dimanche 22 décembre 2013

Moi et Toi:Huis clos des familles

Dix ans après The Dreamers, Bernardo Bertolucci revient avec une intéressante histoire familiale tiré du livre de Niccolo Ammaniti dont l'action se déroule...dans une cave.




Lorenzo (Jacopo Olmo Antinori) est un adolescent de quatorze ans. Il vit en appartement avec ses parents. Mais les conflits ne sont pas rares. De même, à l'école, les relations avec ses camarades sont compliqués. C'est pourquoi il profite d'un voyage scolaire au ski pour disparaître et vivre seul toute une semaine dans la cave de son immeuble. Mais c'est sans compter sur l'arrivée inopinée de sa demi-sœur de vingt-cinq ans, Olivia (Tea Falco), une artiste, qu'il n'avait pas vu depuis plusieurs années...

Une drôle de cohabitation

Lorenzo a quatorze ans. L'âge des doutes, des sentiments exacerbés, des confrontations. Avec les autres mais aussi avec soi. Le moment où l'on s'ouvre à autrui, où l'on commence à avoir conscience de son image, de ce que l'on veut montrer. Mais notre héros est un solitaire, qui a peu d'amis. Il vit chez ses parents, et ressent le besoin de s'émanciper d'eux, d'où les moments de tension avec une mère protectrice. Il s'est forgé un monde à lui, se replie dans une bulle sonorisée à la musique rock. Il voit comme une opportunité de disparaître et de vivre sa première expérience de vie en solitude lorsque sa classe organise une sortie au ski durant une semaine. Il ment alors à sa mère et décide d'organiser un petit campement dans la cave de son propre immeuble, avec pour seule compagnie des fourmis. Il pensait vivre en toute tranquillité, mais c'était compté sans l'arrivée inopinée de sa demi-sœur, qui bouleversera ses projets.

Olivia, qui est lié avec Lorenzo par leur père, débarque un beau jour dans le « refuge ». Elle vient chercher un carton dans lequel figure des affaires à elle. Et alors qu'il pensait ne plus la revoir, il sera forcé de l'héberger. Celle-ci a en effet des projets d'avenir avec son riche compagnon, mais avant cela elle doit lutter contre ses propres démons en se sevrant de son addiction à la drogue, dans laquelle elle est tombée. Et elle estime que cette cave est l'endroit idéal pour cela. Débute alors entre eux deux une drôle de cohabitation, où entre deux crises de manque ces membres d'une même famille vont apprendre à se connaître, s'apprivoiser et s'entraider. Mais Olivia a un caractère instable, ce qui créé des conflits entre eux au début. D'abord méfiante, elle va peu à peu se rapprocher de son frère, la promiscuité aidant. Une promiscuité qui change le point de vue des deux personnages et les ouvre à de nouvelles perspectives.

Points communs

Lorenzo pensait, en s'enfermant dans cette cave, échapper à la réalité, au monde extérieur durant toute une semaine. Mais l'arrivée d'Olivia va changer ses plans. Au contraire, au lieu de le maintenir dans une position de confort adolescente, elle va le bousculer, le changer. A son contact, il va grandir dans sa tête, et prendre ses responsabilités lors des crises de sa colocataire. Si Lorenzo vit dans son monde au début du film, Olivia va sérieusement fendre la bulle dans laquelle il s'est enfermé. Petit frère, grand frère, père : il va être tout cela à la fois durant toute la semaine, ne se préoccupant plus seulement de lui-même, mais également d'autrui. Il va aussi entendre un autre point de vue sur son père, Olivia ne le voyant pas comme lui le voit. Ces sources d'affrontement ne vont pas les empêcher de s'apprécier, se découvrir et au final se rendre compte qu'ils ont plus de points communs qu'ils ne le pensaient au début du film.

Ils sont de la même famille, mais ne se connaissent pas : en réunissant, dans son premier film depuis Innocents - The Dreamers il y a dix ans, et dans un lieu inattendu, un frère et une sœur, Bernardo Bertolucci leur donne la possibilité de renouer le dialogue après plusieurs années de silence. Ce lieu clos est un petit peu leur monde à eux. Un monde de confrontation, mais aussi où les vérités vont éclater. Mais ceci n'est possible que grâce à la confiance mutuelle que Lorenzo et Olivia vont développer. Leur relation évolue tout au long du film. Glaciale au début, elle va se transformer en vrai intimité, faite de beaucoup d'affection et de complicité. Ils vont aussi chercher à se protéger l'un l'autre. A tel point que le jeune garçon va traverser les cellules, passant de celle qu'il s'est construit autour de lui à celle de la famille. Avec Olivia, son regard sur le monde va changer. Cet espace fermé va ouvrir son esprit sur d'autres horizons.



Le réalisateur du Dernier Tango à Paris filme la famille sous toutes ses coutures. Ici, il montre comment le hasard réunit deux êtres reliés par un fil invisible (le père, dont on parle beaucoup mais que l'on ne verra jamais) et comment les liens du sang vont progressivement prendre le dessus sur le reste. Le tout sous le regard naïf d'un adolescent qui rentre dans l'âge adulte au contact d'une femme. Une œuvre sensible et belle, sous la houlette de la caméra d'un géant du cinéma toujours vert.  



dimanche 8 décembre 2013

Ma vie avec Liberace : Magic Michael

La prestation époustouflante de Michael Douglas participe pour beaucoup à la très grande réussite de ce biopic kitsch et émouvant.




Scott Thorson (Matt Damon) est un enfant adopté. Un jour d'été 1977, sa route croise celle de Liberace (Michael Douglas), un pianiste virtuose et superstar qui fait de ses concerts au Las Vegas Hilton des shows démesurés. Scott est engagé par Liberace comme secrétaire particulier. Malgré leur différence d'âge et de condition sociale, ils vont se rapprocher, jusqu'à devenir amants. C'est le début d'une relation cachée qui durera cinq années, entre sexe, jalousies, apparences et fascination...

Flamboyant et décalé

Liberace est la rock star du piano. Il donne des concerts dans le monde entier. Il est l'une des incarnations les plus flamboyantes et plus décalé des seventies. Cet artiste à part mène une vie en conformité avec son personnage. En public, il donne l'image d'un homme inaccessible, iconique. En privé, il multiplie les amants tout en jouant les divas. Un jour, sa route croise celle de Scott Thorson. Il fera de ce jeune éphèbe son secrétaire particulier, avec qui rapidement une relation amoureuse se développera. Complices au début, Liberace assoit peu à peu son emprise sur son compagnon, jusqu'à lui «remodeler» le visage par la chirurgie esthétique. Il pense le contrôler, et va jusqu'à vouloir en faire son héritier. Mais les choses vont peu à peu lui échapper. Cette relation est secrète, car Liberace est une célébrité, et l'homosexualité à l'époque étant encore diversement perçu, il ne voulait pas que cela nuise à la carrière qu'il s'est forgé.

