samedi 8 février 2014

La Vénus à la fourrure : Deux auteurs en quête de personnages

Deux acteurs dans un lieu unique : Polanski fait dans le minimalisme pour un film d'une force et d'une sensualité incroyable.






Thomas (Mathieu Amalric) est metteur en scène. A la recherche d'une comédienne pour sa nouvelle pièce de théâtre, les auditions ne sont pas concluantes. C'est au moment où il s'apprête à rentrer chez lui que débarque Vanda (Emmanuelle Seigner). Vulgaire, écervelée, le courant ne passe pas entre eux au début. Mais lorsqu'il lui laisse sa chance, elle se métamorphose et l'envoûte. De plus en plus obsédé par Vanda, Thomas va alors peu à peu rentrer dans son jeu et se laisser posséder par son actrice.

Inversion des rôles

Vanda est comédienne. Elle arrive très en retard aux auditions pour la nouvelle pièce de Thomas, une adaptation de La Vénus à la fourrure de l'autrichien Leopold Von Sacher-Masoch. Sa tenue pas très distinguée ainsi que son parler populaire ne la font pas passer inaperçue. Cette tornade semble loin du personnage que Thomas a en tête. Seul leur prénom identique rapproche l'interprète et le rôle. Pleine d'assurance, d'arrogance, et prête à tout pour réussir à convaincre le metteur en scène, elle a apporté avec elle ses propres propositions de costume, et a appris le texte par cœur. Elle peut ainsi aisément se mouvoir du réel au virtuel, du casting à la scène, d'un dialogue à un autre, d'un personnage à un autre en moins d'une seconde, comme une formule magique qui abolit les frontières, déchire le rideau séparant les deux univers. Ses rapports avec Thomas évoluent au fil de la répétition, jusqu'à inverser les rôles.

Thomas, lui, est un metteur en scène exigeant qui n'a trouvé en aucune des comédiennes auditionnées le personnage qu'il cherchait. L'arrivée de Vanda va provoquer chez lui au début un sentiment de rejet. Son premier jugement sur elle est plutôt négatif, mais son regard et sa position dominatrice va progressivement évoluer au fil du casting. D'extravertie, Vanda va passer grâce au texte et à ses costumes à la femme fatale sensuelle à laquelle il ne peut résister. Il va peu à peu transformer son scepticisme en fascination, voire en envoûtement. Il se laisse malgré lui charmer. De dominant, il devient dominé ; de possesseur, il se laisse peu à peu dépossédé. L'exemple du texte est à ce titre le plus frappant : il est surpris que Vanda ait la pièce qu'il n'avait pas rendu public, et lorsque elle commence à le réciter par cœur, ce sont des mots dont il est privé. Il y a progressivement une inversion des positions.

Le sexe, enjeu de domination

Au début du film, Vanda a besoin de Thomas. Il est le metteur en scène, il a donc le pouvoir du choix. C'est à elle de montrer en quoi elle pourrait être le personnage de la pièce. Elle est donc dépendante de lui. Mais au fur et à mesure des lignes mouvantes, élastiques, des frontières de plus en plus flou dans leur rapport de comédienne à auteur de théâtre, elle prend l'ascendant. Plus elle se transforme en son personnage (une transformation qui, via les costumes, se fait aux yeux de tous), plus elle en acquiert les codes et les armes, notamment celui du corps. Elle use de son (ses) charme(s) de manière de plus en plus explicite pour subtiliser le pouvoir à Thomas. Elle détourne les codes du sadomasochisme et du fétichisme à son profit. Le sexe devient alors un enjeu majeur de domination, à l'égal des mots. Et Roman Polanski est là pour compter les points de cette « guerre » que se livrent les deux protagonistes.
Le réalisateur de Rosemary's Baby adapte une nouvelle fois une pièce de théâtre. Après Carnage, d'après Yasmina Reza, c'est au tour de l'auteur américain David Ives de voir sa Venus in Fur portée à l'écran. En resserrant au maximum l'intrigue (deux personnages dans un théâtre), Polanski s'intéresse directement au cœur de l'histoire et à la relation entre Vanda et Thomas. Il filme les corps, les regards, la tension au plus près de ses acteurs. Mention spéciale à Emmanuelle Seigner, qui passe en une seconde de la Vamp délurée à la femme fatale avec une déconcertante facilité, et qui parvient à nous fasciner autant qu'elle fascine Thomas. En vérité, il n'y a pas deux mais bien trois personnages qui s'expriment et évoluent tout au long de ce film. Quant à Thomas, on peut à travers lui, de certaines réflexions, de certaines situations, y voir l'ombre portée d'un Roman Polanski qui se serait immiscé dans ce film en forme de mise en abyme.


« Small is beautiful », tel pourrait être le slogan du nouveau film de Roman Polanski. Deux comédiens se livrent une bataille pour conquérir la scène, et le gagnant n'est pas forcément celui que l'on croit. Avec en outre des pistes brouillés car comédienne et metteur en scène se fondent dans la pièce telle que la distinction entre réel et fiction est abolie. Et si avec sa Vénus le réalisateur du Pianiste n'avait pas cherché à s'interroger sur ce qu'est le cinéma et sur la place de l'acteur?






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