mercredi 10 décembre 2014

La légende de Jimmy

Dans son dernier (ultime ?) film, Ken Loach retrace le destin de Jimmy Gralton, activiste républicain irlandais des années 1920 – 1930. Manichéen mais frappant d'actualité.






1932. Après avoir fui l'Irlande ces dix dernières années, Jimmy Gralton, un activiste républicain, quitte les États-Unis pour revenir dans le petit comté de Leitrim. Là, il doit aider sa mère à diriger la ferme familiale. Sous la pression de la population, il se décide à rouvrir le « Hall », lieu d'apprentissage de la poésie, du chant, de la danse, mais aussi lieu de réflexion. Cela n'est absolument pas du goût du curé, le père Sheridan, qui y voit un lieu de perversion communiste qui risque de lui faire perdre de son influence...

Personnage persécuté

Huit années se sont écoulées depuis la dernière visite en Irlande de Ken Loach, et sa Palme d'or pour Le vent se lève. Ici, il adapte la pièce de théâtre de Donal O'Kelly « Jimmy Gralton's Dancehall », racontant l'histoire d'un activiste irlandais ayant pris la nationalité américaine, et de retour dans son pays pour s'occuper de la ferme familiale, dans le petit comté de Leitrim, après une fuite de dix années. Malgré sa volonté de jouer de discrétion, il finira par se laisser convaincre par la population de rouvrir le « Hall », lieu de culture, d'apprentissage et de découverte au cœur d'une région où le chômage et la pauvreté règnent. Mais, dans les années 1930, la religion et les traditions conservent une forte influence. De peur de perdre cette emprise, le curé, le père Sheridan, entre provocation et dénonciation, finira par réussir à faire expulser Jimmy Gralton en 1933, seul homme déporté de son pays sans jugement. Il n'y reviendra plus jamais.

Jimmy Gralton (Barry Ward) est un personnage éminemment sympathique aux yeux du réalisateur britannique. En effet, c'est un personnage persécuté par l'immobilisme de son temps et ses représentants, politiques comme religieux, qui voient en la figure de Jimmy un dangereux communiste qui pervertit la jeunesse et la détourne de la religion. La guerre d'Indépendance, terminée depuis une dizaine d'années, est encore dans toutes les têtes et continue d'alimenter les crispations. Mais l'élection d'un gouvernement républicain représente un souffle d'espoir. Dans ce contexte, le retour du « fils prodigue » représente une formidable opportunité de soutient de la part d'un activiste influent et progressiste, défenseur du peuple et formidable tribun prêt à tout pour rallier le monde à ses convictions. Un porte-parole que l'on finira par vouloir faire taire, preuve d'un pays pas encore totalement débarrassé de ses récents démons.

Esprit de fronde

Une histoire qui offre une résonance encore aujourd'hui. Au travers du personnage du père Sheridan, Ken Loach interroge sur le poids de la religion encore aujourd'hui, ses résurgences et ses conséquences. A cela il oppose la fonction divertissante et d'apprentissage de la culture, celle qui élève, son rôle populaire et qui invite à penser, à réfléchir face à ceux qui imposent un discours rigide et de masse, qui ont réponse à tout. Il met en avant le besoin de la jeunesse de sortir de son ennui et de son isolement, éprise de liberté, mettant en lumière face à cela les vieux religieux qui ne veulent surtout pas voir leur échapper leur emprise et leurs privilèges et souhaitent surtout que rien ne change. Ainsi, d'un conflit local, le britannique le transforme en message universel s'adressant au monde, qui invite à se libérer du poids du passé et à regarder en confiance vers l'avenir, louant au passage l'esprit de fronde.

Ce qui s'avère être une formidable histoire de solidarités et d'humanités se trouve également être un film manichéen. En érigeant une statue de héros à Jimmy Gralton, il rabaisse aussi le clergé avec un peu trop de simplicité. Il exprime son point de vue, politique notamment, ne laissant ainsi pas indifférent, mais ce parti pris d'un seul camp n'oppose au noir que le blanc, laissant la complexité des situations et des personnages de côté. Mais Ken Loach assume. Son Jimmy Gralton représente en effet une nouvelle pierre dans sa galaxie cohérente, faite d'hommes et de femmes opprimés en constante lutte contre les ayatollahs de tout bord. Des hommes et des femmes qui, ici, entourent un « sauveur », qui représente quelqu'un pour eux, un modèle à suivre. Ils le défendront jusqu'à la fin, à l'instar de sa mère qui retardera volontairement les gendarmes pour que son fils puisse organiser sa fuite. En vain.




Personnage charismatique, Jimmy Gralton a droit à un portrait hagiographique de la part d'un Ken Loach qui tire ici sa révérence avec un film de belle facture. Mais il insiste ici sur le côté film choral, pour montrer que la solidarité toujours triomphe, et notamment la force de la jeunesse auquel il croit. Critiquant entre les lignes le retour au communautarisme dont nos sociétés sont les victimes, il livre une brillante ode à la transgression, montrant que c'est par la culture et le collectif que les gens sortiront par le haut. Un film plein d'espoir en la génération qui vient.   




mardi 25 novembre 2014

Hollywood Ending


Avec « Maps To The Stars », David Cronenberg ajoute de nouveaux personnages bien azimutés comme il faut à sa géniale galerie de monstres.



Hollywood. Stafford Weiss est psychologue et coach de développement personnel. Devenu star grâce à la télévision, il compte dans sa clientèle de nombreuses célébrités. Parmi elles, Havana Segrand, une actrice vieillissante qui cherche à sortir de l'ombre de sa défunte mère. Le fils de Stafford, Benjie, est à 13 ans déjà une vedette de cinéma. Il y a aussi Agatha, l'assistante d'Havana, ou encore Jerome Fontana, qui rêve de devenir scénariste. Tout ce beau monde va se croiser dans les travées de cette décadente usine à rêves...


Victimes du système

Il y a deux ans, dans Cosmopolis, David Cronenberg enfermait Robert Pattinson dans une limousine. En 2014, l'histoire d'amour continue, mais cette fois-ci, il se défait de ses oripeaux de trader pour devenir chauffeur, dans le costume d'un Jerome Fontana ayant pour objectif de percer à Hollywood à la force de ses scénarios. Sans se douter que la réalité lui en offre un beau sur un plateau, noir, violent, radical. Suffit de rencontrer les bonnes personnes. En l'occurrence, ici, Agatha, 19 ans, pyromane tout droit sortie de l'asile (la géniale Mia Wasikowska). Fraîchement débarquée à Hollywood, la jeune fille gantée façon Rita Haysworth dans Gina (pour cacher ses brûlures aux mains, ce qui est moins glamour), a pour objectif de renouer avec une famille qui la rejette. En attendant, elle vient de se dégoter un poste d'assistante auprès d'Havana Segrand (la non moins géniale Julianne Moore), actrice hantée par ses démons.