Un personnage vu sous le prisme du regard de Thorson, car c'est de son point de vue qu'est raconté l'histoire, sa relation amoureuse et les extravagances de Liberace. Cela souligne le contraste entre les deux mondes et apporte décalage et humour. Car Scott Thorson est un enfant adopté qui est complètement étranger au milieu du show-business. Sa rencontre avec la star du piano va le faire rentrer dans ce milieu, ses strass et paillettes, mais aussi ses apparences, ses mensonges, ses faux semblants. Il se fait même refaire le visage. Pour autant, il gardera son innocence, sa candeur et son recul sur un monde dans lequel il ne se fondra jamais tout à fait. Il reste l'homme de l'ombre. Mais un homme qui saura se rendre indispensable à Liberace (et son chien, Baby Boy). Aussi personnel soit le portrait, il est néanmoins assez honnête sans être hagiographique. Et c'est avant tout l'histoire d'un couple.

Une photographie de l'homosexualité

Un couple montré sous un angle « banal », et non traité sous l'angle de la différence. Leurs discussions sont celles que peuvent avoir n'importe quel couple. « Ce qui est moins banal, c'est le cadre dans lequel ces discussions avaient lieu », souligne le réalisateur, Steven Soderbergh, qui s'est pour ce film aidé du livre de Scott Thorson Behind the Candelabra. Un couple d'apparence solide malgré les différences, mais qui va peu à peu s'avérer être ce qui va les séparer de manière irréversible. Au travers d'eux, c'est une photographie de l'homosexualité de l'époque qui apparaît en creux. En effet, dans les années 70, elle était encore très diversement acceptée. C'est pourquoi la relation entre Liberace et Scott est restée secrète, et que le célèbre pianiste nia son homosexualité lorsque lui et son amant rompent et que ce dernier réclama une pension. L'hétérosexualité était presque une exigence pour séduire le public.

Mais exigeant est également le terme que l'on peut employer pour qualifier la prestation de Michael Douglas, qui propose ici un Liberace grandiose et qui ne se prend pas au sérieux. Le pas de côté de la réalisation, puisque l'histoire est racontée du point de vue de Scott, permet ce ton léger et humoristique, n'abordant que mieux, sous la légèreté apparente, des sujets plus sérieux, notamment la drogue, l'homosexualité et le sida. Mais les parts plus sombres, plus intimes du pianiste sont également évoquées, sans pour autant là encore trop s'appesantir. En bref, un plaisir de cinéma où crève à l'écran l'envie, pour le réalisateur de Sexe, mensonge et vidéo et de la série des Ocean's, pour son nouveau (et dernier?) film, de se faire plaisir et de faire plaisir sous un déluge de couleurs et de musique. Le tout enrobé sous une pointe d'admiration de Steven Soderbergh pour son sujet, aussi débordant d'exubérance que génial artiste de divertissement de son temps.



Au-delà du simple biopic ou bien encore de la peinture d'une certaine industrie du spectacle de l'époque, le réalisateur américain Steven Soderbergh nous livre une production pop où les deux acteurs principaux s'en donnent à cœur joie sans peur du ridicule. Un pur divertissement dans lequel l'humour et la gravité s'entremêlent sans se vampiriser. Un biopic qui rend un vibrant et souriant hommage à une immense star réhabilitée de façon intelligente et honnête. 






dimanche 24 novembre 2013

Jeune et Jolie:On n'est pas sérieux quand on a 17 ans


François Ozon filme de nouveau l'adolescence, ses affres, ses doutes, ses mystères. Avec la révélation Marine Vacth.




Nous sommes l'été. Isabelle fête ses 17 ans en vacance avec sa famille. Elle perd sa virginité dans les bras de Félix, un allemand rencontré sur les lieux, qu'elle quitte peu de temps après. De retour à Paris, elle se met à fréquenter un homme âgé qui lui a donné son numéro de téléphone à la sortie du lycée. Mais elle décide de se faire payer pour lui faire l'amour. Elle entre alors dans la spirale de la prostitution, multipliant les clients sans aucune motivation ou raison claire...

Beauté froide et diaphane

Isabelle n'est plus une jeune fille, mais pas encore une femme. Elle entre dans cette période de la fin d'adolescence où grandir devient une nécessité, plus qu'un choix. La période est aux doutes, aux découvertes, à la prise de conscience de soi et des autres. D'une beauté froide et diaphane, elle séduit des gens de son âge comme des personnes plus âgées. Elle joue de cette séduction en développant son côté sexuel. Elle offre son corps contre de l'argent. Mais elle le fait ni contrainte, ni forcée. Sa mère et son beau-père gagnent bien leur vie et son père lui donne même de l'argent pour noël et son anniversaire. En se faisant passer pour une étudiante, pour plus vieille qu'en réalité, elle joue une sorte de rôle, et la demande d'argent fait donc partie de ce rôle. Mais elle le garde et ne le dépense pas. On ne sait jamais réellement pourquoi elle fait ces choix-là. Et encore moins son entourage, qui ne sera au courant que dans la seconde partie du film.

Pourtant, Isabelle semble une fille ouverte, épanouie, qui s'entend avec sa famille et communique bien avec eux. Elle va même jusqu'à raconter sa première fois à son frère cadet, dont elle est proche. Mais pour autant, elle ne dit rien à personne de sa double vie. Seule la mort de George, l'un de ses clients, va permettre de tout dévoiler à ses parents. Si son beau-père prend cela avec détachement, sa mère (Géraldine Pailhas) en revanche baigne dans l'incompréhension la plus totale. Elle cherche des explications, mais n'en a pas. Les rendez-vous chez un psychologue n'y changeront rien. En quelques minutes, elle bascule de la bienveillance, de la confiance, aux interrogations. Elle découvre que sa fille n'est finalement qu'une inconnue. Elle veut exercer son rôle de mère et l'aider, mais en même temps il y a une sorte de peur, de répulsion liée à cet inconnu qui se développe. Ni complices ni opposées, leurs rapports sont remis en cause.

