A
la lisière du polar et du film fantastique (mais sans effets
spéciaux), le néerlandais Axel Van Warmerdam réalise un film
totalement hypnotique.
Dans
les bois, un homme, qui se sait traqué, parvient à s'échapper in
extremis du terrier qu'il s'était aménagé avant d'être retrouvé.
Dans sa fuite, il prévient des amis qui étaient cachés comme lui.
Quittant la forêt, il arrive dans une banlieue bourgeoise et sonne à
une porte en se faisant appeler Camiel Borgman, un SDF qui a besoin
d'une douche. Un homme le rejette, mais sa femme accepte de
l'héberger sans que son mari soit au courant. Mais qui est-il
réellement ?
Le
ver est dans le fruit
Le
film débute sur une battue. Un homme est recherché. Mais on ne sais
pas pourquoi. Cet homme, à la chevelure hirsute et grisonnante,
barbu, fuit l'abri qu'il s'était aménagé sous terre. Il atterrit
dans une banlieue cossue et cherche un logement dans lequel il
pourrait prendre un bain et dormir avant de repartir. Il sonne chez
un couple, mais si le mari, Richard, lui casse la figure, sa femme
Marina se prend d'affection pour lui et accepte finalement de
l'héberger à condition que son mari ne le remarque pas. Il prend
alors peu à peu possession des lieux. Et se substituera même au
jardinier après s'être débarrassé de lui avec l'aide de
complices. Camiel Borgman s'introduit alors tout à fait
officiellement dans cette famille, auprès de leurs trois enfants et
de leur nounou, une jeune fille au pair fiancée à un militaire. Le
ver est dans le fruit : il va bouleverser la vie de ce couple, la
faisant éclater de l'intérieur pour mieux bâtir ses projets.
Sauf
que ceux-ci sont flous tout le long du film. Qui est Camiel Borgman ?
C'est la question qui se pose tout au long du film. Un élément
perturbateur mais fascinant qui, par la grâce du regard omniscient
du réalisateur, nous dévoile nombre de ses facettes sans pour
autant nous justifier ses buts. Hors des murs de la maison
bourgeoise, accompagné de ses acolytes, il est montré en chef de
gang et en serial killer qui assassine sans vergogne tout ceux qui se
mettent en travers de son chemin ainsi que ceux dont il a besoin de
remplacer pour mettre à leur place ses hommes (et ses femmes) de
main. Mais dans la maison, les choses sont plus complexes, car
Borgman devient presque un personnage secondaire. Il est l'objet des
fascinations, presque des fantasmes, de Marina. Elle et Richard le
laissent faire, sans trop savoir la finalité de ses actions
(pourquoi il creuse le jardin, par exemple). Tout est sujet à
interprétation.
Running-gag
cruel et jubilatoire
C'est
là qu'intervient la partie fantastique de l'histoire. Une partie
fortement suggéré, sans aucun effet appuyé ou effet spécial. Tout
est laissé à l'imagination, plus ou moins grande, des spectateurs,
mais aussi des personnages eux-même (à ce titre, le doute habitant
Marina lorsqu'elle croise un chien dans sa maison, se demandant s'il
ne s'agit pas de Borgman, est révélateur). On se pose aussi des
questions autour de ce drôle de héros. A-t-il réellement le
pouvoir de contrôler les rêves de la maîtresse de maison ? Et
pourquoi implante-t-il une étrange puce dans le corps des enfants de
la famille ? Quel est son objectif ? Une invasion ? Lui et ses
acolytes n'ont aucun scrupules à tuer, si cela peut faire avancer
leurs plans, avant de se débarrasser des corps au fond d'un lac dans
un running-gag aussi cruel que jubilatoire. Mais toutes ces questions
sont laissés en suspend, car les réponses n'interviennent jamais,
les laissant sous la simple formes d'hypothèses.
Un
parti pris osé mais assumé de la part d'Axel Van Warmerdam, qui
ouvre les portes à toutes les options, toutes les lectures
possibles. Laissant le pouvoir au spectateur de compléter les trous
du scénarios, il déroule le fil de son film sans juger, donnant une
image contrastée et paradoxale à son antihéros, violent mais
révélateur en même temps des failles qui se dissimulent sous le
vernis de l'image de carte postale d'une famille bourgeoise, les
tournant en ridicule. Et ce sont précisément ces blancs qui rendent
ce long-métrage totalement hypnotique et génial. Nous sommes dès
le début attirés, vampirisés par ce personnage surgit de nulle
part et que nous voulons mieux connaître mais dont nous ne
pénétrerons jamais l'esprit. Pourtant, aucune frustration ne nous
habite, car le film manie habilement suspense de narration, action et
humour (très) noir, chaque scène faisant monter la tension, jusqu'à
cette fin ouverte.
Camiel
Borgman, un personnage atypique derrière la caméra d'un réalisateur
non moins atypique. Axel Van Warmerdam extériorise nos peurs, nos
doutes, tout en gardant un esprit absurde et potache avec entre les
lignes un malin et moqueur relativisme, car finalement tout ceci
n'est que du cinéma. Entre ode au marginalisme et géniale critique
de la bourgeoisie qui se transforme en jeu de massacre, le
réalisateur néerlandais ne respecte rien. Ce film surréaliste,
absurde et fascinant est à son image.
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