Démon qui prend la forme de sa défunte mère, Clarisse Taggart, elle aussi actrice, mythifiée du temps de sa splendeur, et dont Havana veut reprendre l'un de ses rôles dans le remake de l'un de ses films. Façon pour elle de les chasser ? En tout cas, pour optimiser ses chances d'aller mieux, elle fait appel à Stafford Weiss (John Cusack), coach de développement personnel et psychologue des stars. D'ailleurs, grâce à la télévision, lui-même en est devenu une. Sa femme, Christina (Olivia Williams), s'occupe quant à elle de leur petit Benjie (Evan Bird), 13 ans, et déjà passé par la case desintox suite au succès mondial d'un film dont il est la vedette et qui lui a très rapidement fait perdre la tête. Mais bien sûr, pour son image et celui de son père, il vaut mieux que la presse people ne sache rien de ce séjour. Ils sont tous les victimes, cyniques, naïves ou consentantes d'un système cruel qui n'épargne rien ni personne.


Planète à part

Et le réalisateur de La mouche s'amuse à faire exploser tout cela, méticuleusement. Il tisse la toile autour de personnages qui fatalement ne pourront pas y échapper et s'échapper. Mais le veulent-ils vraiment ? Car leur cage dorée qui les étouffent aux murs qui se rapprochent d'eux inexorablement sont comme des draps de soie qui endorment leur vigilance, sans qu'aucun d'entre eux n'ait conscience de la violence à l'extérieur. Avec les médicaments, l'alcool, la drogue ou les coachs pour tenir, autant de dépendances qui les éloignent de leurs démons pour mieux se rapprocher d'autres enfers, toujours plus attirants. Toutefois, la réalité les rattrape toujours, même s'ils se refusent à la voir et cherchent à l'éloigner le plus loin possible. Sauf que le microcosme d'Hollywood, à la fois planète à part et rêve tangible, constitue une société fermée, à l'affût du moindre scoop et de la moindre rumeur pour alimenter les légendes.

Les stars ne se construisent que sur leurs déboires. C'est en substance ce qui nous est montré à l'écran. Plus besoin du maquillage de la mise en scène, plus personne n'est dupe. Le vernis a depuis longtemps craqué. Tout sonne faux, sauf les sentiments – souvent de haine – qui anime les personnages. Plus personne ne fait illusion. Hollywood crée la vacuité dans lequel les candidats à la gloire éphémère s'engouffrent, des étoiles plein les yeux, et ne se définit que dans la négation d'elle-même. Un air pourtant connu de tous. Air qui, ironiquement, est illustré par le célèbre poème de Paul Eluard : « Liberté, j'écris ton nom... », qui revient comme un leitmotiv tout au long du film. Comme une forme d’auto-persuasion au cœur d'une société enchaînée, sur laquelle David Cronenberg se déchaîne. Il prend un malin plaisir à casser le jouet avec lequel pourtant il veut continuer de s'amuser. Mais en inventant ses propres règles de cette superbe partie de massacre.


David Cronenberg repousse les limites de la critique du star-système en entraînant ses personnages sur des territoires desquels aucun ne sortira indemne. Jeunes ou moins jeunes, personne n'est innocent. Tous sont alignés sur le même banc des accusés, et le jugement dernier est sans appel. Mais la distance mise entre lui et ses « héros » passés à la broyeuse remet finalement Hollywood à sa place, et son film épouse le regard que les gens ont sur l'industrie du cinéma. L'un comme l'autre ne sont que des divertissements.








mercredi 12 novembre 2014

A cheval sur la folie


Dans The Homesman, sa troisième réalisation, Tommy Les Jones incarne un Cow-boy déjanté et bourré d'humanité. Une très belle surprise.
 



Nebraska, 1854. Trois femmes ayant sombré dans la folie sont confiées à Mary Bee Cuddy, une femme forte qui s'occupe seule de sa ferme, afin de les emmener chez un pasteur, dans l'Iowa, pour qu'elles puissent être prises en charge. Sur la route, elle croise George Briggs, un homme rustre menacé de pendaison. Elle le sauve, et celui-ci, contre la somme de 300 dollars, accepte de la suivre dans son périple dans les grandes plaines et de faire face avec elle aux multiples dangers...


Amérique des grands espaces

Pour son troisième film en tant que réalisateur, Tommy Lee Jones retourne au genre du western, 9 ans après Trois enterrements, qui lui avait réussi. Via l'adaptation du roman de Glendon Swarthout, « le chariot des damnés », il se – et nous – replonge dans l'Amérique du 19ème siècle, celle des grands espaces, des bandits de grands chemin et de la ruée vers l'or. En cousin pas si éloigné de Henri Moon (alias Jack Nicholson dans En route vers le grand sud, réalisé par l'acteur en 1978), il interprète un George Briggs tout à la fois bourru et bourré d'humanité. Cœur de pierre qui se laissera surprendre, bien qu'il s'en défende, par la beauté de Mary Bee Cuddy ; un cabotin, qui finira par se faire amadouer malgré lui par une femme au caractère bien trempé et déterminée à ne pas se laisser faire par cet olibrius qui sort d'elle ne sais où mais dont elle aura besoin pour affronter tous les obstacles que recèle sa route vers l'Iowa.

Le principal atout réside en effet sur la rencontre de deux personnages forts qui révéleront leurs fragilités et fendront l'armure dans des décors et des situations propices à cela. Mary Bee Cuddy est une bonne chrétienne. Célibataire endurcie, elle est guidée par l'amour de son prochain tout en espérant qu'un jour cet amour lui soit rendu par un homme avec lequel elle pourrait fonder un foyer. Mais le seul qu'elle croise sur son trajet vers l'Iowa est un homme solitaire et égoïste qui n'en fait qu'à sa tête, n'acceptant d'accompagner le convoi que pour l'argent, en espérant que les cinq semaines du périple passent le plus rapidement possible. D'apparence insensible au premier abord ni au sort de Cuddy, ni à celle des trois femmes qu'il doit convoyer, il va au fur et à mesure des dangers à affronter se laisser apprivoiser, révélant de lui des facettes que lui-même semblait avoir oublié, tant il les avait enfouies. Mais elles vont ressurgir malgré lui, imperceptiblement.

Perte ou rédemption

C'est ce qui fait de ce western humaniste une réussite. On y retrouve ici les codes : les cow-boy et les indiens, les trajets sans fin vers des lointaines contrées, la poussière ocre, le vide. Mais contrairement aux grands films sur le Far-West, à dominante masculine, ici c'est une femme qui joue les héroïnes, prenant ses responsabilités sur la tâche qui lui est incombé. Et Mary Bee Cuddy est accompagnée sur sa route par un anti-héros qui s'avère être autant une aide précieuse quant à sa connaissance du territoire qu'un boulet à cause de la légèreté de son comportement. Mais le silence est également omniprésent. Celui des sentiments. Ou plutôt de son absence. Cuddy, qui rêve de fonder une famille, finit par espérer que Briggs sera – par défaut ? - le père de ses futurs enfants. Sauf que lui est éloigné de toutes ces préoccupations. Ce solitaire s'ouvrira néanmoins au contact de ces femmes, au travers de cette singulière traversée.