Le goût du risque

Des rapports qui illustrent bien l'ambiguïté qui règne tout au long de ce film. Isabelle semble être une fille épanouie, ouverte, mais ne raconte à personne ses activités de prostituée, et ne dira jamais pourquoi elle fait cela. Elle mentira même à ses amies. Dès lors, les regards sur elle changent, et ses moindres paroles ou gestes sont interprétés. Isabelle va d'ailleurs à plusieurs reprises jouer de cela. Un drôle de jeu de pouvoir qui va s'instaurer entre elle et son entourage. Mais elle est malgré tout parfois rattrapée par l'adolescence. Elle navigue entre deux âges, faisant l'adulte qu'elle n'est pas encore, montrant encore ses fragilités, ses failles, sa naïveté et ses peurs. Ceci est encore plus vrai lors de sa rencontre avec la femme de George (Charlotte Rampling), où la fille un peu perdue et honteuse prend le pas sur la femme. Un costume encore trop large à porter pour une Isabelle qui toutefois semblera toujours assumer les conséquences d'actes qu'elle sait irraisonnable.

C'est ce goût du risque qu'a filmé François Ozon. Un regard sur la jeunesse subjectif mais non dénué de vérités, mais qui sont à lire dans les absences d'explications des gestes d'Isabelle. Ces ellipses de la pensée permettent d'émettre des hypothèses, sans toutefois pouvoir les vérifier par la suite. Des hypothèses multiples qui permettent diverses interprétations, plusieurs lectures à des degrés divers. Ainsi, avec un effacement volontaire d'explications, il permet à son personnage principal de mieux s'exprimer et d'évoluer dans des terrains assez larges et en même temps assez balisés. Un flou savamment et intelligemment entretenu tout au long de ces quatre saisons rythmées par des chansons de Françoise Hardy qui soulignent en décalage les sentiments et les ressentis d'Isabelle, permettant de mettre une certaine distance en même temps que participant à l'élaboration des hypothèses de cet intéressant film à tiroirs.



François Ozon aime filmer la jeunesse, et la jeunesse le lui rend bien. Jeune et Jolie est en effet une réussite. Moins un film de prostitution que de passage d'un état à un autre par le biais du sexe, il offre à Marine Vacth un rôle de femme provocante mais non choquante que l'on peut ou pas juger ou comprendre. Finalement, un beau film d'amour autant que d'émancipation, où les sentiments s'expriment en creux. Une histoire personnelle sans morale qui recèle paradoxalement beaucoup de pudeur.  



dimanche 10 novembre 2013

Jimmy P. : Les âmes blessées

Tirée d'une histoire vraie, la rencontre improbable entre deux êtres que tout oppose. Un magnifique écrin pour deux excellents comédiens.




Nous sommes après la Seconde Guerre mondiale, aux États-Unis. Jimmy Picard est un indien Blackfoot qui a combattu en France. Souffrant de maux de têtes, de vertiges ou encore de perte d'audition, il se fait soigner dans un hôpital militaire du Kansas. Après une première analyse, on lui diagnostique une schizophrénie. Toutefois, les médecins acceptent un second point de vue, et pour cela font appel à George Devereux, un psychanalyste et ethnologue français, spécialiste des cultures amérindiennes...

Voyage intérieur
Jimmy Picard n'est pas un patient comme les autres. Issu de la tribu des Pieds-Noirs, ce nord-amérindien souffre de syndromes post-traumatiques, séquelles de la Seconde Guerre mondiale. Soigné dans un hôpital pour vétérans dans le Kansas, il est dans un premier temps diagnostiqué comme schizophrène, et il doit donc être interné. Pourtant, il n'est pas à sa place parmi les autres patients. C'est pourquoi il accepte une thérapie individuelle avec un psychanalyste français, qui va peu à peu l'entraîner vers un voyage intérieur, à la recherche de ses origines et de son passé qui ressurgira pour mieux l'en libérer. Des actions immobiles, où tout passe par la parole. Tout se passe dans la tête. Au travers de dessins et de souvenirs, il s'acheminera petit à petit vers la guérison. Il se réconciliera avec lui-même grâce à la confiance qu'il accordera à George Devereux, qui apparaîtra vite comme une porte de sortie.

George Devereux joue en effet l'homme providentiel pour Jimmy P. Impressionné lors de leur première rencontre, le français va rapidement gagner sa confiance lorsqu'il mettra en avant sa culture amérindienne – il a vécu chez les indiens Mohaves -, montrant qu'il est du côté de son patient et non pas qu'il veut le juger sans le connaître. Devereux se retrouve en Jimmy P., car comme lui il est un déraciné, puisqu'il est en effet né en Europe de l'est, dans l'Empire austro-hongrois. Du fait qu'il est son seul patient, cela lui permet de développer un lien fort afin de mieux le soigner et mieux comprendre ce qui le rattache à ses origines et ce qui le rattache à sa famille, mettant en lumière l'imbrication, mais aussi la distinction de l'un par rapport à l'autre dans son mal. A côté de cela, Devereux est filmé presque de façon documentaire dans ses aspects plus privés, plus sensibles, brisant ainsi l'armure du médecin pour exposer l'âme de l'homme.

Une subtile et harmonieuse partition
Ces deux hommes vont se rapprocher, jusqu'à nouer une improbable amitié. D'autant que Jimmy Picard reste un patient, donc à l'écart des discussions médicales et thérapeutiques. Il ne sait donc pas ce que l'on dit de lui. Involontairement, son statut d'étranger lui est constamment rappelé. C'est pourquoi Devereux et lui vont devoir «s'apprivoiser». Instinctivement, Jimmy décide de lui faire confiance une fois les premières preuves apportées (sa connaissance de la culture et du langage amérindien). Au-delà du rapport médecin – patient, l'histoire tourne alors au film sur l'amitié entre hommes. Plus le scénario avance, moins il y a de barrières entre les deux personnages. Ils sont peu à peu traités sur un même pied d'égalité. Traité du point de vue de Jimmy P. au début, un équilibre s'effectue peu à peu au fur et à mesure de l'évolution des relations entre les deux héros. Une subtile et harmonieuse partition qui aboutira à la guérison.

