lundi 22 juin 2015

Résistants du quotidien


Une ville africaine tombe sous la coupe des djihadistes, et c'est tout les habitants qui entrent en résistance contre leurs bourreaux. Une critique onirique et cinglante d'Abderrahmane Sissako.




Tombouctou. Des extrémistes religieux prennent d'assaut la ville et aussitôt imposent leur loi. Désormais, la musique, les cigarettes et le football sont interdits. Les femmes doivent porter le voile et des gants. Celles et ceux qui ne respectent pas les nouvelles règles sont traînés devant un tribunal inique et soumis à l'arbitraire de leurs oppresseurs. Non loin de là, Kidane, sa femme et sa fille vivent paisiblement dans les dunes. Son berger de douze ans vient de perdre la vache GPS et se met à sa recherche. Il tombe sur un pêcheur...

La terreur en pleine face

L'action du film se passe en Afrique. Les Djihadistes poursuivent leur offensive au Mali et viennent de conquérir la capitale Tombouctou. Oubliés les lois démocratiques, seule la charia se verra maintenant appliquée. Ceux qui contreviendraient à leur interprétation très subjective et rigoureuse de l'Islam pourraient se voir condamnés à mort par lapidation. Musique, cigarettes et jeux de ballons sont désormais fermement proscrits. Quant aux femmes, elles devront se dissimuler en portant le voile et en mettant des gants. Ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes, notamment auprès des poissonnières qui devront découper leurs poissons avec ces protections très peu pratiques pour leur travail. Toute l'absurdité du film est là : rien n'est dit, mais tout est montré. Tout est moqué. Tout peut être sujet à raillerie, à démonstration du ridicule des situations qui seront sujets à contournement des lois et à la résistance.

Parallèlement à cela, un peu en marge, aux lisières de la ville, dans les dunes, vit Kidane et sa famille. Il y a là sa femme, Satima, et sa fille, Toya. Il possède des vaches qu'il fait garder par Issan, un petit berger de 12 ans. Lorsque celui-ci ne retrouve plus la vache préférée de Kidane, qui porte le doux petit nom de GPS, le patriarche part à sa recherche. Il finit par la retrouver, mais tue accidentellement Amadou, un pêcheur. Les djihadistes vont alors exercer leur loi sur lui. Kidane, en ce sens, symbolise la fin de l'innocence. Au début du film, il est loin, un peu comme le spectateur – observateur. Mais les circonstances vont faire que la réalité va le rattraper. Il va prendre conscience des nouvelles conditions de vie de Tombouctou et se prendre la terreur en pleine face. En ce sens, il est un représentant du ressenti des habitants d'Afrique otages de cette nouvelle forme de terrorisme qui passent soudainement de la liberté à la peur.

Projet hors-sol

Une peur contrebalancée par de formidables instants de grâces filmiques, telle cette scène où les enfants jouent un match de football, mais sans le ballon, puisque cela est interdit. Un moment d'onirisme parfait qui vient en lutte, en confrontation directe avec les djihadistes. Un défi comme déclaration de guerre face au nouvel occupant venu de l'extérieur et qui impose une loi rude. Le rêve et les aspirations à la démocratie de la population contre la violence des colonisateurs. Et le rire. En effet, Abderrahmane Sissoko se moque d'eux et les tourne en dérision, les mettant face à leurs propres contradictions. Ils interdisent la cigarettes mais ils fument. Ils doivent parler arabe mais se comprennent mieux en anglais. Dans le même temps, le réalisateur mauritanien montre comment la population se soude pour faire face à l'adversité et exercer leurs libertés. Ainsi il fait de ce microcosme l'exemple-type des luttes des peuples pour la démocratie dans le monde.

En effet, en extrapolant, nous pourrions très bien imaginer que cela pourrait se passer n'importe où ailleurs. Cette population de Tombouctou opprimée, c'est le symbole des luttes des populations en résistance sociale, culturelle et politique contre leurs gouvernants. Timbuktu peut ainsi être lu comme un conte moderne, sombre mais rempli d'espoir. Un cri du cœur d'un pays, et au-delà d'un continent, envers les autres populations, tout autant qu'une mise en garde envers les gens qui se laissent faire sans prendre ni garde ni les armes intellectuelles. Le grand projet hors-sol d'une critique de ceux qui utilisent et abusent d'une religion, la détournant à leur propre profit aboutit à un grand film rempli d'émotions qui vise juste et qui nous fait toucher concrètement du doigt, au travers des instants de vie, de la loupe que permet la caméra du cinéma, la violence des bourreaux autant que les rêves de délivrance toujours présents des opprimés.



Au travers de son dernier film, Timbuktu, Abderrahmane Sissako touche juste et montre un problème actuel et universel, mais sans verser dans le discours politique, car c'est par la prise de conscience des peuples que ces derniers s'en sortiront. Un appel à la solidarité par l'onirisme qui séduit, concerne, bouleverse et touche chaque spectateur individuellement, comme une injonction à faire bouger les choses pendant qu'il en est encore temps. Un magnifique film sur des héros altruistes, résistants du quotidien. 






lundi 1 juin 2015

Mike Leigh refait le portrait de Mr Turner

Thimothy Spall incarne le peintre, génie en avance sur son temps, sur la nouvelle toile du réalisateur de « secrets et mensonge ».