Tommy Lee Jones filme ici une Amérique du 19e siècle belle comme une œuvre picturale, contemplative et fantasmée. Une Amérique où la religion tient déjà une place prépondérante et où les plus fous ne sont pas forcément ceux qu'on croit, délimitant de manière floue les frontières. Dans un contexte où l'atmosphère reste lourde et dans laquelle la violence continue de s'épanouir dans les lisières, George Briggs est un personnage-bouffon qui permet d'alléger l'air ambiant et de créer un décalage humoristique dans un film qui ne l'est pas toujours. Mais il est surtout supplanté par Mary Bee Cuddy (Hillary Swank), personnage de femme forte dans une mythologie qui en compte peu. Deux personnages proches dans un décor vaste, hostile, contraignant, qui avancent main dans la main, dans une entraide mutuelle qui vont les changer profondément, jusqu'à la perte ou la rédemption.



Dans The Homesman, Tommy Lee Jones filme deux personnages livrés à eux-même dans un territoire qui ne veut pas d'eux. Un convoi de marginaux, où la présence des trois femmes leur rappelle constamment que la folie menace et n'est jamais très éloignée. Mais la présence de la vie est malgré tout omniprésente, car il faut bien faire avec, qu'elle soit menée avec rigueur (Cuddy) ou détachement (Briggs). Deux facettes d'un même monde, deux êtres qui se nourrissent l'un l'autre pour mieux supporter cette traversée et la dédramatiser.
 
 
 


lundi 20 octobre 2014

Nicole Kidman rend Grâce à Monaco


La mise en scène un brin rétro du réalisateur français Olivier Dahan et l'interprétation de l'actrice australienne sauvent ce film, par ailleurs assez inégal.
 
 


Grâce Kelly, l'étoile montante du cinéma hollywoodien, promise à un brillant avenir, se marie en 1956 avec le Prince Rainier de Monaco. Mais au début des années 60, éloignée des paillettes américaines, elle s’ennuie et se sent seule et enfermée dans son palais. De plus, son couple connaît de graves difficultés. C'est à ce moment-là, et dans un contexte de volonté de l'annexion de la Principauté par la France, qu'Alfred Hitchcock la réclame pour le tournage de son prochain film. Grâce va ainsi devoir choisir entre son désir d'artiste et son devoir de Princesse et d'épouse...


Stature politique

Il était une fois une actrice de talent qui avait mis Hollywood à ses pieds. Son indéniable talent séduisait aussi bien les réalisateurs que les hommes. Elle vivra le rêve de princesse de nombres de filles en tombant amoureuse du Prince Rainier de Monaco. Ils se marièrent et eurent trois beaux enfants. Le conte de fée s'arrête là, car la réalité est beaucoup plus complexe que dans les livres. On ne naît en effet pas princesse, on le devient. Mais ce rôle permanent ne lui convenant plus, elle cède de nouveaux aux sirènes californiennes lorsque Alfred Hitchcock lui propose le rôle principal de Marnie. Au risque de déserter le royaume, au moment où celui-ci est confronté à une crise politique avec son voisin français. On suit donc ici le parcours d'une femme tiraillée entre ses désirs professionnels et son obligation de représentation d'un Royaume menacé et qui a besoin d'elle, dans une stature politique dont elle ne maîtrise pas tous les codes.

Car en épousant Rainier, elle épouse également la fonction de Princesse. Elle finira par l'apprendre. Au sens figuré, mais aussi au sens propre. Comme un rôle, elle se fait enseigner les rudiments, de la culture générale à la diction. Elle s'ennuie, se plaint de ne faire que de la figuration, veut changer de film, mais le scénario du monde réel va l'obliger à étoffer son jeu et à s'octroyer le premier rôle. C'est face aux événements que Grâce va se révéler, enfiler malgré elle son costume au début trop grand pour elle, mais qu'elle taille à sa mesure pour « habiter » totalement son personnage à la fin, au milieu d'un public sceptique qu'elle devra conquérir. Si, au début du film, elle a du mal à choisir entre sa carrière artistique et sa vie privée, l'accélération de l'Histoire va la décider malgré elle, contre elle. Et seule, car le Prince Rainier semble ne jouer que les seconds rôles et ne pas se soucier des états d'âme de sa femme, trop occupé à ses affaires politiques.


Deux vies publiques

Si en apparence Grace de Monaco raconte en creux une histoire de couple, en vérité la comédienne-princesse en est la seule réelle vedette, que son mari ne lui volera jamais. Il gère sa principauté, et voit d'un mauvais œil les velléités de retour au cinéma de sa femme. Pour lui, sa place est auprès de lui et de leurs enfants, au palais. Il ne comprendra jamais vraiment sa femme. Celle-ci a du mal à trouver sa place au-delà du simple protocole, mais il ne l'aide pas beaucoup. Elle va ainsi devoir prendre seul son destin en main. Sa transformation en Princesse va se faire sans que son mari en soit conscient ou attentif. Il la tient éloigné des responsabilités et obligations politiques. Au travers de cette situation on assiste ici à l'opposition entre deux vies publiques, celle de la représentation et celle du réel. Celle de l'échappatoire au quotidien et celle de l'action, où elle va devoir laisser tomber le masque et agir en femme et faire oublier l'actrice.

Une actrice qui prend toute la lumière à elle. Du coup, les seconds rôles sont un peu laissés de côté, déséquilibrant le film. Si Olivier Dahan, dans sa façon de réaliser, bien aidé par la partie technique (lumière, photo, décor, costume...) rend un subtil hommage aux longs-métrages des années 50 et 60, son scénario n'en est pas moins un brin longuet et manque un peu de profondeur et d'émotion. On pourrait également s'amuser des obligations dues à la production internationale (pourquoi diable le Prince Rainier et Charles de Gaulle dialoguent-ils en anglais ?), ou la trop importante dramatisation du conflit entre Monaco et la France. Mais Nicole Kidman campe une Grâce crédible, qui rend parfaitement à l'écran cette femme qui lutte contre ses conflits internes, entre ce qu'elle désire et ses obligations qui ne permettent pas de les réaliser. Un choix entre deux personnages et le sacrifice de l'un d'entre eux pour s'abandonner totalement à l'autre.



Être ou ne pas être une princesse : telle est la question que se pose Grâce de Monaco, et Olivier Dahan la suit dans ses interrogations et son évolution sur la question et sa recherche progressive de légitimité et de crédibilité. Une princesse glamour qui dans un écrin qui ne l'est pas moins doit trouver le bon chemin entre conte de fée et réalité. Nicole Kidman porte ce film sur ses épaules et mérite à elle seule le détour d'un film pas toujours à la hauteur mais qui ne manque pas de charme, à l'instar de son héroïne.
 
 
 
 

vendredi 3 octobre 2014

Deux jours, une nuit : mon job ma bataille


Un combat pour l'emploi à hauteur d'Homme : la simplicité du scénario fait ici la force du nouveau film des frères Dardenne.


 
 

Sandra (Marion Cotillard) bosse dans une petite entreprise de fabrication de panneaux solaire. Heureuse en ménage avec son mari, elle doit toutefois faire face à un coup dur : un risque de licenciement économique. Elle pourrait perdre son emploi, à moins que ses collègues ne votent pour son maintien au sein de la boîte. Au risque dans ce cas de devoir renoncer à leur prime de 1000 € promis. Sandra a donc un week-end pour les convaincre de la maintenir à son poste. Un combat pour conserver son travail débute alors...