A ce titre, les deux acteurs principaux, Benicio Del Toro et Mathieu Amalric ont su s'approprier les rôles et interpréter des personnages à fleur de peau où l'action est intériorisé et passe par la parole. Des dialogues constructifs qui peu à peu reconstituent le puzzle de la vie de Jimmy P. Presque une prouesse, tant les aspects scientifiques et psychologiques peinent un peu plus à convaincre et à captiver sur la longueur. Des aspects parfois un peu techniques qui heureusement n'empiètent pas sur les rapports humains qui emportent l'adhésion. Les scènes les plus belles étant celles où la caméra se rapproche au plus près de ses personnages, sublimant les côtés les plus intimes de leur relation. La simplification de la réalisation sied bien pour capter l'évolution de leurs rapports, les tensions comme les francs moments de complicité. Un conte américain au final assez réussi de la part d'Arnaud Desplechin.



John Ford et François Truffaut sont ici convoqués dans cette adaptation-pari d'un livre de psychanalyse de George Devereux. Dans Jimmy P., le réalisateur d' «Ester Kahn» et «Rois et Reines» montre deux âmes à nues qui se reconstruisent à leur façon. Dans le cœur de ces deux hommes transitent des émotions brutes et fragiles que parviendront à canaliser l'entraide mutuelle. Une histoire vraie portée par deux acteurs non moins vrais dans leur jeu et qui participent pour beaucoup à la réussite de ce film. 




jeudi 24 octobre 2013

Michael Kohlhaas : Cheval de bataille

Adaptation d'une nouvelle écrite au XIXe siècle, une histoire médiévale captivante et mélancolique, avec un grand Mads Mikkelsen.




XVIe siècle. Michael Kohlhaas est un marchand de chevaux qui mène une vie heureuse et prospère dans les Cévennes en compagnie de sa femme Judith et de sa fille Lisbeth. Un jour, contraint de laisser deux de ses chevaux à un baronnet local pour payer une taxe, il les retrouve blessés. De plus, le valet chargé de s'en occuper a été tué. Tentant de plaider sa cause auprès de la princesse, il est débouté, et Judith assassinée. Il décide alors de monter une armée pour rétablir son bon droit, mettant le pays à feu et à sang...

Un homme profondément blessé
Michael Kohlhaas est un personnage présenté comme plutôt gentil au début du film. Il est un marchand de chevaux honnête, un mari aimant et un bon père de famille. Un homme normal en somme. Mais les événements vont se retourner contre lui. Ses bêtes sont maltraitées, son valet tué. Et malgré sa foi en la justice, il se sent piégé, le baron faisant jouer ses influences. Même sa femme est assassinée. A la douleur de la perte, il décide alors de répondre par la violence en levant une armée de paysans et de vagabonds. Sa colère rentrée est à la hauteur des dégâts causés dans la région. Mais l'engrenage est enclenché, il ne pourra plus revenir en arrière et son chemin vers la mort sera inéluctable. Pour autant, il ne perdra jamais de vue son but tout au long de sa quête. C'est un homme profondément blessé, un peu comme ses chevaux, mais qui ne montrera jamais sa peine, ses faiblesses, restant un homme fort et droit aux yeux de tous.
Mais Michael Kohlhaas, du moins au début du film, est un homme seul. Isolé face à la machine judiciaire et aux puissants qui décident du droit de vie et de mort sur leurs sujets, il ne possède pour dernière arme que la violence et la peur. Ce qui crée un contraste, car le héros n'apparaît jamais dans le film comme quelqu'un de franchement violent. Sa colère n'est dictée que par la peine et la nécessité de réparation face à l'état de ses chevaux. Mais même s'il ne se laisse jamais dépasser par elle, cela ne résout pas les choses. Il lève une armée désireuse d'aller au bout de son action et de renverser le pouvoir en place, des opprimés qui trouvent là l'occasion d'une expression et de combattre le baron, mais ils sont arrêtés dans leur élan, aux portes d'une grande ville après avoir envahi château et abbaye. Comme quelque chose d'impénétrable, à l'instar de Michael Kohlhaas, dont la personnalité pour les autres peut paraître un peu énigmatique.

Western mystique
Un homme dirigé par sa foi et sa religion. Adaptation d'un roman de l'allemand Ulrich Von Kleist paru en 1810, l'histoire est imprégnée de la culture protestante allemande. Dans l'une des scènes fortes du film, Michael Kohlhaas fait face à un théologien protestant (joué par Denis Lavant) dont il a lu la traduction de la Bible. Celui-ci lui offre la confession si le héros renonce à sa quête. Kohlhaas refuse, mais sortira néanmoins troublé de cette discussion. Une histoire de croyances qui donne à ce film une dimension spirituelle au-delà de l'aspect violent des actions. Dimension qui guide la droiture du personnage principal, puisqu'il refuse d'être assimilé à un pillard en payant aux paysans ses besoins. Ce qui rend son combat populaire. Il a en effet des valeurs, guidé par une vengeance qu'il pense légitime. Tel un leader charismatique guidant un peuple opprimé vers la liberté, il devient au fil de l'histoire le héros médiéval d'un western mystique.
En donnant une dimension spirituelle à son scénario, Arnaud des Pallières place son film au-dessus d'une simple histoire de vengeance ou de combat personnel. Il montre de façon exacerbée les failles de Michael Kohlhaas. Un héros dont la dualité entre la force extérieure et la fragilité, le doute intérieur est permanente. Ses limites sont constamment mises à l'épreuve. Entre compassion et entêtement, il doit en permanence trouver un difficile équilibre. C'est un héros humain, auquel le réalisateur s'attache à le rapprocher des spectateurs malgré les différences d'époque. Son parti pris sans pathos ni lyrisme trop prononcés et les superbes paysages renvoient les êtres à leur propre humanité et leur propre solitude face au monde. Mais en voulant maîtriser son sujet, il tient trop les rênes de son histoire, ne la laissant pas trop déborder du cadre, ce qui créé une distance, ne distribuant l'émotion qu'au compte-goutte.


Ce conte philosophique mis en images par Arnaud des Pallières met un homme et ses valeurs morales face à la brutale réalité du monde. Michael Kohlhaas est un père de famille en quête de vengeance autant qu'un héros en recherche de sa place sur la terre. Cela l'amène à réfléchir sur lui-même et sur ses actes. Un homme incarné par Mads Mikkelsen, dont la personnalité complexe est montrée sans aucun manichéisme. Une chevauchée sauvage de toute beauté.


mardi 8 octobre 2013

Grigris : Alors on danse ...

Entre comédie sentimentale et sombre fable sociale dans une Afrique oscillant entre modernité et tradition, un film moins naïf qu'il n'y paraît.



