Avec
« Maps To The Stars », David Cronenberg ajoute de nouveaux
personnages bien azimutés comme il faut à sa géniale galerie de
monstres.
Hollywood.
Stafford Weiss est psychologue et coach de développement personnel.
Devenu star grâce à la télévision, il compte dans sa clientèle
de nombreuses célébrités. Parmi elles, Havana Segrand, une actrice
vieillissante qui cherche à sortir de l'ombre de sa défunte mère.
Le fils de Stafford, Benjie, est à 13 ans déjà une vedette de
cinéma. Il y a aussi Agatha, l'assistante d'Havana, ou encore Jerome
Fontana, qui rêve de devenir scénariste. Tout ce beau monde va se
croiser dans les travées de cette décadente usine à rêves...
Victimes
du système
Il
y a deux ans, dans Cosmopolis, David Cronenberg enfermait
Robert Pattinson dans une limousine. En 2014, l'histoire d'amour
continue, mais cette fois-ci, il se défait de ses oripeaux de trader
pour devenir chauffeur, dans le costume d'un Jerome Fontana ayant
pour objectif de percer à Hollywood à la force de ses scénarios.
Sans se douter que la réalité lui en offre un beau sur un plateau,
noir, violent, radical. Suffit de rencontrer les bonnes personnes. En
l'occurrence, ici, Agatha, 19 ans, pyromane tout droit sortie de
l'asile (la géniale Mia Wasikowska). Fraîchement débarquée à
Hollywood, la jeune fille gantée façon Rita Haysworth dans Gina
(pour cacher ses brûlures aux mains, ce qui est moins glamour),
a pour objectif de renouer avec une famille qui la rejette. En
attendant, elle vient de se dégoter un poste d'assistante auprès
d'Havana Segrand (la non moins géniale Julianne Moore), actrice
hantée par ses démons.
Démon
qui prend la forme de sa défunte mère, Clarisse Taggart, elle aussi
actrice, mythifiée du temps de sa splendeur, et dont Havana veut
reprendre l'un de ses rôles dans le remake de l'un de ses films.
Façon pour elle de les chasser ? En tout cas, pour optimiser ses
chances d'aller mieux, elle fait appel à Stafford Weiss (John
Cusack), coach de développement personnel et psychologue des stars.
D'ailleurs, grâce à la télévision, lui-même en est devenu une.
Sa femme, Christina (Olivia Williams), s'occupe quant à elle de leur
petit Benjie (Evan Bird), 13 ans, et déjà passé par la case
desintox suite au succès mondial d'un film dont il est la vedette et
qui lui a très rapidement fait perdre la tête. Mais bien sûr, pour
son image et celui de son père, il vaut mieux que la presse people
ne sache rien de ce séjour. Ils sont tous les victimes, cyniques,
naïves ou consentantes d'un système cruel qui n'épargne rien ni
personne.
Planète
à part
Et
le réalisateur de La mouche s'amuse à faire exploser tout
cela, méticuleusement. Il tisse la toile autour de personnages qui
fatalement ne pourront pas y échapper et s'échapper. Mais le
veulent-ils vraiment ? Car leur cage dorée qui les étouffent aux
murs qui se rapprochent d'eux inexorablement sont comme des draps de
soie qui endorment leur vigilance, sans qu'aucun d'entre eux n'ait
conscience de la violence à l'extérieur. Avec les médicaments,
l'alcool, la drogue ou les coachs pour tenir, autant de dépendances
qui les éloignent de leurs démons pour mieux se rapprocher d'autres
enfers, toujours plus attirants. Toutefois, la réalité les rattrape
toujours, même s'ils se refusent à la voir et cherchent à
l'éloigner le plus loin possible. Sauf que le microcosme
d'Hollywood, à la fois planète à part et rêve tangible, constitue
une société fermée, à l'affût du moindre scoop et de la moindre
rumeur pour alimenter les légendes.
Les
stars ne se construisent que sur leurs déboires. C'est en substance
ce qui nous est montré à l'écran. Plus besoin du maquillage de la
mise en scène, plus personne n'est dupe. Le vernis a depuis
longtemps craqué. Tout sonne faux, sauf les sentiments – souvent
de haine – qui anime les personnages. Plus personne ne fait
illusion. Hollywood crée la vacuité dans lequel les candidats à la
gloire éphémère s'engouffrent, des étoiles plein les yeux, et ne
se définit que dans la négation d'elle-même. Un air pourtant connu
de tous. Air qui, ironiquement, est illustré par le célèbre poème
de Paul Eluard : « Liberté, j'écris ton nom... », qui
revient comme un leitmotiv tout au long du film. Comme une forme
d’auto-persuasion au cœur d'une société enchaînée, sur
laquelle David Cronenberg se déchaîne. Il prend un malin plaisir à
casser le jouet avec lequel pourtant il veut continuer de s'amuser.
Mais en inventant ses propres règles de cette superbe partie de
massacre.
David
Cronenberg repousse les limites de la critique du star-système en
entraînant ses personnages sur des territoires desquels aucun ne
sortira indemne. Jeunes ou moins jeunes, personne n'est innocent.
Tous sont alignés sur le même banc des accusés, et le jugement
dernier est sans appel. Mais la distance mise entre lui et ses «
héros » passés à la broyeuse remet finalement Hollywood à sa
place, et son film épouse le regard que
les gens ont sur l'industrie du cinéma. L'un comme l'autre ne sont
que des divertissements.