Combat ordinaire

Après Rosetta ou encore Lorna (Le silence de Lorna, 2008), Sandra est la nouvelle héroïne de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Une héroïne qui, à l'instar de Samantha (Cécile de France dans Le gamin au vélo, 2011), refuse de voir la fatalité et décide de se battre. Si cette dernière décidait de faire preuve d'humanisme envers un enfant rejeté et désœuvré, Sandra compte elle sur la solidarité des uns et des autres, espérant que le lien social au sein de l'entreprise dépassera l'intérêt économique personnel. Mais pour cela, elle va devoir surpasser sa fragile santé ainsi que sa honte de devoir faire du porte à porte pour demander à ses collègues de renoncer à une prime pour elle. Dépressive, elle manque de défaillir à plusieurs reprises. Heureusement elle peut compter sur le soutien sans faille de son mari, qui la pousse à faire fi des obstacles et à aller au bout de son défi afin que celle-ci conserve son emploi et sa dignité.

Et les caméras des frères belges la suivent au plus près de son quotidien, façon documentaire comme ils ont l'habitude de le faire. Ils captent une tension, vive, sur le fil, constamment accrochés aux basques de Sandra. Ils la filment dans ses angoisses, ses joies, ses déceptions, lorsque elle reste à la porte devant l'interphone comme ses réussites lorsque ses collègues lui assurent de leur vote positif le lundi matin. Le moindre sourire, la moindre émotion est captée par une caméra-réceptacle des émotions du personnage principal, un peu tremblante mais toujours vivante. Une histoire simple mais qui laisse toute latitude à son héroïne dans ses pas, dans ses choix. Les moments intimes ou publiques, rien n'échappe à l’œil acéré des réalisateurs du Fils du chemin de croix de Sandra dans sa quête de retourner un à un les salariés de la petite entreprise. Un combat ordinaire mené tambour battant par une bonne Marion Cotillard.

Un « pas grand-chose » essentiel

Une frêle femme forte. Voilà comment pourrait se définir Sandra. En incarnant ce personnage dont le but ne paraît pas spectaculaire de prime abord, la comédienne, césarisée et oscarisée pour La môme, porte sur ses épaules quelque chose qui la dépasse : les conséquences du capitalisme et de la crise économique sur une salariée lambda d'une petite entreprise. Elle ne désire qu'une seule chose, c'est conserver un salaire pour pouvoir continuer à vivre. Quitte, dans le cas où elle conserverait son emploi, à se mettre à dos ceux qui seraient contraints à abandonner leur prime. Elle incarne une réalité concrète d'une situation difficilement explicable, un maillon de base d'une chaîne qui dépasse les Nations. Mais Sandra refuse de se laisser dépasser. Elle ne demande pas grand-chose, mais est prête à y laisser sa santé pour ce « pas grand-chose » qui est l'essentiel pour beaucoup de monde.

Une situation qui met les autres salariés face au révélateur du choix. Entre entraide d'autrui et gêne au moment d'annoncer vouloir conserver la prime, chacun réagit à sa manière, en toute conscience. D'autres encore préfèrent fuir la réalité en laissant leur porte close, au risque de décevoir Sandra qui pensait pouvoir compter sur ces personnes. Dans ou hors de l'entreprise, certains d'entre eux ne réagissent pas forcément de la manière dont Sandra l'imaginait. Elle incarne le cruel dilemme revisité de « la bourse ou la vie » (ici, donc, de l'autre), celle dont les autres membres de l'entreprise ont droit de vie ou de mort sociale sur elle-même. Une réalité bien loin de la télé. Pourtant Sandra refusera la fatalité jusqu'au bout et ira défendre ses chances jusqu'au lundi matin. En allant au-devant d'eux, elle renvoie le reflet de la question du « que ferais-tu à ma place ? », et incite à réfléchir sur le choix du sort réservé à autrui dans notre monde individualiste.




Sur un drame vécu par de nombreuses personnes tous les jours, les Frères Dardenne ont tissé une trame réaliste autant qu'une biographie de notre époque autour d'un personnage dont le spectateur peut aisément se reconnaître. Sans trop appuyer ni minimiser les effets et les enjeux, ils ne font que regarder ce monde qui va mal avec un sens de l'acuité tout particulier et juste, mais avec une note d'espoir, un refus de la résignation, marqué particulièrement par Sandra, à qui ils laissent le dernier mot : « On s'est bien battus ».







dimanche 21 septembre 2014

Nebraska : Ah si j'étais riche


Une fausse publicité comme prétexte à un retour vers le passé : un road-movie aussi loufoque qu'émouvant d'Alexander Payne.


 

Que feriez-vous si vous remportiez le gros lot suite à un tirage au sort ? Tout pour aller le chercher, quitte à y aller à pied, répond Woody Grant (Bruce Dern), un vieillard du Montana qui veut croire en son rêve, même si celui-ci n'est que fictif, le gain n'étant qu'une fausse publicité. Mais allez l'expliquer à cet entêté qui ne le croira que lorsqu'il le verra. Ne pouvant plus conduire, et face à son obsession, son fils David (Will Forte) n'a d'autre choix que de l'accompagner jusqu'au Nebraska dans son drôle de périple...


Drôle de père

Une opération commerciale qui tourne au rapprochement familial entre un père et son fils dans l'Amérique de la crise : pour son nouveau film, Alexander Payne fait dans le léger mais l'émouvant en mettant en scène Woody Grant, vétéran de la guerre de Corée. Un vieillard alcoolique, têtu et crédule, à la poursuite d'une fortune fictive qui pourrait lui permettre d'acheter un nouveau camion. Obsédé par cette idée, il entraîne dans son périple son fils David, plein de candeur et de compassion pour ce père qu'il connaît finalement si peu. Voulant bien faire en rassurant le reste de la famille, il va se retrouver « propulsé » dans le passé de Woody lorsque ils seront forcé de faire une halte dans le village où celui-ci a grandi. Il va ainsi apprendre à mieux apprivoiser ce géniteur à priori inabordable mais cachant une grande tendresse et une grande fragilité. En le défendant, il se rapproche de lui, des réponses à ce mystère que constitue ce drôle de père.

Un père au comportement parfois infantile, comme en témoigne son entêtement à vouloir aller coûte que coûte chercher un prix qui n'existe pas. Une attitude qui laisse penser à un reste... de crise d'adolescence. Du coup, David se retrouve dans l'obligation de jouer le père de son père, devant ainsi prendre ses responsabilités alors qu'il ne semble pas être un homme de décisions. Pourtant, Woody lui renvoie en creux une image de lui-même, celle d'un jeune homme déjà mature mais hésitant encore à franchir le seuil de la porte de l'âge adulte. Cette aventure un peu absurde va l'aider à grandir. Au travers de Woody, il prend conscience de lui-même et apprends à mieux se connaître. Ce voyage au Nebraska est ainsi autant un détour par le passé pour le père qu'un trajet vers le futur pour le fils. Un voyage qui les fera évoluer dans leur posture et se retrouver sur des chemins de traverse qui leur permettra de renouer la communication entre eux.