Grigris (Souleymane Démé) a 25 ans. Son rêve serait de devenir danseur. Seulement, il a une jambe paralysée qui l'empêche d'accomplir son objectif. Alors pour gagner sa vie, il se débrouille comme il peut, et notamment en tant que photographe. C'est comme ça qu'il rencontre la jolie Mimi (Anaïs Monory), une aspirante mannequin, dont il tombe amoureux. Un jour, son oncle tombe gravement malade. N'ayant pas suffisamment d'argent, il décide de se rapprocher de trafiquants d'essence pour pouvoir le sauver.

Le rêve en philosophie de vie
Grigris est un personnage résolument positif qui a érigé le rêve en philosophie de vie. Il veut devenir danseur. Sa jambe paralysée l'en empêche ? Peu importe : il pratique quand même ses drôles de chorégraphies dans les bars devant un public étonné ou conquis. Et notamment Mimi, une jeune fille qui désire se lancer dans le mannequinat. Grigris est également un homme volontaire. Quitte à transgresser la loi auprès de trafiquants d'essence pour gagner de l'argent lorsque son oncle tombe malade. Ni inconscient ni naïf, il connaît les risques pris pour atteindre son but. Malgré un premier échec, il persiste auprès d'eux car il n'a pas le choix et veut absolument atteindre son objectif. Il veut faire le bien autour de lui. Mais il apprend à ses dépends que ce n'est pas si simple et que, seul, ses moyens de lutte sont limités. Grigris, on le voit ici, est donc quelqu'un capable de se mouvoir pour lui et pour les autres.

Il se meut entre deux univers, celui du «bien», sa famille, et celui du «mal», les trafiquants. Il s'adapte à son quotidien ainsi qu'à celui des autres, car ils ont des intérêts communs, même si leur finalité est différente. Mais dans un cas comme dans l'autre, Grigris reste un jeune homme intègre, car il fait ça par nécessité. Il agit. Bouge. Le mouvement est sa vie. On le voit dans sa danse très personnelle et très expressive. Même son étrange démarche due à sa jambe devient une chorégraphie en soi. Il danse sa vie. Ce sont ces mouvements qui attirent l'attention sur lui, qui le font remarquer, notamment auprès de Mimi. Il a su faire de sa différence, de son handicap, une force, une qualité. Il attire la sympathie malgré son anormalité. Il incarne ainsi une Afrique en mouvement. Une Afrique encore déchirée entre ses traditions et une volonté de modernité, notamment de la part de sa jeunesse, éprise de libertés nouvelles pour lesquelles ils se battent, comme Grigris.

Paysage en mutation
La ville exprime bien ce changement d'ère. Elle est filmée dans tout son dynamisme, sa diversité, avec notamment les bars, lieux de rassemblement de la jeunesse où l'on y va pour se faire voir, se faire remarquer (C'est ce qui se passe pour Grigris avec sa danse par exemple). Le paysage africain est en pleine mutation, en constante et rapide évolution, avec une architecture stricte, qui peut vite s'avérer oppressante. Ici, elle distille, dans la nuit, un sentiment de danger. Grigris, dans sa quête de liberté, lors de sa fuite, quittera cette ville pour les villages plus traditionnels encore très présents, très ouverts et très protecteurs. La solidarité des villageois fonctionne, alors que les villes sont la représentation de la solitude des individus. Elle intègre encore mal. Deux mondes qui se côtoient sur un même territoire, comme deux états d'esprit contradictoires contraints de cohabiter. Finalement, ces villes symbolisent bien l'être humain.

Mahamat Saleh Haroun montre au travers de son personnage principal un monde en mouvement duquel l'Afrique n'est pas exclue. Elle veut bouger, avancer. En ce sens, Grigris incarne l'Africain moderne, épris de rêves, de libertés. Il est optimiste. Le réalisateur filme, à travers lui et malgré les sombres réalités, un aspect joyeux du continent noir. Il donne à voir particulièrement cette jeunesse porteuse d'espoir. En dépit de sa jambe paralysée, Grigris danse quand même. Il se dit que tout est possible et fait de son handicap un atout. Il n'est pas prisonnier de son corps, il le maîtrise. Comme un signe positif d'une population qui regarde vers l'avenir avec confiance. Loin du pathos, le réalisateur tchadien donne sa vision de l'Afrique moderne, son point de vue bienveillant de territoires devenus adultes et qui s'émancipent tout en n'oubliant pas ce qu'ils doivent comme part d'équilibre aux cellules familiales, gardiennes des valeurs et des repères encore essentiels dans leur histoire.



Grigris est un film simple mais non dénué de charme. On suit les péripéties du héros non sans déplaisir, ses amours, ses petites combines pour trouver de l'argent. Et surtout les scènes dansées, qui apporte des moments de respiration et de poésie dans une réalisation qui trouve son équilibre entre le clair et l'obscur. Grigris nous fait passer un agréable moment autant qu'un voyage au cœur d'une Afrique auquel Mahamat Saleh Haroun déclare son amour au travers de ce film. 







jeudi 19 septembre 2013

Revenge : Dumas made in USA

Nouvelle libre adaptation du Comte de Monte-Cristo, cette série américaine raconte un jubilatoire et glamour jeu de massacre.




Amanda Clarke (Emily Van Camp) est une jeune fille orpheline de mère. Avec son père, David, elle vit dans un chalet dans les Hamptons, à côté des Graysons, une riche et influente famille. Un jour, la police débarque chez eux et arrête David, accusé d'actes de terrorisme. Battu à mort par un codétenu en prison, il laisse derrière lui des preuves de son innocence à sa fille. Sous le nom d'Emily Thorne, celle-ci revient alors sur les lieux de son enfance vingt ans après les faits avec pour seuls buts découvrir la vérité et se venger de ceux qui ont précipité la chute de son père...

Quête solitaire

Diffusée depuis 2011 sur ABC aux États – Unis, Revenge met en scène l'histoire d'une fille cherchant à réhabiliter la mémoire de son père, et ce par ses propres moyens. Une quête solitaire mais pas sans alliés contre un ennemi qu'elle compte bien détruire de l'intérieur, et ce par tous les moyens possibles. Mensonges, espionnage, manipulations, tout y passe. Sous ses dehors de fille propre sur elle et bien sous tous rapports, Amanda cache le secret d'une enfance difficile marquée par les accusations contre David, qu'elle croit coupable pendant des années avant d'avoir entre ses mains les preuves de son innocence. Préparant minutieusement sa vengeance, elle revient là où tout a commencé une fois prête à mettre son plan à exécution. Revenue (presque) incognito, et sous un nom d'emprunt, elle va semer la pagaille chez les Graysons, mais également découvrir des vérités enfouies sur elle et sa famille.

