Dans
son dernier (ultime ?) film, Ken Loach retrace le destin de Jimmy
Gralton, activiste républicain irlandais des années 1920 – 1930.
Manichéen mais frappant d'actualité.
1932.
Après avoir fui l'Irlande ces dix dernières années, Jimmy Gralton,
un activiste républicain, quitte les États-Unis pour revenir dans
le petit comté de Leitrim. Là, il doit aider sa mère à diriger la
ferme familiale. Sous la pression de la population, il se décide à
rouvrir le « Hall », lieu d'apprentissage de la poésie, du chant,
de la danse, mais aussi lieu de réflexion. Cela n'est absolument pas
du goût du curé, le père Sheridan, qui y voit un lieu de
perversion communiste qui risque de lui faire perdre de son
influence...
Personnage
persécuté
Huit
années se sont écoulées depuis la dernière visite en Irlande de
Ken Loach, et sa Palme d'or pour Le vent se lève. Ici, il
adapte la pièce de théâtre de Donal O'Kelly « Jimmy Gralton's
Dancehall », racontant l'histoire d'un activiste irlandais ayant
pris la nationalité américaine, et de retour dans son pays pour
s'occuper de la ferme familiale, dans le petit comté de Leitrim,
après une fuite de dix années. Malgré sa volonté de jouer de
discrétion, il finira par se laisser convaincre par la population de
rouvrir le « Hall », lieu de culture, d'apprentissage et de
découverte au cœur d'une région où le chômage et la pauvreté
règnent. Mais, dans les années 1930, la religion et les traditions
conservent une forte influence. De peur de perdre cette emprise, le
curé, le père Sheridan, entre provocation et dénonciation, finira
par réussir à faire expulser Jimmy Gralton en 1933, seul homme
déporté de son pays sans jugement. Il n'y reviendra plus jamais.
Jimmy
Gralton (Barry Ward) est un personnage éminemment sympathique aux
yeux du réalisateur britannique. En effet, c'est un personnage
persécuté par l'immobilisme de son temps et ses représentants,
politiques comme religieux, qui voient en la figure de Jimmy un
dangereux communiste qui pervertit la jeunesse et la détourne de la
religion. La guerre d'Indépendance, terminée depuis une dizaine
d'années, est encore dans toutes les têtes et continue d'alimenter
les crispations. Mais l'élection d'un gouvernement républicain
représente un souffle d'espoir. Dans ce contexte, le retour du «
fils prodigue » représente une formidable opportunité de soutient
de la part d'un activiste influent et progressiste, défenseur du
peuple et formidable tribun prêt à tout pour rallier le monde à
ses convictions. Un porte-parole que l'on finira par vouloir faire
taire, preuve d'un pays pas encore totalement débarrassé de ses
récents démons.
Esprit
de fronde
Une
histoire qui offre une résonance encore aujourd'hui. Au travers du
personnage du père Sheridan, Ken Loach interroge sur le poids de la
religion encore aujourd'hui, ses résurgences et ses conséquences. A
cela il oppose la fonction divertissante et d'apprentissage de la
culture, celle qui élève, son rôle populaire et qui invite à
penser, à réfléchir face à ceux qui imposent un discours rigide
et de masse, qui ont réponse à tout. Il met en avant le besoin de
la jeunesse de sortir de son ennui et de son isolement, éprise de
liberté, mettant en lumière face à cela les vieux religieux qui ne
veulent surtout pas voir leur échapper leur emprise et leurs
privilèges et souhaitent surtout que rien ne change. Ainsi, d'un
conflit local, le britannique le transforme en message universel
s'adressant au monde, qui invite à se libérer du poids du passé et
à regarder en confiance vers l'avenir, louant au passage l'esprit de
fronde.
Ce
qui s'avère être une formidable histoire de solidarités et
d'humanités se trouve également être un film manichéen. En
érigeant une statue de héros à Jimmy Gralton, il rabaisse aussi le
clergé avec un peu trop de simplicité. Il exprime son point de vue,
politique notamment, ne laissant ainsi pas indifférent, mais ce
parti pris d'un seul camp n'oppose au noir que le blanc, laissant la
complexité des situations et des personnages de côté. Mais Ken
Loach assume. Son Jimmy Gralton représente en effet une nouvelle
pierre dans sa galaxie cohérente, faite d'hommes et de femmes
opprimés en constante lutte contre les ayatollahs de tout bord. Des
hommes et des femmes qui, ici, entourent un « sauveur », qui
représente quelqu'un pour eux, un modèle à suivre. Ils le
défendront jusqu'à la fin, à l'instar de sa mère qui retardera
volontairement les gendarmes pour que son fils puisse organiser sa
fuite. En vain.
Personnage
charismatique, Jimmy Gralton a droit à un portrait hagiographique de
la part d'un Ken Loach qui tire ici sa révérence avec un film de
belle facture. Mais il insiste ici sur le côté film choral, pour
montrer que la solidarité toujours triomphe, et notamment la force
de la jeunesse auquel il croit. Critiquant entre les lignes le retour
au communautarisme dont nos sociétés sont les victimes, il livre
une brillante ode à la transgression, montrant que c'est par la
culture et le collectif que les gens sortiront par le haut. Un film
plein d'espoir en la génération qui vient.