Épopée légère et ironique

Woody est donc au cœur de ce film. Mais sa personnalité, et notamment son passé, ne seront peu à peu dévoilés qu'au travers le regard des autres : son frère Ray, son ex-petite amie Pegy, son ancien partenaire Ed Pegram... l'attitude des autres va également changer lorsque l'histoire du « gain » se propage dans le petit village de Hawthorne après que Woody lui-même en ait parlé (alors qu'elle est sensée rester discrète). Un peu d'argent, aussi fictif soit-il, qui va réveiller tensions et rancœurs, y compris au sein de la famille, quitte à ce que bagarre s'ensuive. Un peu d'argent, qui va faire passer au révélateur les différents protagonistes du film, que ceux-ci soient détachés de la valeur matérielle ou changent leur regard sur celui qui le possède. Attitudes envieuses ou ironiques envers la nouvelle « célébrité locale », dont la personnalité s'avère plus complexe et sensible que le type bourru qui nous est donné à voir au début du film.

Alexander Payne filme, dans un noir et blanc stylisé mais qui ne se justifie pas forcément, les drôlatiques mésaventures d'une famille à la remorque d'un patriarche que les rêves de richesse vont entraîner vers un passé et des démons qu'il a toujours fui, toujours tu, mais qu'il ne peut plus cacher, et qu'il va devoir assumer. Pour autant, les proches de Woody ne portent pas un regard de compassion envers lui, mais au contraire c'est plutôt la tendresse qui domine, et tant pis si ils ne le comprennent pas complètement, un peu en retard, un peu à côté. Le réalisateur accompagne leurs sentiments, filme de manière légère et ironique leur épopée, en quête de solde d'un passif qu'ils vont bien malgré eux devoir affronter. Ils accompagnent Woody sur ce chemin, que ce dernier traversera par des raccourcis que lui seul connaît, car il n'en fait définitivement qu'à sa tête. Il se perd, se retrouve, et nous le suivons comme un être familier, le grand-père imparfait réceptacle de notre vision de notre propre fratrie.


Alexander Payne se sert de sa caméra pour faire une photo de famille (é)mouvante avec, au cœur de ce cliché pris sur le vif, un père projeté malgré lui vers ses origines et obligé de déchirer le voile opaque entourant son passé. Un film bien interprété (Bruce Dern en tête), qui provoque plus de sourires que de rires et qui, malgré l'absence de vraies surprises tant dans la réalisation que le scénario, nous fait passer un agréable moment de cinéma au travers d'un Nebraska tout autant inquiétant qu'accueillant.
 
 
 
 

mercredi 23 juillet 2014

Les garçons et Guillaume, à table ! : La vie de Guillaume


Entre franches tranches de rigolade et réels moments d'émotions, un premier film oeudipien et enchanteur du comédien Guillaume Gallienne.
 



Guillaume est le dernier né d'une famille de trois garçons. Il évoque ses souvenirs. Le premier d'entre eux remonte à l'âge de quatre ou cinq ans, lorsque, un beau jour, sa mère appelle toute sa petite tribu pour dîner en criant « les garçons et Guillaume, à table ! ». Début d'une vie atypique, de la recherche de l'amour de sa mère, quitte à jouer les filles qu'elle n'a jamais eu, jusqu'à son coming-out hétéro, en passant par son éducation, la recherche de lui-même et la dissipation de quelques malentendus.

Quasi-jumeau

Le comédien Guillaume Gallienne se met en scène. Pour son premier one-man show, il décide de devenir sa propre matière, son propre sujet. Du théâtre, il transpose sur pellicule son spectacle pour donner un film fin, drôle et spirituel. Mais même s'il parle de lui, il ne fait preuve d'aucun narcissisme en évoquant une sorte de double, de personnage sensiblement proche de lui mais en même temps un « je » ayant son existence propre. Tout cela sans donner la moindre seconde l'impression d'une quelconque schizophrénie. Au contraire, il évoque ce Guillaume avec beaucoup de pudeur, un « quasi-jumeau » naïf, benêt, timide, mais dont la façon de se moquer de lui-même force l'admiration. Le recul des années autant que l'autodérision lui permet en effet de reparler de ses problèmes avec légèreté, se moquant de soi tout en mettant les rieurs de son côté. Ses confidences sont tout sauf ennuyeuses et trouvent un écho bien au-delà de son propre nombril.

Soit donc l'histoire de ce Guillaume, cinq ans au début du film. Un beau soir, lui et ses frères sont appelés par sa mère pour le dîner : « Les garçons et Guillaume, à table ! » Le ton est donné. Lui qui grandit dans les pas de Sissi, rêvant d'enfiler ses belles robes, ne veut qu'une seule chose : plaire à sa mère en devenant la fille qu'elle n'a jamais eu. Il extériorise alors sa féminité, se distinguant de la masse des garçons qui entourent sa génitrice. Défile alors sur l'écran les différentes étapes de sa vie, son séjour en Angleterre, le service militaire, ses séances de psychothérapie, sa balnéothérapie, autant de scènes donnant lieu à des sketchs où le comique de situation le dispute à l'absurde. Sans oublier la recherche de soi, de sa sexualité. Tout un cheminement qui mène à la quête de sa personnalité, de sa liberté, de son affirmation. Et son détachement de la figure maternelle, qu'il connaît très bien, jusqu'au point de l'interpréter.

Émancipation nécessaire

« Dans le film, je ne serai que Guillaume... et Maman. Normal, j'ai répété le personnage pendant quinze ans... et le peaufine encore à quarante ans ». C'est par cette déclaration que Guillaume Gallienne justifie le fait d'interpréter lui-même son modèle. Ce qui aurait pu apparaître comme une fausse-bonne idée se révèle au contraire être un choix très judicieux. Dans ce film, il est donc homme et femme. L'homme EST femme. Son personnage de Guillaume ne se comprend qu'en miroir de celui de sa mère. Une mère omniprésente et qui surgit dans tous les instants de sa vie, dans tous ses choix. Elle se matérialise dès qu'il pense à elle, tel un fantôme envahissant dont il ne se dépare jamais vraiment de son ombre. Mais s'il se laisse dévorer, c'est bien parce que ce repas est consentant. Jusqu'à la volonté de quitter la table pour se composer ses propres recettes. Une émancipation nécessaire afin de se réapproprier son propre sexe.

Car la question du masculin et du féminin est aussi l'un des sujets du film. Au-delà de la question de l'homosexualité ou de l'hétérosexualité, il interroge plus largement la masculinité et la féminité. La part de féminin chez l'homme, et celle de la masculinité chez la femme. N'est-ce qu'une histoire d'apparence ou de caractère ? Et quelle place pour la séduction ? Garçon ou fille, doit-on à tout prix chercher à plaire à sa mère (ou son père) ? Ce film qui au départ ressemble à une séance de psychanalyse en public glisse donc habilement vers une représentation du corps, dans toute ses dimensions (physiques mais aussi psychiques). Et démontre que les frontières ne sont pas si claires pour tout le monde, et qu'il ne suffit pas de naître dans un corps de garçon ou de fille pour en adopter systématiquement les codes communément admis par la société dans laquelle nous vivons. Un bel essai de compréhension de l'autre.