A ce jeu dangereux, elle peut compter sur Nolan Ross (Gabriel Mann), un jeune milliardaire doué en informatique, qui connaît la véritable identité d'Emily Thorne pour avoir été un proche de David Clarke. Il lui est loyal, malgré les tensions qui se font parfois sentir entre eux. Parmi les autres personnages qui peuplent les Hamptons, il y a Jack Porter (Nick Wechsler), qui a repris le bar Stoweaway au décès de son père. Il ne reconnaît pas Emily/Amanda, alors que celle-ci est son amour d'enfance et qu'il a même baptisé son bateau le Amanda. Mais il y a aussi les Graysons, richissime et très influente famille. Le patriarche, Conrad (Henry Czerny), était l'employeur de David. Marié à Victoria (Madeleine Stowe) depuis 25 ans, ils ont deux enfants, Daniel (Joshua Bowman) et Charlotte (Christa B. Allen). Mais les révélations et autres scandales qui éclatent mettent peu à peu leur couple en péril. Ce sont les principaux ennemis d'Emily, qui les accuse d'être à l'origine des attentats terroristes et de s'être servis de son père comme d'un bouc-emissaire.

De Edmond Dantès à Lisbeth Salander

Amanda Clarke est une Edmond Dantès au féminin. Comme lui, elle a connu des années d'enfermement. Le trésor de l'île de Monte Cristo est ici symbolisé par la boîte que lui a légué son père à sa mort, et qui contient les éléments permettant à sa fille de préparer sa vengeance. Le changement d'identité fait aussi parti des points communs partagé par les deux personnages. On retrouve aussi la thématique de la conspiration, présent dans l’œuvre de Dumas autant que dans la série. Enfin, maître Takeda, un mystérieux japonais, pourrait ici être considéré comme l’équivalent de l'abbé Faria. C'est en effet lui qui enseigne à Amanda les arts martiaux et la prépare mentalement à atteindre son but. Mais il y a aussi du Lisbeth Salander chez elle. L'héroïne de la trilogie Millenium de Stieg Larsson et Amanda partagent en effet le même objectif de vengeance pour leur père, ainsi qu'un tatouage-symbole (ici, un double zéro signifiant le double infini).

Revenge n'est toutefois pas sans défauts. Les apparences trompeuses chez les gens fortunés ont déjà été souvent exploitées en littérature, au cinéma ou à la télévision. Le hacker qui peut vous manipuler n'importe quel écran en deux temps trois mouvements est une solution un peu facile. Et introduire de nouveaux personnages pour relancer l'intrigue lorsque celle-ci tourne en rond est une solution qui manque parfois de pertinence. Mais malgré ça, la mécanique de la série est telle qu'une fois happée, le téléspectateur ne peut plus décrocher. On s'attache rapidement aux personnages, on a envie d'accompagner Amanda dans sa quête de vengeance et de la voir réussir, et on attend le sadique rebondissement de fin d'épisode qui nous fait guetter avec impatience le prochain épisode. Bref, une technique archi - classique dans lequel les américains sont passés maîtres mais qui marche toujours lorsque l'histoire que l'on veut nous raconter nous intéresse.


La vengeance. Un sujet universel exploitable à l'infini. Une autre récente série tournant autour de ce thème, House of Cards, et se passant dans le milieu de la politique, est là pour en attester. Cela peut parfois donner de passionnantes histoires, comme c'est le cas ici. Une narration qui s'inscrit dans les pas des grands romans-feuilletons dont les trois mousquetaires de...Alexandre Dumas en est un des exemples. Sans être exceptionnelle, Revenge est une série à suivre pleine de potentiels.





jeudi 12 septembre 2013

La Grande Bellezza : Sermon sur la chute de Rome

Après This must be the place, Paolo Sorrentino poursuit son travail sur les personnages en décalage avec leur époque.





Jep Gambardella (Toni Servillo) est un journaliste vivant à Rome, un dandy mondain vieillissant et érudit, dont tout le monde recherche la compagnie lors des nombreuses soirées auxquelles il participe. Auteur d'un livre à succès dans le passé, L'appareil humain, il souhaite se remettre à écrire sans pour autant y montrer une quelconque volonté. Faisant preuve d'un certain cynisme et d'un dégoût de lui-même, il vit dans la nostalgie d'un amour de jeunesse, avec en toile de fond la ville éternelle...

Un peu ici, un peu ailleurs

Le réalisateur italien Paolo Sorrentino revient jouer à domicile pour son nouveau film. Une œuvre originale pourtant très inspirée par la littérature. Le personnage principal a écrit un livre qui a eu les honneurs d'un prix littéraire, et parle des écrivains en bon journaliste cultivé qu'il est. Le film lui-même débute par un extrait tiré du livre de Céline, Voyage au bout de la nuit. La Grande Bellezza bénéficie d'un scénario très écrit, avec des personnages haut en couleur et des dialogues savoureux. Un scénario qui se suit et se déguste comme les bonnes feuilles d'un bon classique. Un film qui parle de notre époque sans que pour autant les différents protagonistes y soient ancrés de façon nette. Ils y ont un pied, et un autre dans le passé. Un peu ici, un peu ailleurs, comme pour mieux se moquer d'eux-même et de leurs contemporains. Un recul parfaitement illustré par son principal protagoniste, incarnation de l'esprit du film.

En effet, Jep Gambardella est un personnage mondain et spirituel, un dandy décadent qui ne se sent pas vraiment à sa place dans notre époque. Il repense sans cesse à son glorieux passé, au point de vouloir renouer avec celui-ci en voulant écrire un second livre, après un premier ouvrage, l'appareil humain, auréolé de succès et bardé de prix lors de sa sortie. En outre, sa compagnie est très recherchée, il a de nombreux amis, mais il est terriblement seul. Il vit au quotidien avec sa mélancolie. A l'automne de sa vie, il se sent à un tournant et se demande à quoi il peut encore bien servir. Il a une vision sévère sur ce monde qui ne sait pas où il va. Mais les fêtes aident à détourner la tête des véritables problèmes. Les gens s'amusent et prennent les choses à la légère. Et c'est auréolé de cette frivolité que tout le film se passe, ni franchement drôle, ni clairement sombre. Un clair-obscur qui bénéficie d'un cadre idyllique.

