lundi 20 octobre 2014

Nicole Kidman rend Grâce à Monaco


La mise en scène un brin rétro du réalisateur français Olivier Dahan et l'interprétation de l'actrice australienne sauvent ce film, par ailleurs assez inégal.
 
 


Grâce Kelly, l'étoile montante du cinéma hollywoodien, promise à un brillant avenir, se marie en 1956 avec le Prince Rainier de Monaco. Mais au début des années 60, éloignée des paillettes américaines, elle s’ennuie et se sent seule et enfermée dans son palais. De plus, son couple connaît de graves difficultés. C'est à ce moment-là, et dans un contexte de volonté de l'annexion de la Principauté par la France, qu'Alfred Hitchcock la réclame pour le tournage de son prochain film. Grâce va ainsi devoir choisir entre son désir d'artiste et son devoir de Princesse et d'épouse...


Stature politique

Il était une fois une actrice de talent qui avait mis Hollywood à ses pieds. Son indéniable talent séduisait aussi bien les réalisateurs que les hommes. Elle vivra le rêve de princesse de nombres de filles en tombant amoureuse du Prince Rainier de Monaco. Ils se marièrent et eurent trois beaux enfants. Le conte de fée s'arrête là, car la réalité est beaucoup plus complexe que dans les livres. On ne naît en effet pas princesse, on le devient. Mais ce rôle permanent ne lui convenant plus, elle cède de nouveaux aux sirènes californiennes lorsque Alfred Hitchcock lui propose le rôle principal de Marnie. Au risque de déserter le royaume, au moment où celui-ci est confronté à une crise politique avec son voisin français. On suit donc ici le parcours d'une femme tiraillée entre ses désirs professionnels et son obligation de représentation d'un Royaume menacé et qui a besoin d'elle, dans une stature politique dont elle ne maîtrise pas tous les codes.

Car en épousant Rainier, elle épouse également la fonction de Princesse. Elle finira par l'apprendre. Au sens figuré, mais aussi au sens propre. Comme un rôle, elle se fait enseigner les rudiments, de la culture générale à la diction. Elle s'ennuie, se plaint de ne faire que de la figuration, veut changer de film, mais le scénario du monde réel va l'obliger à étoffer son jeu et à s'octroyer le premier rôle. C'est face aux événements que Grâce va se révéler, enfiler malgré elle son costume au début trop grand pour elle, mais qu'elle taille à sa mesure pour « habiter » totalement son personnage à la fin, au milieu d'un public sceptique qu'elle devra conquérir. Si, au début du film, elle a du mal à choisir entre sa carrière artistique et sa vie privée, l'accélération de l'Histoire va la décider malgré elle, contre elle. Et seule, car le Prince Rainier semble ne jouer que les seconds rôles et ne pas se soucier des états d'âme de sa femme, trop occupé à ses affaires politiques.


Deux vies publiques

Si en apparence Grace de Monaco raconte en creux une histoire de couple, en vérité la comédienne-princesse en est la seule réelle vedette, que son mari ne lui volera jamais. Il gère sa principauté, et voit d'un mauvais œil les velléités de retour au cinéma de sa femme. Pour lui, sa place est auprès de lui et de leurs enfants, au palais. Il ne comprendra jamais vraiment sa femme. Celle-ci a du mal à trouver sa place au-delà du simple protocole, mais il ne l'aide pas beaucoup. Elle va ainsi devoir prendre seul son destin en main. Sa transformation en Princesse va se faire sans que son mari en soit conscient ou attentif. Il la tient éloigné des responsabilités et obligations politiques. Au travers de cette situation on assiste ici à l'opposition entre deux vies publiques, celle de la représentation et celle du réel. Celle de l'échappatoire au quotidien et celle de l'action, où elle va devoir laisser tomber le masque et agir en femme et faire oublier l'actrice.

Une actrice qui prend toute la lumière à elle. Du coup, les seconds rôles sont un peu laissés de côté, déséquilibrant le film. Si Olivier Dahan, dans sa façon de réaliser, bien aidé par la partie technique (lumière, photo, décor, costume...) rend un subtil hommage aux longs-métrages des années 50 et 60, son scénario n'en est pas moins un brin longuet et manque un peu de profondeur et d'émotion. On pourrait également s'amuser des obligations dues à la production internationale (pourquoi diable le Prince Rainier et Charles de Gaulle dialoguent-ils en anglais ?), ou la trop importante dramatisation du conflit entre Monaco et la France. Mais Nicole Kidman campe une Grâce crédible, qui rend parfaitement à l'écran cette femme qui lutte contre ses conflits internes, entre ce qu'elle désire et ses obligations qui ne permettent pas de les réaliser. Un choix entre deux personnages et le sacrifice de l'un d'entre eux pour s'abandonner totalement à l'autre.



Être ou ne pas être une princesse : telle est la question que se pose Grâce de Monaco, et Olivier Dahan la suit dans ses interrogations et son évolution sur la question et sa recherche progressive de légitimité et de crédibilité. Une princesse glamour qui dans un écrin qui ne l'est pas moins doit trouver le bon chemin entre conte de fée et réalité. Nicole Kidman porte ce film sur ses épaules et mérite à elle seule le détour d'un film pas toujours à la hauteur mais qui ne manque pas de charme, à l'instar de son héroïne.
 
