu à peu dépossédé. L'exemple du texte est à ce titre le plus frappant : il est surpris que Vanda ait la pièce qu'il n'avait pas rendu public, et lorsque elle commence à le réciter par cœur, ce sont des mots dont il est privé. Il y a progressivement une inversion des positions.

Le sexe, enjeu de domination

Au début du film, Vanda a besoin de Thomas. Il est le metteur en scène, il a donc le pouvoir du choix. C'est à elle de montrer en quoi elle pourrait être le personnage de la pièce. Elle est donc dépendante de lui. Mais au fur et à mesure des lignes mouvantes, élastiques, des frontières de plus en plus flou dans leur rapport de comédienne à auteur de théâtre, elle prend l'ascendant. Plus elle se transforme en son personnage (une transformation qui, via les costumes, se fait aux yeux de tous), plus elle en acquiert les codes et les armes, notamment celui du corps. Elle use de son (ses) charme(s) de manière de plus en plus explicite pour subtiliser le pouvoir à Thomas. Elle détourne les codes du sadomasochisme et du fétichisme à son profit. Le sexe devient alors un enjeu majeur de domination, à l'égal des mots. Et Roman Polanski est là pour compter les points de cette « guerre » que se livrent les deux protagonistes.
Le réalisateur de Rosemary's Baby adapte une nouvelle fois une pièce de théâtre. Après Carnage, d'après Yasmina Reza, c'est au tour de l'auteur américain David Ives de voir sa Venus in Fur portée à l'écran. En resserrant au maximum l'intrigue (deux personnages dans un théâtre), Polanski s'intéresse directement au cœur de l'histoire et à la relation entre Vanda et Thomas. Il filme les corps, les regards, la tension au plus près de ses acteurs. Mention spéciale à Emmanuelle Seigner, qui passe en une seconde de la Vamp délurée à la femme fatale avec une déconcertante facilité, et qui parvient à nous fasciner autant qu'elle fascine Thomas. En vérité, il n'y a pas deux mais bien trois personnages qui s'expriment et évoluent tout au long de ce film. Quant à Thomas, on peut à travers lui, de certaines réflexions, de certaines situations, y voir l'ombre portée d'un Roman Polanski qui se serait immiscé dans ce film en forme de mise en abyme.


« Small is beautiful », tel pourrait être le slogan du nouveau film de Roman Polanski. Deux comédiens se livrent une bataille pour conquérir la scène, et le gagnant n'est pas forcément celui que l'on croit. Avec en outre des pistes brouillés car comédienne et metteur en scène se fondent dans la pièce telle que la distinction entre réel et fiction est abolie. Et si avec sa Vénus le réalisateur du Pianiste n'avait pas cherché à s'interroger sur ce qu'est le cinéma et sur la place de l'acteur?