mercredi 2 septembre 2015

Mystique vallée


Guillaume Nicloux envoie Gérard Depardieu et Isabelle Huppert dans la Vallée de la Mort, à la recherche des fantômes du passé. 






Gérard et Isabelle sont comédiens. Ils se sont jadis aimés, ont eu un fils, Michael, devenu photographe, et se sont séparés. Un jour, Michael se suicide. Mais avant de s'en aller, il a laissé une lettre à ses parents, leur demandant d'aller dans la vallée de la mort, en Californie, et d'y suivre ses instructions, ajoutant qu'il réapparaîtra. Si Isabelle veut y croire, Gérard se montre plus sceptique. Alors qu'ils ne se sont pas revus depuis plusieurs années, ils vont entamer ensemble ce drôle de chemin...

Jeu des sept ressemblances

Trente-cinq ans se sont écoulés depuis « Loulou » de Maurice Pialat. Trois décennies et demi que Gérard Depardieu et Isabelle Huppert n'avaient plus tourné ensemble. Le réalisateur Guillaume Nicloux joue de cette temporalité pour de nouveau réunir ce duo d'acteur qu'il transforme pour son film en couple de cinéma. D'ailleurs, dans le scénario, les deux « tourtereaux » ne sont-ils pas sensé ne s'être pas revu depuis des années ? Ce n'est d'ailleurs pas la seule malice de la part du metteur en scène, qui s'amuse à affubler les personnages du long métrage du même nom que ses acteurs. Ainsi, Gérard Depardieu se nomme « Gérard » et Isabelle Huppert « Isabelle ». Comme pour mieux brouiller les cartes entre réalité et fiction. Il pousse même la ressemblance jusqu'à leur donner le métier de comédien. Et Gérard – les deux, celui de la fiction et l'acteur – est né à Châteauroux. Ces règles posés, le mélange entre réalité et fiction peut s'opérer.

Une fois le jeu des sept ressemblances passé, on peut véritablement rentrer dans le vif du sujet. Or donc, voici l'histoire de deux acteurs français, Isabelle et Gérard, et de Michael, le fruit de leur amour. Déclinaison du « Père, du Fils et du Saint Esprit » en « le père, la mère et l'esprit ». L'esprit, celui du fils, mort suicidé. Mais qui, avant de s'en aller, a laissé une lettre à ses parents séparés, et qui ne se sont plus revus depuis plusieurs années, leur demandant de suivre ses dernières volontés, celles de respecter un parcours indiqué par lui-même dans la Vallée de la Mort, en Californie. Voilà nos deux protagonistes réunis malgré eux dans un road-trip sous l'étouffante chaleur américaine, avec la promesse du défunt de réapparaître si les instructions sont suivis selon ses vœux. Isabelle y croit, Gérard moins. L'espoir fou et le scepticisme main dans la main, en balade dans un huis-clos qui ne dépareille pas avec la température extérieure.

Saint Thomas

Dans ce film, tout est dans le non-dit, le non-montré. Malgré la disparition brutale et inattendue du seul lien tangible qui les reliait, l'amitié s'est reconstruite sur les lambeaux de leur ancien amour, et pas uniquement eu égard au respect qu'ils ont eu pour leur fils. Ils peuvent mutuellement se rejeter l'échec ressenti après le décès de leur fils, ils savent qu'ils en possèdent chacun leur part. Face à l'épreuve, ils se soutiennent réciproquement, chacun à sa manière. Si Isabelle semble plus fragile, l'imposante carcasse de Gérard n'en est pas moins fracassée. D'autant que ce voyage imposé dans la Vallée de la Mort les contraint à se souvenir de leur fils, personnage absent paradoxalement le plus présent du film, sans que l'on ne voit une seule fois son visage, même en photo. Gérard est partagé. Il ne veut pas croire en la réapparition de son fils, mais il semble dans sa tête peu à peu évoluer, sur l'air du « et si... ? ». Il joue les Saint Thomas dans cette histoire.

Le réalisateur du Poulpe nous montre ici une quête mystique impossible, entre deux personnages qui vivent le deuil, la blessure, l'oubli chacun à leur manière et qui tentent de tourner la page avec plus ou moins de difficultés. Cette lettre est un moyen de solder la mémoire de ce fils disparu et de passer à autre chose, alors que les événements fantastiques se multiplient autour d'eux, jusqu'à la fin du séjour. Ils en sortiront marqué, et leur corps n'en sortira pas totalement indemne. Le tout sous un soleil de plomb propice aux hallucinations. Isabelle est constamment en alerte tandis que Gérard joue au faux détaché, qui refuse de jouer le jeu tout en le jouant. Par-delà la mort, Michael va ainsi réunir ses parents le temps d'une semaine. Celui de la réconciliation, des explications, dans un contexte où l'inexplicable règne en maître. Les derniers feux d'une famille disloquée qui tente de panser ensemble les plaies béantes de l'absence.



Au travers de cette histoire d'absence, c'est notre relation à notre présence au monde qui est ici interrogé. Au vide, au plein. Peut-on survivre à la mort, nous les vivants ? Comment nous touche-t-elle, et pour quelles conséquences ? La réalité se confronte ici au fantasme. Celui de deux acteurs célèbres, à la vie apparemment rêvée, prisonniers ici de leurs erreurs et qui vont devoir les assumer malgré eux. Des vies qui s'entremêlent, deux scénarios, celui du réel et du cinéma, pour une mise en abyme onirique et brute malgré son ton parfois un peu trop traînant.