 
 
 

vendredi 3 octobre 2014

Deux jours, une nuit : mon job ma bataille


Un combat pour l'emploi à hauteur d'Homme : la simplicité du scénario fait ici la force du nouveau film des frères Dardenne.


 
 

Sandra (Marion Cotillard) bosse dans une petite entreprise de fabrication de panneaux solaire. Heureuse en ménage avec son mari, elle doit toutefois faire face à un coup dur : un risque de licenciement économique. Elle pourrait perdre son emploi, à moins que ses collègues ne votent pour son maintien au sein de la boîte. Au risque dans ce cas de devoir renoncer à leur prime de 1000 € promis. Sandra a donc un week-end pour les convaincre de la maintenir à son poste. Un combat pour conserver son travail débute alors...

Combat ordinaire

Après Rosetta ou encore Lorna (Le silence de Lorna, 2008), Sandra est la nouvelle héroïne de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Une héroïne qui, à l'instar de Samantha (Cécile de France dans Le gamin au vélo, 2011), refuse de voir la fatalité et décide de se battre. Si cette dernière décidait de faire preuve d'humanisme envers un enfant rejeté et désœuvré, Sandra compte elle sur la solidarité des uns et des autres, espérant que le lien social au sein de l'entreprise dépassera l'intérêt économique personnel. Mais pour cela, elle va devoir surpasser sa fragile santé ainsi que sa honte de devoir faire du porte à porte pour demander à ses collègues de renoncer à une prime pour elle. Dépressive, elle manque de défaillir à plusieurs reprises. Heureusement elle peut compter sur le soutien sans faille de son mari, qui la pousse à faire fi des obstacles et à aller au bout de son défi afin que celle-ci conserve son emploi et sa dignité.

Et les caméras des frères belges la suivent au plus près de son quotidien, façon documentaire comme ils ont l'habitude de le faire. Ils captent une tension, vive, sur le fil, constamment accrochés aux basques de Sandra. Ils la filment dans ses angoisses, ses joies, ses déceptions, lorsque elle reste à la porte devant l'interphone comme ses réussites lorsque ses collègues lui assurent de leur vote positif le lundi matin. Le moindre sourire, la moindre émotion est captée par une caméra-réceptacle des émotions du personnage principal, un peu tremblante mais toujours vivante. Une histoire simple mais qui laisse toute latitude à son héroïne dans ses pas, dans ses choix. Les moments intimes ou publiques, rien n'échappe à l’œil acéré des réalisateurs du Fils du chemin de croix de Sandra dans sa quête de retourner un à un les salariés de la petite entreprise. Un combat ordinaire mené tambour battant par une bonne Marion Cotillard.

Un « pas grand-chose » essentiel

Une frêle femme forte. Voilà comment pourrait se définir Sandra. En incarnant ce personnage dont le but ne paraît pas spectaculaire de prime abord, la comédienne, césarisée et oscarisée pour La môme, porte sur ses épaules quelque chose qui la dépasse : les conséquences du capitalisme et de la crise économique sur une salariée lambda d'une petite entreprise. Elle ne désire qu'une seule chose, c'est conserver un salaire pour pouvoir continuer à vivre. Quitte, dans le cas où elle conserverait son emploi, à se mettre à dos ceux qui seraient contraints à abandonner leur prime. Elle incarne une réalité concrète d'une situation difficilement explicable, un maillon de base d'une chaîne qui dépasse les Nations. Mais Sandra refuse de se laisser dépasser. Elle ne demande pas grand-chose, mais est prête à y laisser sa santé pour ce « pas grand-chose » qui est l'essentiel pour beaucoup de monde.

Une situation qui met les autres salariés face au révélateur du choix. Entre entraide d'autrui et gêne au moment d'annoncer vouloir conserver la prime, chacun réagit à sa manière, en toute conscience. D'autres encore préfèrent fuir la réalité en laissant leur porte close, au risque de décevoir Sandra qui pensait pouvoir compter sur ces personnes. Dans ou hors de l'entreprise, certains d'entre eux ne réagissent pas forcément de la manière dont Sandra l'imaginait. Elle incarne le cruel dilemme revisité de « la bourse ou la vie » (ici, donc, de l'autre), celle dont les autres membres de l'entreprise ont droit de vie ou de mort sociale sur elle-même. Une réalité bien loin de la télé. Pourtant Sandra refusera la fatalité jusqu'au bout et ira défendre ses chances jusqu'au lundi matin. En allant au-devant d'eux, elle renvoie le reflet de la question du « que ferais-tu à ma place ? », et incite à réfléchir sur le choix du sort réservé à autrui dans notre monde individualiste.




Sur un drame vécu par de nombreuses personnes tous les jours, les Frères Dardenne ont tissé une trame réaliste autant qu'une biographie de notre époque autour d'un personnage dont le spectateur peut aisément se reconnaître. Sans trop appuyer ni minimiser les effets et les enjeux, ils ne font que regarder ce monde qui va mal avec un sens de l'acuité tout particulier et juste, mais avec une note d'espoir, un refus de la résignation, marqué particulièrement par Sandra, à qui ils laissent le dernier mot : « On s'est bien battus ».