dimanche 21 septembre 2014

Nebraska : Ah si j'étais riche


Une fausse publicité comme prétexte à un retour vers le passé : un road-movie aussi loufoque qu'émouvant d'Alexander Payne.


 

Que feriez-vous si vous remportiez le gros lot suite à un tirage au sort ? Tout pour aller le chercher, quitte à y aller à pied, répond Woody Grant (Bruce Dern), un vieillard du Montana qui veut croire en son rêve, même si celui-ci n'est que fictif, le gain n'étant qu'une fausse publicité. Mais allez l'expliquer à cet entêté qui ne le croira que lorsqu'il le verra. Ne pouvant plus conduire, et face à son obsession, son fils David (Will Forte) n'a d'autre choix que de l'accompagner jusqu'au Nebraska dans son drôle de périple...


Drôle de père

Une opération commerciale qui tourne au rapprochement familial entre un père et son fils dans l'Amérique de la crise : pour son nouveau film, Alexander Payne fait dans le léger mais l'émouvant en mettant en scène Woody Grant, vétéran de la guerre de Corée. Un vieillard alcoolique, têtu et crédule, à la poursuite d'une fortune fictive qui pourrait lui permettre d'acheter un nouveau camion. Obsédé par cette idée, il entraîne dans son périple son fils David, plein de candeur et de compassion pour ce père qu'il connaît finalement si peu. Voulant bien faire en rassurant le reste de la famille, il va se retrouver « propulsé » dans le passé de Woody lorsque ils seront forcé de faire une halte dans le village où celui-ci a grandi. Il va ainsi apprendre à mieux apprivoiser ce géniteur à priori inabordable mais cachant une grande tendresse et une grande fragilité. En le défendant, il se rapproche de lui, des réponses à ce mystère que constitue ce drôle de père.

Un père au comportement parfois infantile, comme en témoigne son entêtement à vouloir aller coûte que coûte chercher un prix qui n'existe pas. Une attitude qui laisse penser à un reste... de crise d'adolescence. Du coup, David se retrouve dans l'obligation de jouer le père de son père, devant ainsi prendre ses responsabilités alors qu'il ne semble pas être un homme de décisions. Pourtant, Woody lui renvoie en creux une image de lui-même, celle d'un jeune homme déjà mature mais hésitant encore à franchir le seuil de la porte de l'âge adulte. Cette aventure un peu absurde va l'aider à grandir. Au travers de Woody, il prend conscience de lui-même et apprends à mieux se connaître. Ce voyage au Nebraska est ainsi autant un détour par le passé pour le père qu'un trajet vers le futur pour le fils. Un voyage qui les fera évoluer dans leur posture et se retrouver sur des chemins de traverse qui leur permettra de renouer la communication entre eux.

Épopée légère et ironique

Woody est donc au cœur de ce film. Mais sa personnalité, et notamment son passé, ne seront peu à peu dévoilés qu'au travers le regard des autres : son frère Ray, son ex-petite amie Pegy, son ancien partenaire Ed Pegram... l'attitude des autres va également changer lorsque l'histoire du « gain » se propage dans le petit village de Hawthorne après que Woody lui-même en ait parlé (alors qu'elle est sensée rester discrète). Un peu d'argent, aussi fictif soit-il, qui va réveiller tensions et rancœurs, y compris au sein de la famille, quitte à ce que bagarre s'ensuive. Un peu d'argent, qui va faire passer au révélateur les différents protagonistes du film, que ceux-ci soient détachés de la valeur matérielle ou changent leur regard sur celui qui le possède. Attitudes envieuses ou ironiques envers la nouvelle « célébrité locale », dont la personnalité s'avère plus complexe et sensible que le type bourru qui nous est donné à voir au début du film.

Alexander Payne filme, dans un noir et blanc stylisé mais qui ne se justifie pas forcément, les drôlatiques mésaventures d'une famille à la remorque d'un patriarche que les rêves de richesse vont entraîner vers un passé et des démons qu'il a toujours fui, toujours tu, mais qu'il ne peut plus cacher, et qu'il va devoir assumer. Pour autant, les proches de Woody ne portent pas un regard de compassion envers lui, mais au contraire c'est plutôt la tendresse qui domine, et tant pis si ils ne le comprennent pas complètement, un peu en retard, un peu à côté. Le réalisateur accompagne leurs sentiments, filme de manière légère et ironique leur épopée, en quête de solde d'un passif qu'ils vont bien malgré eux devoir affronter. Ils accompagnent Woody sur ce chemin, que ce dernier traversera par des raccourcis que lui seul connaît, car il n'en fait définitivement qu'à sa tête. Il se perd, se retrouve, et nous le suivons comme un être familier, le grand-père imparfait réceptacle de notre vision de notre propre fratrie.


Alexander Payne se sert de sa caméra pour faire une photo de famille (é)mouvante avec, au cœur de ce cliché pris sur le vif, un père projeté malgré lui vers ses origines et obligé de déchirer le voile opaque entourant son passé. Un film bien interprété (Bruce Dern en tête), qui provoque plus de sourires que de rires et qui, malgré l'absence de vraies surprises tant dans la réalisation que le scénario, nous fait passer un agréable moment de cinéma au travers d'un Nebraska tout autant inquiétant qu'accueillant.