Un grand et fiévreux cri d'amour

Ce cadre, c'est Rome. Ville éternelle aux paysages superbes qui émeut et tétanise, une ville lumineuse filmée comme une femme insaisissable dont on est éperdument amoureux. L'acteur principal d'une œuvre qui lui rend hommage dans tout ce qu'elle a de merveilleux et de mystérieux. Et qui influence profondément le caractère des personnages, en adoucissant ou bien au contraire en renforçant la personnalité des uns et des autres. Une ville indomptable, à l'image des hommes qui y vivent et ont la lourde tâche de l'incarner. Une troublante beauté qui écrase les protagonistes et qui les renvoient à leur propre humilité. Elle dégage un charisme qui les dépasse, une sensualité unique qui hypnotise et séduit immédiatement celui qui veut bien la connaître. Une ville ancienne et moderne. Une ville à laquelle le réalisateur a décidé de déclarer un grand et fiévreux cri d'amour. Une star filmée dans ce qu'elle a de plus violent, de plus brut, de plus nue.

Une ville qui incarne parfaitement le caractère des personnages, leurs émotions. Cette mise à nue semble être dictée par le lieu de l'action. Un peu comme si elle devait être faite ici et maintenant, et qu'ailleurs elle n'aurait pas été possible. Au contraire, il y a une influence mutuelle. Rome change les hommes, et les hommes changent Rome. L'un ne fonctionne pas sans l'autre. A l'instar de la bande-son du film, elle oscille entre deux rythmes, celui de l'avenir et celui de la tradition. Comme les personnages, elle est entre deux rives. Jep Gambardella, par exemple, s'interroge sur son passé autant qu'il se demande de quoi son futur sera fait. Il ne porte pas un regard très optimiste sur ses contemporains, pourtant il doit continuer à vivre, à sourire, à rêver, à aimer. Se battre contre ses démons. Ses états d'âmes sont captés par Paolo Sorrentino qui, avec beaucoup de sensibilité, de discrétion, d'acuité et d'humour, se place sur les traces d'un cinéma italien en plein renouveau. 

Des sexagénaires, qui ont oublié d'être sage, en liberté : voilà ce que nous donne à montrer le metteur en scène d'Il Divo. Et mise en scène est le parfait mot, tant ces personnages truculents se servent de Rome comme d'un décor de théâtre dans lesquels ils évoluent à leur guise, parfois jusqu'à l'auto-caricature. En creux, ils nous renvoient aussi un peu à nous, à nos petites manies, nos regrets et nos joies. Des personnages moins éloignés de nous qu'ils n'en ont l'air en fait... 

mercredi 4 septembre 2013

Baz Luhrmann : Magnifique "Gatsby"


Le réalisateur de « Moulin Rouge » signe une nouvelle adaptation très réussie du roman culte de Francis Scott Fitzgerald.




1922. Nick Carraway, jeune écrivain, s'installe à New York, ville de tous les possibles, auprès des milliardaires qui y vivent. Là-bas, il y revoit sa cousine Daisy, ainsi que le mari de celle-ci, Tom Buchanan. Un soir, Nick participe à l'une des soirées mondaines organisées par son mystérieux et richissime voisin, Jay Gatsby. Grâce à cette rencontre, il va se retrouver plongé au cœur d'un univers fascinant, fait d'excès, de fêtes, de mensonges, de tromperies et d'oubli.

Témoin de son temps
Nick Carraway (Tobey Maguire) n'a rien d'un arriviste. S'il vient à New York, c'est uniquement parce que c'est là que tout se passe, le centre névralgique du mouvement post - Première Guerre mondiale, l'épicentre d'une époque qui se trémousse au son d'une musique jazz dont la popularité ne fait que croître. Plus qu'un écrivain, il se fait le chroniqueur, le témoin privilégié de son temps, extérieur d'abord, puis intérieur au fil de ses rencontres, notamment avec Jay Gatsby (Leonardo Di Caprio). Tous deux ont des intérêts entendus et communs à leur amitié. Une amitié qui va les mener à tous les excès. Personnage principal au début du film, Nick s'effacera progressivement derrière Gatsby au fur et à mesure de l'évolution de la découverte de ce milliardaire étrange et impénétrable, dont les secrets peu à peu dévoilés vont mener Nick à une cruelle désillusion, à la fin de sa naïveté, et à la perte définitive de son innocence.

Discret au début, afin d'éviter de trop s'exposer, Gatsby va voir au fil de l'histoire le voile se déchirer sur la personnalité factice qu'il s'était forgé, sur l'esquisse qu'il s'était dessiné et dont il croyait les traits solides. Mais les contours étaient trop grossiers pour faire illusion éternellement. Derrière le masque du dandy se cache en effet un homme qui tente par tous les moyens d'échapper à sa condition et de s'élever dans un monde ou le paraître prend le pas sur l'être, où les gens sont jugés à leur condition sociale, leur portefeuille, leurs belles toilettes. Et Gatsby a très bien compris que c'est en construisant un monde de fêtes dans un château de contes de fées pour adultes que se jouent tous les enjeux de pouvoir, d'alliances plus ou moins solides. Personne n'est dupe de cette bulle, mais tout le monde fait comme si. Chacun y trouve son compte. C'est sur cet éphémère que compte Gatsby pour séduire la belle Daisy (Carey Mulligan).

Atmosphère de clair-obscur
L'éphémère, la légèreté semble être ce qui caractérise le «Gatsby» de Baz Luhrmann. Mais en grattant un peu, sous la couche de superficialité qui imprègne la première partie du film, nous est montré une histoire plus sombre aux personnages plus décadents qu'ils n'apparaissent de prime abord. En jouant sur les contrastes et les faux semblants, le réalisateur australien joue les virtuoses de l'équilibre et laisse s'instaurer une atmosphère faite de clair-obscur et de décalages anachroniques, comme en atteste par exemple l'utilisation de la musique, dont des chansons de Beyonce pour ne citer qu'elle (le même procédé a déjà été utilisé dans le passé pour Moulin Rouge). Le scénario est finalement parfaitement en accord avec le personnage de Gatsby : séduisant et riche mais qui cache bien son jeu et se révèle très complexe. A l'instar des relations ambiguës qui relient les personnages entre eux.

