Deux
acteurs dans un lieu unique : Polanski fait dans le minimalisme pour
un film d'une force et d'une sensualité incroyable.
Thomas
(Mathieu Amalric) est metteur en scène. A la recherche d'une
comédienne pour sa nouvelle pièce de théâtre, les auditions ne
sont pas concluantes. C'est au moment où il s'apprête à rentrer
chez lui que débarque Vanda (Emmanuelle Seigner). Vulgaire,
écervelée, le courant ne passe pas entre eux au début. Mais
lorsqu'il lui laisse sa chance, elle se métamorphose et l'envoûte.
De plus en plus obsédé par Vanda, Thomas va alors peu à peu
rentrer dans son jeu et se laisser posséder par son actrice.
Inversion
des rôles
Vanda
est comédienne. Elle arrive très en retard aux auditions pour la
nouvelle pièce de Thomas, une adaptation de La Vénus à la
fourrure de l'autrichien Leopold Von Sacher-Masoch. Sa tenue pas
très distinguée ainsi que son parler populaire ne la font pas
passer inaperçue. Cette tornade semble loin du personnage que Thomas
a en tête. Seul leur prénom identique rapproche l'interprète et le
rôle. Pleine d'assurance, d'arrogance, et prête à tout pour
réussir à convaincre le metteur en scène, elle a apporté avec
elle ses propres propositions de costume, et a appris le texte par
cœur. Elle peut ainsi aisément se mouvoir du réel au virtuel, du
casting à la scène, d'un dialogue à un autre, d'un personnage à
un autre en moins d'une seconde, comme une formule magique qui abolit
les frontières, déchire le rideau séparant les deux univers. Ses
rapports avec Thomas évoluent au fil de la répétition, jusqu'à
inverser les rôles.
Thomas,
lui, est un metteur en scène exigeant qui n'a trouvé en aucune des
comédiennes auditionnées le personnage qu'il cherchait. L'arrivée
de Vanda va provoquer chez lui au début un sentiment de rejet. Son
premier jugement sur elle est plutôt négatif, mais son regard et sa
position dominatrice va progressivement évoluer au fil du casting.
D'extravertie, Vanda va passer grâce au texte et à ses costumes à
la femme fatale sensuelle à laquelle il ne peut résister. Il va peu
à peu transformer son scepticisme en fascination, voire en
envoûtement. Il se laisse malgré lui charmer. De dominant, il
devient dominé ; de possesseur, il se laisse peu à peu dépossédé.
L'exemple du texte est à ce titre le plus frappant : il est surpris
que Vanda ait la pièce qu'il n'avait pas rendu public, et lorsque
elle commence à le réciter par cœur, ce sont des mots dont il est
privé. Il y a progressivement une inversion des positions.
Le
sexe, enjeu de domination
Au
début du film, Vanda a besoin de Thomas. Il est le metteur en scène,
il a donc le pouvoir du choix. C'est à elle de montrer en quoi elle
pourrait être le personnage de la pièce. Elle est donc dépendante
de lui. Mais au fur et à mesure des lignes mouvantes, élastiques,
des frontières de plus en plus flou dans leur rapport de comédienne
à auteur de théâtre, elle prend l'ascendant. Plus elle se
transforme en son personnage (une transformation qui, via les
costumes, se fait aux yeux de tous), plus elle en acquiert les codes
et les armes, notamment celui du corps. Elle use de son (ses)
charme(s) de manière de plus en plus explicite pour subtiliser le
pouvoir à Thomas. Elle détourne les codes du sadomasochisme et du
fétichisme à son profit. Le sexe devient alors un enjeu majeur de
domination, à l'égal des mots. Et Roman Polanski est là pour
compter les points de cette « guerre » que se livrent les deux
protagonistes.
Le
réalisateur de Rosemary's Baby adapte une nouvelle fois une
pièce de théâtre. Après Carnage, d'après
Yasmina Reza, c'est au tour de
l'auteur américain David Ives de voir sa Venus in Fur portée
à l'écran. En resserrant au maximum l'intrigue (deux personnages
dans un théâtre), Polanski s'intéresse directement au cœur de
l'histoire et à la relation entre Vanda et Thomas. Il filme les
corps, les regards, la tension au plus près de ses acteurs. Mention
spéciale à Emmanuelle Seigner, qui passe en une seconde de la Vamp
délurée à la femme fatale avec une déconcertante facilité, et
qui parvient à nous fasciner autant qu'elle fascine Thomas. En
vérité, il n'y a pas deux mais bien trois personnages qui
s'expriment et évoluent tout au long de ce film. Quant à Thomas, on
peut à travers lui, de certaines réflexions, de certaines
situations, y voir l'ombre portée d'un Roman Polanski qui se serait
immiscé dans ce film en forme de mise en abyme.
«
Small is beautiful », tel pourrait être le slogan du nouveau
film de Roman Polanski. Deux comédiens se livrent une bataille pour
conquérir la scène, et le gagnant n'est pas forcément celui que
l'on croit. Avec en outre des pistes brouillés car comédienne et
metteur en scène se fondent dans la pièce telle que la distinction
entre réel et fiction est abolie. Et si avec sa Vénus le
réalisateur du Pianiste n'avait pas cherché à s'interroger
sur ce qu'est le cinéma et sur la place de l'acteur?
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