Avec son premier film, Guillaume Gallienne rend un hommage amoureux et sincère à sa mère autant qu'au burlesque et réussit son examen d'entrée cinématographique. Le comédien désexualise l'être humain et, au travers de son expérience personnelle, démontre brillamment et avec force éclats de rires que l'on devient homme ou femme, car rien n'est acquis à la naissance. Question de conscience de soi. Un sujet profond traité sous l'angle de la légèreté, car on ne peut faire réfléchir les gens sans les avoir diverti.
 
 
 
 


lundi 30 juin 2014

Only Lovers Left Alive : La mélancolie du vampire


Jim Jarmusch décape à l'Orangina rouge le mythe du célèbre buveur de sang : un film déjà culte où la nostalgie et la tristesse côtoient la beauté et le glam-rock.
 



Adam est musicien. Mais un musicien désabusé. Reclus dans son appartement de Détroit et harcelé par des fans toujours plus nombreux, il projette de se suicider à l'aide d'une balle en bois. Toutefois un appel de sa femme Eve, qui habite à Tanger, lui fait changer ses plans. Elle se déplace jusque chez lui et le couple retrouve son harmonie, appréciant la compagnie de l'autre. L'équilibre du duo va être perturbé par l'arrivée inopiné d'Ava, la sœur d'Eve, aussi délurée et remuante qu'ils sont calme et discrets...


Créature de la nuit du XXIe siècle

Oubliez Murnau, Coppola et la saga Twilight : en 2014, le vampire new-look traîne son spleen Baudelairien sur des sons de guitare et son château de Transylvanie a été transporté dans un lieu froid, pauvre et abandonné. Il a vécu toutes les guerres et les misères du monde et rêve de suicide (mais pas à la gousse d'ail, tout cela n'est que légende) après une trop longue vie tout en s'alcoolisant grâce à la complicité d'un médecin de la banque du sang qui lui fournit illégalement sa boisson préférée. Mais l'homme aux dents longues est un grand romantique qui, malgré son caractère solitaire, a une copine vampirette qu'il n'est pas mécontent de revoir à l'occase. Avec elle, il devise sur le monde, conscient de la décadence de celui-ci et témoin de sa lente destruction. Il a également revu sa garde-robe, remisant sa cape au placard pour un look de dandy grunge. Bref, la créature de la nuit du XXIe siècle est rock ou ne l'est pas.

Tom Hiddleston, grand vainqueur du « Dracula Award 2014 », incarne ce vampire ripoliné, triste et nostalgique. Cet Adam beau comme un Dieu à rendre une fan de Justin Bieber infidèle rien que pour avoir ses deux petits trous dans le cou se sent de moins en moins à sa place dans ce monde décadent. Il veut le quitter avant de sombrer avec lui. Sa vision des choses va changer avec le retour dans sa vie d'Eve, incarnée ici par une Tilda Swinton en grande forme. Celle-ci vit à Tanger, est alimentée en sang par Christopher Marlowe (John Hurt) tout en jouant à se remémorer des événements date à l'appui (car oui en plusieurs décennies elle a eu le temps de retenir quelques trucs). Le tableau ne serait pas complet sans évoquer la petite sœur de Eve, la charmante Ava (Mia Wasikowska), elle aussi vampire, en crise d'ado permanente qui prend acte de sa longévité et en profite pour s'éclater et jouer de son éternelle jeunesse.

Deux mondes qui se côtoient

Le couple Adam – Eve, d'une part, et Ava, de l'autre, symbolisent la notion de temps qui imprime tout le film. Le couple est une marque de l'éternité, de ce qui a marqué la frise chronologique de l'Histoire, mais aussi une conscience du futur, de ce qui va se passer dans les prochaines générations, dans les prochains siècles. Et le caractère mélancolique et désabusé d'Adam est une preuve que les Hommes sont frappés durement par les événements. Ava, elle, est plus dans le présent immédiat, dans le quotidien, le futile, l'inconséquence. Elle est le personnage qui s'adapte en permanence à une période qui évolue sans cesse et de plus en plus vite. Et dans tous les sens, sans cohérence apparente. Elle veut juste s'amuser, faire la fête. De manière légère, sans se prendre la tête. Une société plus égoïste qui ne regarde pas où elle va. Deux mondes qui se côtoient et se bousculent dans l'incompréhension, l'obligation et l'absurde.

Le film avance ainsi, dans une délicieuse atmosphère rétro. Et cette ambiance s'installe dès la première scène, où le réalisateur, caméra au plafond, tourne au-dessus de ses acteurs comme un 33 tours sur le tourne-disque (attention toutefois au tournis qui vous ferais presque regretter le kebab vite avalé avant le début de la séance!). Et toute l’œuvre est baignée par cette lumière claire-obscure, cette couleur ocre et sombre qui donne l'impression d'un film un peu démodé et terriblement intemporel. Comme les personnages. Et Jim Jarmusch ne s'interdit rien. Il sort par exemple Christopher Marlowe de sa tombe (homme de lettres anglaises du XVIe siècle – cf fiche Wikipédia) et en fait un vampire ressassant sans cesse sa haine de Shakespeare. Une notion de temps ressentie aussi dans la construction du film, qui fait un éloge de la lenteur autant que de l'ironie de notre époque, parfait contrepoint à la décadence visible et inéluctable de notre monde.


Vampire soit qui mal y pense : en donnant sa vision personnelle de la créature de la nuit, Jim Jarmusch disserte sur une vision universelle de la mémoire et de la temporalité, en s'interrogeant sur la lente dégradation de notre monde, sur fond de nostalgie mordante et de critique incisive sur le destin de notre bonne vieille terre. Un film beau et romantique comme un blues résonnant sur notre chaîne Hi-Fi un soir de dépression soulignant l'effacement progressif de nos sentiments et la fragilité de nos vies.
 
 
 

jeudi 12 juin 2014

A Touch of Sin : Violences Made In China


Quatre histoires, quatre personnages dans quatre lieux de la Chine contemporaine, mais un seul et même moyen de conclusion : réaliste et glaçant.

 
 

Dahai est mineur dans la région du Shanxi. Confronté à la corruption de ses patrons, il va subir les conséquences de sa dénonciation, avant de se venger. San'er est un jeune père de famille qui tue des gens au hasard avant de les voler. Xiaoyu est hôtesse d'accueil dans un sauna. Mais un client très riche et trop pressant se met à la harceler. Enfin, Xiaohui est un jeune travailleur qui multiplie les petits boulots. Quatre personnages, quatre angles de vue différents sur la Chine d'aujourd'hui et sa violence.

