Guillaume Nicloux envoie
Gérard Depardieu et Isabelle Huppert dans la Vallée de la Mort, à
la recherche des fantômes du passé.
Gérard et Isabelle sont
comédiens. Ils se sont jadis aimés, ont eu un fils, Michael, devenu
photographe, et se sont séparés. Un jour, Michael se suicide. Mais
avant de s'en aller, il a laissé une lettre à ses parents, leur
demandant d'aller dans la vallée de la mort, en Californie, et d'y
suivre ses instructions, ajoutant qu'il réapparaîtra. Si Isabelle
veut y croire, Gérard se montre plus sceptique. Alors qu'ils ne se
sont pas revus depuis plusieurs années, ils vont entamer ensemble ce
drôle de chemin...
Jeu des sept
ressemblances
Trente-cinq ans se sont
écoulés depuis « Loulou » de Maurice Pialat. Trois décennies et
demi que Gérard Depardieu et Isabelle Huppert n'avaient plus tourné
ensemble. Le réalisateur Guillaume Nicloux joue de cette temporalité
pour de nouveau réunir ce duo d'acteur qu'il transforme pour son
film en couple de cinéma. D'ailleurs, dans le scénario, les deux «
tourtereaux » ne sont-ils pas sensé ne s'être pas revu depuis des
années ? Ce n'est d'ailleurs pas la seule malice de la part du
metteur en scène, qui s'amuse à affubler les personnages du long
métrage du même nom que ses acteurs. Ainsi, Gérard Depardieu se
nomme « Gérard » et Isabelle Huppert « Isabelle ». Comme pour
mieux brouiller les cartes entre réalité et fiction. Il pousse même
la ressemblance jusqu'à leur donner le métier de comédien. Et
Gérard – les deux, celui de la fiction et l'acteur – est né à
Châteauroux. Ces règles posés, le mélange entre réalité et
fiction peut s'opérer.
Une fois le jeu des sept
ressemblances passé, on peut véritablement rentrer dans le vif du
sujet. Or donc, voici l'histoire de deux acteurs français, Isabelle
et Gérard, et de Michael, le fruit de leur amour. Déclinaison du «
Père, du Fils et du Saint Esprit » en « le père, la mère et
l'esprit ». L'esprit, celui du fils, mort suicidé. Mais qui, avant
de s'en aller, a laissé une lettre à ses parents séparés, et qui
ne se sont plus revus depuis plusieurs années, leur demandant de
suivre ses dernières volontés, celles de respecter un parcours
indiqué par lui-même dans la Vallée de la Mort, en Californie.
Voilà nos deux protagonistes réunis malgré eux dans un road-trip
sous l'étouffante chaleur américaine, avec la promesse du défunt
de réapparaître si les instructions sont suivis selon ses vœux.
Isabelle y croit, Gérard moins. L'espoir fou et le scepticisme main
dans la main, en balade dans un huis-clos qui ne dépareille pas avec
la température extérieure.
Saint Thomas
Dans ce film, tout est
dans le non-dit, le non-montré. Malgré la disparition brutale et
inattendue du seul lien tangible qui les reliait, l'amitié s'est
reconstruite sur les lambeaux de leur ancien amour, et pas uniquement
eu égard au respect qu'ils ont eu pour leur fils. Ils peuvent
mutuellement se rejeter l'échec ressenti après le décès de leur
fils, ils savent qu'ils en possèdent chacun leur part. Face à
l'épreuve, ils se soutiennent réciproquement, chacun à sa manière.
Si Isabelle semble plus fragile, l'imposante carcasse de Gérard n'en
est pas moins fracassée. D'autant que ce voyage imposé dans la
Vallée de la Mort les contraint à se souvenir de leur fils,
personnage absent paradoxalement le plus présent du film, sans que
l'on ne voit une seule fois son visage, même en photo. Gérard est
partagé. Il ne veut pas croire en la réapparition de son fils, mais
il semble dans sa tête peu à peu évoluer, sur l'air du « et si...
? ». Il joue les Saint Thomas dans cette histoire.
Le réalisateur du Poulpe
nous montre ici une quête mystique impossible, entre deux
personnages qui vivent le deuil, la blessure, l'oubli chacun à leur
manière et qui tentent de tourner la page avec plus ou moins de
difficultés. Cette lettre est un moyen de solder la mémoire de ce
fils disparu et de passer à autre chose, alors que les événements
fantastiques se multiplient autour d'eux, jusqu'à la fin du séjour.
Ils en sortiront marqué, et leur corps n'en sortira pas totalement
indemne. Le tout sous un soleil de plomb propice aux hallucinations.
Isabelle est constamment en alerte tandis que Gérard joue au faux
détaché, qui refuse de jouer le jeu tout en le jouant. Par-delà la
mort, Michael va ainsi réunir ses parents le temps d'une semaine.
Celui de la réconciliation, des explications, dans un contexte où
l'inexplicable règne en maître. Les derniers feux d'une famille
disloquée qui tente de panser ensemble les plaies béantes de
l'absence.
Au travers de cette
histoire d'absence, c'est notre relation à notre présence au monde
qui est ici interrogé. Au vide, au plein. Peut-on survivre à la
mort, nous les vivants ? Comment nous touche-t-elle, et pour quelles
conséquences ? La réalité se confronte ici au fantasme. Celui de
deux acteurs célèbres, à la vie apparemment rêvée, prisonniers
ici de leurs erreurs et qui vont devoir les assumer malgré eux. Des
vies qui s'entremêlent, deux scénarios, celui du réel et du
cinéma, pour une mise en abyme onirique et brute malgré son ton
parfois un peu trop traînant.