dimanche 6 avril 2014

Borgman, un ami qui vous veut du bien


A la lisière du polar et du film fantastique (mais sans effets spéciaux), le néerlandais Axel Van Warmerdam réalise un film totalement hypnotique.





Dans les bois, un homme, qui se sait traqué, parvient à s'échapper in extremis du terrier qu'il s'était aménagé avant d'être retrouvé. Dans sa fuite, il prévient des amis qui étaient cachés comme lui. Quittant la forêt, il arrive dans une banlieue bourgeoise et sonne à une porte en se faisant appeler Camiel Borgman, un SDF qui a besoin d'une douche. Un homme le rejette, mais sa femme accepte de l'héberger sans que son mari soit au courant. Mais qui est-il réellement ?
Le ver est dans le fruit

Le film débute sur une battue. Un homme est recherché. Mais on ne sais pas pourquoi. Cet homme, à la chevelure hirsute et grisonnante, barbu, fuit l'abri qu'il s'était aménagé sous terre. Il atterrit dans une banlieue cossue et cherche un logement dans lequel il pourrait prendre un bain et dormir avant de repartir. Il sonne chez un couple, mais si le mari, Richard, lui casse la figure, sa femme Marina se prend d'affection pour lui et accepte finalement de l'héberger à condition que son mari ne le remarque pas. Il prend alors peu à peu possession des lieux. Et se substituera même au jardinier après s'être débarrassé de lui avec l'aide de complices. Camiel Borgman s'introduit alors tout à fait officiellement dans cette famille, auprès de leurs trois enfants et de leur nounou, une jeune fille au pair fiancée à un militaire. Le ver est dans le fruit : il va bouleverser la vie de ce couple, la faisant éclater de l'intérieur pour mieux bâtir ses projets.

Sauf que ceux-ci sont flous tout le long du film. Qui est Camiel Borgman ? C'est la question qui se pose tout au long du film. Un élément perturbateur mais fascinant qui, par la grâce du regard omniscient du réalisateur, nous dévoile nombre de ses facettes sans pour autant nous justifier ses buts. Hors des murs de la maison bourgeoise, accompagné de ses acolytes, il est montré en chef de gang et en serial killer qui assassine sans vergogne tout ceux qui se mettent en travers de son chemin ainsi que ceux dont il a besoin de remplacer pour mettre à leur place ses hommes (et ses femmes) de main. Mais dans la maison, les choses sont plus complexes, car Borgman devient presque un personnage secondaire. Il est l'objet des fascinations, presque des fantasmes, de Marina. Elle et Richard le laissent faire, sans trop savoir la finalité de ses actions (pourquoi il creuse le jardin, par exemple). Tout est sujet à interprétation.

Running-gag cruel et jubilatoire

C'est là qu'intervient la partie fantastique de l'histoire. Une partie fortement suggéré, sans aucun effet appuyé ou effet spécial. Tout est laissé à l'imagination, plus ou moins grande, des spectateurs, mais aussi des personnages eux-même (à ce titre, le doute habitant Marina lorsqu'elle croise un chien dans sa maison, se demandant s'il ne s'agit pas de Borgman, est révélateur). On se pose aussi des questions autour de ce drôle de héros. A-t-il réellement le pouvoir de contrôler les rêves de la maîtresse de maison ? Et pourquoi implante-t-il une étrange puce dans le corps des enfants de la famille ? Quel est son objectif ? Une invasion ? Lui et ses acolytes n'ont aucun scrupules à tuer, si cela peut faire avancer leurs plans, avant de se débarrasser des corps au fond d'un lac dans un running-gag aussi cruel que jubilatoire. Mais toutes ces questions sont laissés en suspend, car les réponses n'interviennent jamais, les laissant sous la simple formes d'hypothèses.

Un parti pris osé mais assumé de la part d'Axel Van Warmerdam, qui ouvre les portes à toutes les options, toutes les lectures possibles. Laissant le pouvoir au spectateur de compléter les trous du scénarios, il déroule le fil de son film sans juger, donnant une image contrastée et paradoxale à son antihéros, violent mais révélateur en même temps des failles qui se dissimulent sous le vernis de l'image de carte postale d'une famille bourgeoise, les tournant en ridicule. Et ce sont précisément ces blancs qui rendent ce long-métrage totalement hypnotique et génial. Nous sommes dès le début attirés, vampirisés par ce personnage surgit de nulle part et que nous voulons mieux connaître mais dont nous ne pénétrerons jamais l'esprit. Pourtant, aucune frustration ne nous habite, car le film manie habilement suspense de narration, action et humour (très) noir, chaque scène faisant monter la tension, jusqu'à cette fin ouverte.


Camiel Borgman, un personnage atypique derrière la caméra d'un réalisateur non moins atypique. Axel Van Warmerdam extériorise nos peurs, nos doutes, tout en gardant un esprit absurde et potache avec entre les lignes un malin et moqueur relativisme, car finalement tout ceci n'est que du cinéma. Entre ode au marginalisme et géniale critique de la bourgeoisie qui se transforme en jeu de massacre, le réalisateur néerlandais ne respecte rien. Ce film surréaliste, absurde et fascinant est à son image.
 
 

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