Mur inhumain et insurmontable

La couleur du drapeau de la Chine est le rouge. Le réalisateur Jia Zhang Ke, au travers de son film, nous laisse suggérer qu'il pourrait s'agir de rouge sang. Au-delà du dirigisme d'un parti politique unique et d'un libéralisme économique de moins en moins contrôlé, il y a aussi des êtres humains. Des hommes et des femmes qui tentent de lutter au quotidien contre un système qui les broie, et dans lesquels ils essayent de survivre coûte que coûte dans un pays devenu fou et où la débrouille et l'individualisme gagnent constamment du terrain. Pour illustrer son propos, le metteur en scène chinois a choisi de donner quelques exemples au travers de quatre histoires dont la conclusion est toujours la même, sanglante et cruelle, montrant l'impuissance de gens face à un mur inhumain et insurmontable et qui en viennent à des solutions extrêmes, seule façon pour eux d'afficher leur colère et d'exprimer leur mal-être.

Soit Dahai. Un mineur de fond qui cherche à dénoncer la corruption qui gangrène son village et dans lequel est impliqué un ami d'enfance. Il demande des explications, mais ne trouve que des mafieux qui lui règle son compte à coup de pelles. Il y a aussi San'er. Il est père de famille et voleur. Pour subtiliser les sacs à mains, il n'hésite pas à user de son arme à feu sur les passants, sans aucun état d'âme. Xiaoyu, elle, travaille en tant qu' hôtesse d'accueil dans un sauna. Harcelée par un client trop pressant, elle s'en débarrassera façon films d'art martiaux à l'aide d'un couteau à fruits. Enfin, Xiaohui est un jeune travailleur. Il multiplie les petits boulots mais va vite déchanter dans une société à l'ascension sociale bouchée et aux conditions de travail de plus en plus dégradantes. Quatre personnages qui vivent, à leur façon, l'évolution de leur pays et les transformations que cela engendre, comme des laissés-pour-compte de la mondialisation.

Symphonie macabre et lucide

Jia Zhang-Ke met en lumière des chinois abandonnés sur le bord de la route. Pour ce faire, il multiplie les points de vue, les histoires. Et pour les distinguer, il les raconte sous quatre formes différentes. Le premier scénario prend ainsi pour héros un cow-boy moderne, qui se fait justice lui-même, son fusil de chasse faisant office de colt de circonstance. Le second personnage est l'anti-héros d'un film réalisé façon thriller. Dans la troisième histoire, l'héroïne du film fait montre de ses qualités au kung-fu. Enfin, le dernier personnage est au cœur d'un drame social. Si les deux premiers genres sont très marqués du sceau du cinéma occidental, le troisième revient aux racines asiatiques avant une synthèse dans le dernier. Le réalisateur de 24 City montre son ouverture au monde et opère la réunion entre cinéma oriental et occidental, des genres qui cohabitent sans jamais se croiser, à l'instar des histoires racontées.

Un film qui représente ce qu'est le recueil de nouvelles à la littérature, une succession de récits dans un cadre défini. Ces quatre courts-métrage à la même thématique représentent sa force car elles permettent d'aborder un même sujet sous différents angles de manière choc et direct de par le temps réduit de chaque histoire qui donne ainsi plus de rythme, accrochant et étouffant le spectateur sous les images à la fois brutales et édifiantes. Mais on peut aussi un peu regretter qu'en prenant plusieurs routes pour arriver à la même destination, il ne nous en ait pas fait suivre une seule. Une petite impression de dispersion, de dilution de son propos se dégage au travers des quatre exemple proposés. Cela n'enlève toutefois en rien la cohérence de l'ensemble. Une symphonie macabre et lucide qui provoque un vertige à glacer le sang, accompagné d'images d'hommes et de femmes désespérés marquant la mémoire de façon irréversible.



Critique très acerbe du modèle social chinois, A Touch Of Sin montre l'envers du décor, un pays où la parole disparaît peu à peu, remplacée par le geste, désespéré et irréversible. Jia Zhang Ke réalise ici un film en forme de cri d'alarme, sans pour autant tomber dans la tristesse. Un film noir qui porte une colère collective, une misère humaine de plus en plus audible aux oreilles du monde. Mais aussi un espoir de voir un jour les choses changer. Un regard lucide et froid en forme de message d'amour.







vendredi 23 mai 2014

Le Hobbit 2 : La Désolation de Smaug


Sensiblement plus réussi que le premier volet, les aventures de Bilbon Saquet et ses amis gagne en suspense et en aventures romanesque.
 



Le film débute par un retour en arrière. Dans le village de Bree, le magicien Gandalf annonce à Thorin Ecu-De-Chêne que sa tête est mise à prix et qu'il est temps pour lui de réunifier les Royaumes Nains pour récupérer un bijou, l'Arkenstone, gardé par le dragon Smaug. Douze mois plus tard, Thorin, Bilbon et leurs amis sont toujours poursuivis par l'orque Azog et sa troupe, alors qu'ils se dirigent vers la Forêt Noire. Ce dernier, désigné chef par le Nécromancien, charge un autre orque, Bolg, de les traquer...
Héros de western

Un an après le début de ses aventures, Bilbon le sympathique Hobbit est de retour et son histoire redémarre là où on l'avait laissé. Toujours traqué par les Orques, lui et ses amis sont à la recherche de l'Arkenstone, une pierre brillante et puissante. Mais celle-ci est sous la bonne garde du dangereux dragon Smaug, qui pourrait commettre d'énormes dégâts et semer la terreur si il était réveillé. Piégés par des araignées géantes, ils seront sauvés par notre héros, qui les libérera grâce au pouvoir d'invisibilité de l'anneau. Il se servira une nouvelle fois de celui-ci pour aider ses compagnons à s'évader après qu'ils aient été enfermés dans des geôles par des Elfes, dont Legolas et Tauriel l'Elfe féminine. Ces derniers finiront tout de même par les seconder lors de l'attaque des troupes de Borg. Cette histoire, plus que la première partie, est centrée sur le personnage de Bilbon, héros solidaire mais solitaire au cœur d'une quête collective.

Que ce soit lors de l'attaque des araignées, face aux Elfes ou à Smaug, ou encore pour résoudre de complexes énigmes, et même si ses aventures s'inscrivent dans une dynamique de groupe, il est seul. Tel un héros de western qui débarque sur son cheval dans une ville pour la nettoyer des bandits de grands chemin avant de repartir une fois sa mission accomplie, il accomplit sa tâche sans aide. Car si lui peut appuyer ses camarades dans la réussite de leurs objectifs, eux en revanche ne peuvent pas grand chose pour lui. En usant du pouvoir magique de l'anneau, il bénéficie de son invisibilité pour aider les Nains à se dépêtrer des situations dans lesquelles ils se sont retrouvés. Ces derniers lui apportent en échange des solutions pour avancer sur la route du succès, comme une forme de récompense de son altruisme. Mais c'est sa solitude au milieu de ses alliés qui, peu à peu, entraîne notre hobbit autant que l'histoire vers la noirceur.

Magie destructrice

Cette lutte des forces du bien contre celles du mal se matérialise ici entre autre dans un combat d'influence psychique. Bilbon lutte contre le pouvoir extraordinaire mais également destructeur de l'anneau. Un combat intérieur entre la volonté de contrôle personnel et la soumission à la magie destructrice de l'objet. Ici, nous sommes dans le duel du «qui possède qui», presque comme une drogue, l'anneau représentant l'addiction. Ce combat invisible pour les Nains affecte le hobbit, mais pas encore au point de mettre la quête en péril. Une quête qui s'assombrit à chaque pas que font nos héros. Traqués par les Orques, obligés de batailler contre un dangereux dragon, les dangers s'accumulent et s'amplifient au fur et à mesure que l'histoire se dirige vers sa résolution, les rebondissements permanents qui rythment le film s'inscrivant dans un schéma scénaristique classique inhérent au genre codifié de l'Héroïc Fantasy.

