mardi 17 novembre 2015

Love in the cité



Dheepan entremêle l'amour et la guerre dans tout ce qu'ils ont de violent, de charnel et de psychologique dans une même danse du souvenir et du rêve d'apaisement.







Combattant des Tigres Tamoul, Dheepan fuit la guerre au Sri Lanka avec une femme et une fille qu'il ne connaît pas, afin de pouvoir obtenir un asile politique. Ces trois inconnus atterrissent dans une banlieue française. Là, Dheepan obtient un travail de gardien d'immeuble. Mais il découvre bien vite que le trafic de drogue et la violence qu'elle engendre rend son quartier dangereux, et il va alors devoir protéger celles qu'il rêve de voir un jour devenir sa femme et sa fille, sa nouvelle famille...

Les guerres qui rapprochent

Le festival de Cannes a pris l'habitude ces dernières années de consacrer les couples. Ceux dont la femme est en fin de vie (Amour, Michael Haneke, 2012). Les homosexuels (La vie d'Adèle, Abdellatif Kechiche, 2013). Et ceux qui se déchirent (Winter Sleep, Nuri Bilge Ceylan, 2014). Dheepan ne déroge pas à cette mode. Ici, il est question de la constitution d'une famille à partir de trois entités distinctes qui vivent ensemble pour la même raison : fuir la guerre. Mais leurs buts sont différents. Si le héros ne rêve juste que de stabilité et de calme, sa « femme », elle, ne veut pas rester et rejoindre une parente qui vit en Angleterre. Mais cette cohabitation forcée qui va durer plus longtemps que prévu va changer la donne et apprendre à ces trois solitudes à former un seul et même foyer. Et ce sont les guerres qui vont les rapprocher. Les conflits qui vont transformer les hasards de la vie en une réimplantation dans un lieu où ils évoluaient en déracinés.

Ce conflit, le personnage principal du film, Dheepan, y a participé. Il est en effet un soldat ayant combattu dans l'armée des Tigres Tamoul au Sri Lanka. Mais la guerre civile prend fin, et la défaite est proche. De plus, toute sa famille a été décimée dans ce conflit. Sa seule solution pour protéger sa vie est de quitter son pays. Pour faciliter sa fuite, il embarque avec lui une femme, Yalini, et une fille, Illayaal, seules elles aussi, afin de se faire passer pour une famille et faciliter la demande d'asile. Débarqués en France, ils sont installés en banlieue, dans un quartier peu sûr. Là, Dheepan y trouve un travail de gardien d'immeuble. Mais les souvenirs du passé ne sont jamais loin, et les problèmes liés au trafic de drogue font ici figure de piqûre de rappel. Mais un autre conflit, plus privé celui-là, va bientôt émerger avec Yalini et Illayaal, car il va vite s'apercevoir qu'il est difficile de nouer des liens avec des inconnus ayant vécu les mêmes blessures.

Western urbain

Jacques Audiard mêle ici un conflit externe, la guerre au Sri Lanka, avec un conflit interne, celui de la famille. Et des sentiments. Marqué par son histoire, Dheepan va devoir s'adoucir et faire preuve de qualités humaines pour dialoguer et gérer deux nouvelles personnes dans son foyer, alors qu'il a déjà perdu une première famille sous les armes. Or, l'humain n'est pas ce qui est demandé dans les combats, mais l'animalité qui se tapit en chacun de nous. Ainsi, Dheepan est l'histoire de la transformation d'un animal en homme. Même si les violences liées au trafic de drogue vont sans cesse ramener Dheepan à ses instincts primaires de mort. La guerre demande des leaders. Avec Yalini et Illayaal, Dheepan va devoir trouver un équilibre et accepter de ne pas tout contrôler, de faire confiance. Ainsi, il endosse dans ce film le costume du héros solitaire, du shérif protecteur de la veuve et de l'orphelin dans un western urbain.

Dheepan s'inscrit en effet à mi-chemin entre les films de cow-boys et d'indiens et le polar noir. Mais avec des personnages à la Audiard. Amputé, comme Marion Cotillard dans De rouille et d'os, sauf qu'ici Dheepan l'est de ses racines, de sa famille, de sa première vie. Son amputation est donc plus métaphorique que physique. Enfermé dans un lieu violent, comme l'était Tahar Rahim en prison dans Un prophète. Ici, la prison est représenté par la banlieue, son immeuble d'habitation. Mais là où Malik El Djebena devait sauver sa peau, Dheepan doit sauver celle des autres puisqu'en fuyant la guerre il l'avait déjà fait pour lui. Pour autant, il ne peut échapper au sang. La guerre, son histoire l'a imposée à lui, et durablement. Il est un solitaire, mais qui rend la justice pour les autres. Il protège – au sens premier – la veuve et l'orphelin. Et si, ici, la langue pose des barrières, Dheepan montre que la colère et la vengeance sont des valeurs universelles.


Dheepan est de ces personnages forts qui marqueront la galaxie d'Audiard, brisé par la vie mais qui doit rester debout, malgré tout. Un altruiste prêt à retrouver ses instincts primaires pour protéger les siens. C'est un peu dommage que l'arrière-plan soit dessiné plus grossièrement, avec sa banlieue pleine de méchants et un amour que l'on devine rapidement triomphant. Mais le choc visuel compense aisément ces faiblesses, affirmant si besoin en était encore que le réalisateur de Sur mes lèvres est l'un des meilleurs cinéastes actuels.