Nous sommes au XIXe siècle. Joseph Mallord William Turner (1775 – 1851) est un célèbre peintre britannique, membre de la prestigieuse Royal Academy Of Arts. Ce misanthrope qui fréquente les bordels est très entouré. Ses nombreux voyages nourrissent son œuvre. Une œuvre qui n'est pas sans susciter des sarcasmes de la part de ses contemporains. A la mort de son père, très affecté, il s'isole, jusqu'à sa rencontre avec Mrs Booth, propriétaire d'une maison de famille en bord de mer...

« Star » de son époque

Qu'est-ce que la peinture ? Comment parler de l'immobile, du figé, dans un art en constant mouvement ? Et pourquoi l'oubli ? Autant de questions que le réalisateur britannique Mike Leigh développe dans son nouveau film. Et pour ce faire, il utilise le genre du biopic, et donc ici la figure du peintre, pour avancer des théories et donner des éléments de réponse à ses interrogations. Un artiste ancré dans son époque, mais qui, au travers de son art avant-gardiste, lui échappe également pour mieux les traverser, quitte à risquer de s'effacer totalement jusqu'à ce que ne demeure plus que l’œuvre. Ce peintre, cet artiste, c'est Joseph Mallord Willard Turner, l'une des « stars » de son époque dans son domaine, admiré autant que critiqué, membre de l'une des plus prestigieuses et représentatives académies de son pays. Une personnalité tombée un peu dans l'oubli et que le cinéaste réhabilite en le faisant revivre le temps d'un film.

Soit, donc, l'histoire de J. M. W. Turner, peintre de son état et membre de la Royal Academy of Arts, à la date de naissance incertaine (probablement avril 1775). Orphelin de mère à l'âge de 4 ans, faisant de son père son assistant, son art avant-gardiste suscitera autant l'admiration que les quolibets de ses contemporains. Grand voyageur, ses aquarelles qui en découlent en feront « le peintre de la lumière ». Il fréquente également les bordels. Mais au fil du temps son excentricité et son caractère taciturne ainsi qu'une dépression suite à la mort de son père l'éloigneront du monde des hommes. Peu l'importera, d'ailleurs, car il a peu d'amis. Sur le plan privé, il ne sera jamais marié. Mais père de deux enfants qu'il aura avec Sarah Danby. Avant de rencontrer la veuve Sophia Caroline Booth, avec qui il vivra comme mari et femme, et dont il empruntera le nom comme pseudonyme pour sa dernière exposition un an avant sa mort, en 1851.

Manque de points d'accroche

Joseph Turner, c'est Timothy Spall. Dans ses gestes, dans ses attitudes, dans son regard, dans son expression. Tout en lui se fond dans son personnage avec une impressionnante aisance. Il est l'écrin magnifique d'un Mike Leigh qui fait preuve d'inventivité et d'imagination dans sa réalisation. Plus que du peintre, le britannique peint le portrait d'une époque et d'un homme posé là par hasard, en décalage avec une société qui cherche à se faire voir, alors que lui s'effacera au fur et à mesure que le temps passe. Même sa peinture est d'un autre époque, difficile à définir. Il est admiré, mais ne semble pas en faire grand cas. Seule concession aux méandres de son cerveau, ses œuvres, résultantes de l'acte de création. Et c'est là que se rejoignent finalement le cinéma et la peinture. Dans l'acte de création. La peinture représentant un film statique, immobile, chargé de cette même émotion qu'accroche l’œil du regardant à qui cette histoire est racontée.

Toutefois, si l'on peut percevoir un scénario, ou se le créer soi-même le cas échéant, dans ce qui nous est donné à montrer, le créateur est-il systématiquement ciné-génique ? Toute vie mérite-t-elle d'être racontée ? Oui, en tout cas pour de ce qui concerne celle de Turner, nous répond le réalisateur de Secrets et mensonges. Le spectateur restera, lui, beaucoup plus sceptique. Sans réelle ligne directrice ni rebondissement romanesque, il émane une sensation de manque d'un fil conducteur, chevalet qui maintiendrait l'intérêt du film. Or, Turner ne semble pas être le personnage le plus cinématographique du monde. Sa vie n'est pas la plus passionnante de l'histoire de la peinture, sauf respect pour l'homme, sa carrière et sa postérité. De ce fait, la relative absence de scénario ne permet pas de se passionner réellement pour le film ou pour l'histoire qui est tenté de nous être raconté. Restent l'art du réalisateur et la performance d'acteur.



« Dans la peinture, il s'établit comme un pont mystérieux entre l'âme des personnages et celle du spectateur », écrivait Eugène Delacroix dans son Journal. Mike Leigh ne fait pas autre chose. Il dresse des ponts entre l'âme de William Turner et celle des spectateurs. Si l'alchimie entre le réalisateur et son acteur Thimothy Spall fonctionne à plein, montrant la beauté des tableaux et celle, plus complexe et mystérieuse, du peintre, les raisons qui ont poussé le britannique à faire de la vie de l'artiste une œuvre à part entière demeurent, elles, obscures. Et ce n'est pas le moindre des paradoxes du « peintre de la lumière ».