A commencer par la relation de fascination entre Gatsby et Nick. Ce dernier, tout d'abord intrigué, va peu à peu se laisser envoûter par le charisme que dégage le milliardaire, et lui restera fidèle jusqu'au bout. Gatsby le considère comme son seul ami, même si il est difficile de savoir si cela est vrai ou s'il s'agit d'un de ses mensonges pour l'amadouer. Car Gatsby a besoin de lui pour approcher sa cousine Daisy, une femme dont il est tombé éperdument amoureux et qu'il veut séduire en l'impressionnant, d'où les immenses fêtes dans sa demeure. Il entre alors en conflit avec Tom, qui lui-même trompe Daisy. Sous les apparences d'homme puissant, Gatsby est surtout un homme romantique qui se laisse aveugler par ses sentiments et qui veut croire que Daisy finira tôt ou tard par quitter son mari pour lui. Mais Gatsby est un homme profondément seul qui utilise des armes factices comme atout et qui se révéleront insuffisantes.


Entre fastes kitsch et gigantesque et drame intimiste, le réalisateur de Roméo + Juliet trouve un parfait équilibre. Superbement raconté, il trouve un ton juste et très personnel pour raconter une histoire déjà connue. Popularisé par Robert Redford, le personnage de Gatsby est campé par un Leonardo Di Caprio qui ne cherche aucunement à copier son aîné, mais au contraire en fait une nouvelle lecture tout à fait passionnante. Tout concourt à faire de ce film une réussite à la fois spectaculaire et crépusculaire.


mercredi 28 août 2013

Only God Forgives : Kill Billy


Le tandem Winding Refn – Gosling est de retour, deux ans après l'excellent Drive. Hélas, cette fois, la réussite n'y est pas.




Fuyant la justice américaine, Julian (Ryan Gosling) a ouvert un club de boxe thaïlandaise à Bangkok. Or, celui-ci n'est qu'une façade, servant à masquer le trafic de drogues qui y est réalisé. Un jour, sa mère, Crystal (Kristin Scott-Thomas), qui n'est autre que chef d'une organisation criminelle, débarque. Elle vient pour chercher le corps de Billy, son fils, tué après avoir massacré une prostituée. Elle demande à Julian de venger la mort de son frère. Il va alors se confronter à Chang, un mystérieux policier...

La loi du Talion
Pour son neuvième long-métrage, le réalisateur danois Nicholas Winding Refn met en scène une histoire où la famille et la violence ont une place prépondérante. L'un n'allant d'ailleurs parfois pas sans l'autre, tant Crystal préférait Billy à Julian. Et, dans le verbe, elle le lui fait sentir, comme en témoigne la scène du dîner, où il est victime de sa colère. Et alors qu'elle ne cherche qu'à appliquer la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent) en voulant à son tour tuer ceux qui ont causé la mort de son fils, quitte à se passer de Julian, ce dernier cherche en permanence des explications, des justifications, arguant que s'il avait tué une prostituée alors Billy devait subir les conséquences de ses actes. Mais son fatalisme autant que son opposition à sa mère ne dureront pas indéfiniment. Le contraste en est d'autant plus saisissant entre son visage neutre, n'exprimant aucun sentiment, et sa propre violence très brutale lorsque celle-ci explose.
Une violence très crue et en même temps très esthétisée, avec des personnages qui sortent les armes et les utilisent en répondant à une sorte de rituel, de code, presque de chorégraphie de danse. Qu'elle soit suggérée ou montrée, celle-ci n'épargne personne, pas même le spectateur, témoin passif, gênant (voire gêné) de ce déferlement de scènes où coups de poings et découpes au sabre se succèdent les unes après les autres. Au contraire de Drive où cette violence soudaine tranchait (sans mauvais jeu de mots) avec le calme apparent du reste de la narration, créant un réel effet, ici tout est traité sur la même tonalité. Du coup, la haine, la vengeance sont filmées à l'identique des autres sujets sous-jacents, comme la recherche de soi par exemple. Tout est sur ce ton monochrome qui s'étire en longueur, sans cassures, rendant le film assez ennuyeux. La beauté de la réalisation ne fait malheureusement pas tout.

Mythologie grecque
Car le seul vrai point positif du film, c'est son esthétisme. A défaut du scénario, c'est par la réalisation que Nicholas Winding Refn sublime son long métrage. L'image est très travaillée, et cela se voit à l'écran. L'histoire de cette quête de vengeance est racontée de façon quasi-mystique, et les séquences subliminales sont aussi belles sur la forme que la violence qu'elle montre sur le fond est parfois insoutenable. Cela peut apparaître comme dérangeant, mais le point de vue narratif est assumé totalement. Le metteur en scène danois fait preuve de personnalité, de cohérence, et va jusqu'au bout de ses idées, quitte à «mourir» avec. Les paysages, les lieux, ressemblent à des peintures, et ses personnages à des héros de mythologie grecque. Malgré des accès de mélancolie parfois un peu déplacés, et que la musique ne surligne que trop, le tout forme un bel écrin visuellement surprenant.
Malheureusement, le visuel ne masque pas le reste. Outre la façon de montrer la violence et qui fait légitimement débat, le reste ne convainc guère. Drive était aussi beau et aérien que Only God Forgives est décevant et ne décolle jamais vraiment. Les acteurs semblent livrés à eux-même. Même Ryan Gosling, dont le visage absent d'expression fonctionnait beaucoup mieux dans le précédent film du réalisateur danois qu'ici, n'y peut pas grand' chose. Seule Kristin Scott-Thomas s'en sort avec les honneurs. Le scénario se perd derrière la réalisation. Le fond est dilué dans la forme, jusqu'au point où celui-ci ne devient plus qu'accessoire. L'impression qui se dégage est celle d'une histoire mal maîtrisée, qui part d'une bonne intention mais dévie trop vite de sa route pour aller se perdre dans des voies sans issues. Le gâchis d'un film prometteur sur le papier, mais qui n'a pas su trouver la bonne idée pour passer correctement de l'écrit à l'écran.



N'est pas Tarantino qui veut. Là où le génial réalisateur américain avait réussi un objet pop divertissant et ultraréférencé avec Kill Bill, Nicholas Winding Refn loupe son sujet en ne l'effleurant qu'en surface, et passe à côté d'un scénario sombre et torturé en sublimant inutilement les plans. L'ensemble apparaît de ce fait fort peu crédible, voire ennuyeux. Plus qu'une vengeance, le metteur en scène nous doit maintenant une revanche, afin de ne pas nous laisser sur une mauvaise impression.