Pour ce second volet de la trilogie du « Hobbit », tiré de l'univers de Tolkien, Peter Jackson ne déroge pas à la règle qui fait de ce genre de film un succès : humour et action. Dans la stricte et cohérente lignée du premier volet ainsi que du Seigneur des anneaux, il séduit ceux dont l'univers est déjà familier. Une suite d'aventures menées sans temps morts qui épate visuellement et dont la dimension globale n'efface en rien les destinées personnelles. Même si l'on peut pinailler sur des impératifs commerciaux (introduction d'une Elfe, Tauriel, interprété par Evangeline Lilly, pour attirer un public féminin ; le divertissement familial privilégié parfois au détriment d'une plus grande complexité du film), il n'en reste pas moins une réussite, y compris dans l'interprétation, Martin Freeman incarnant un hobbit volontaire mais portant ses doutes intérieurs comme un fardeau. A noter le « retour » de Legolas (Orlando Bloom).



Plaisant et spectaculaire, le second volet de la trilogie du Hobbit touche le but que le film s'était fixé : nous faire passer un agréable moment. Si l'on peut regretter son côté un peu trop calibré pour séduire totalement, l'univers de Tolkien est toujours aussi bien restitué et maîtrisé, avec une virtuosité captivante. Les héros poursuivent une quête que le spectateur prend toujours autant de plaisir à suivre. On attend désormais avec impatience décembre 2014 pour la conclusion de leurs aventures.
 
 
 


vendredi 2 mai 2014

Zulu : Over the Rainbow


Plongée noire et violente dans une Afrique du Sud post-apartheid, Zulu oscille entre onirisme et implacable réalisme dénué de tout échappatoire.




Afrique du Sud, de nos jours. Une adolescente est sauvagement assassinée. Deux policiers, un noir, Ali Sokhela (Forest Whitaker), au passé douloureux, et un blanc, Brian Epkeen (Orlando Bloom), épave notoire, sont chargés de l'enquête. Très vite, leurs investigations vont les entraîner des extrêmes pauvretés des Townships de Capetown aux luxueuses villas des bords de mer, à la recherche d'une drogue de synthèse, les amenant à se confronter à leur passé et à lutter contre leurs démons intérieurs...


Rassemblement de façade

Ali Sokhela est un flic intègre et idéaliste abîmé par la vie et marqué au fer rouge du sceau de l'apartheid. Il a perdu son père, brûlé par des blancs, lorsqu'il était plus jeune. Solitaire, sa vie intime se résume à la fréquentation des prostituées qu'il paye pour caresser leur peau. Malgré sa carapace d'acier, il a gardé sa capacité à s'émouvoir des crimes qu'il est chargé d'élucider. Ici, il doit s'occuper du meurtre d'une adolescente. Dans son enquête, il est aidé par Brian Epkeen, que la vie a peu à peu fait sombrer. Alcoolique, séparé de sa femme – et ne cherchant pas à cacher son antipathie pour le nouveau compagnon de celle-ci – il joue les têtes brûlées dans un pays loin d'être apaisé, quitte à fleurter avec l'illégalité. Tout deux vont être confrontés à la réalité d'un pays gangrené par la violence, le racisme et les inégalités et où le chacun pour soi a été érigé en règle de vie, loin de la « nation arc-en-ciel » vantée par ses dirigeants depuis 20 ans.

En effet, ce film montre que, derrière le rassemblement de façade, les inégalités sont plus criantes que jamais, entre les quartiers très pauvres et les villas du bord de mer très riches qui se côtoient dans une violence de plus en plus sanglante et un racisme persistant malgré la fin officielle de l'apartheid. Le réalisateur français Jérôme Salle montre que le pays n'est pas guéri de ses démons et que les vols et les trafics de drogue se poursuivent avec des gangs forts face à une police totalement dépassée voire complaisante. Brian Epkeen et Ali Sokhela sont imprégnés de cette ambiance, et même si ce dernier tente de lutter contre cette violence en croyant au pardon, il finira par flancher et y succomber. Son comparse, lui, est borderline et ne montre guère d'illusions quant à l'état du pays et son devenir. Les fractures sont béantes entre des populations fortement marqués par leur différence de statut social et qui les enferment dans des perspectives d'avenir incertaines.

Plaies encore vives

Ali Sokhela et Brian Epkeen évoluent ainsi dans ce climat de peur permanente d'un pays au bord du gouffre. Mais chacun avec leurs valeurs. Sokhela au début du film joue les « bon flic » alors qu'Epkeen apparaît comme un « mauvais flic ». Pourtant, au fur et à mesure de l'évolution du film, leurs convictions vont être mises à rude épreuve, remises en cause personnellement, et les rôles s'inverser. Le pardon est un sujet majeur au cœur du scénario, mais peut-on vraiment pardonner ? Le risque de l'individualisme est permanent. Et malgré le soutien sans faille d'Epkeen, Sokhela perd peu à peu ses illusions, finissant même par succomber à la tentation de la vengeance. Epkeen, à l'inverse, agressif comme l'est l'Afrique du Sud, va peu à peu s'adoucir pour tendre vers ce pardon. Mais cette notion reste une chimère dans un pays dont les plaies encore vives continuent de marquer sa réalité et dont la guérison prendra encore du temps.

Jérôme Salle, en adaptant le polar éponyme de Caryl Ferey, pose une caméra quasi-documentaire sur l'un des pays les plus apaisés du continent noir. Mais il montre rapidement que cela n'est qu'une illusion, et que le quotidien est beaucoup plus cruel et sombre, sans perspective d'avenir pour les plus pauvres, si ce n'est dans les trafics et les combines en tout genre. Porté par deux acteurs en très grande forme, Forest Whitaker et Orlando Bloom, le film est prenant, même si la violence est parfois montrée sous un angle un peu complaisant. Rythmé et maintenant parfaitement le suspense, avec un aspect social très bien démontré, le long métrage du réalisateur français dépasse le simple cadre des frontières du pays pour dénoncer une misère plus globale et montrer une violence crue et qui touche toutes les couches des sociétés. Son film ressemble à une photo de famille, montrée dans toutes ses déchirures et sa sombre réalité.


Le réalisateur de Largo Winch et de Anthony Zimmer filme un thriller sans pathos dont la noirceur peint des caractères forts mais qui ne peuvent rêver, pris au piège d'une réalité étouffante qui n'épargne rien ni personne. L'Afrique du Sud, personnage à part entière, exacerbe les tensions alors que le sentiment d'impuissance n'a jamais été aussi fort. Jérôme Salle se rapproche au plus près des cicatrices d'une nation qui ne demande qu'à recolorer un arc-en-ciel malade et encore bien pâle.