vendredi 2 mai 2014

Zulu : Over the Rainbow


Plongée noire et violente dans une Afrique du Sud post-apartheid, Zulu oscille entre onirisme et implacable réalisme dénué de tout échappatoire.




Afrique du Sud, de nos jours. Une adolescente est sauvagement assassinée. Deux policiers, un noir, Ali Sokhela (Forest Whitaker), au passé douloureux, et un blanc, Brian Epkeen (Orlando Bloom), épave notoire, sont chargés de l'enquête. Très vite, leurs investigations vont les entraîner des extrêmes pauvretés des Townships de Capetown aux luxueuses villas des bords de mer, à la recherche d'une drogue de synthèse, les amenant à se confronter à leur passé et à lutter contre leurs démons intérieurs...


Rassemblement de façade

Ali Sokhela est un flic intègre et idéaliste abîmé par la vie et marqué au fer rouge du sceau de l'apartheid. Il a perdu son père, brûlé par des blancs, lorsqu'il était plus jeune. Solitaire, sa vie intime se résume à la fréquentation des prostituées qu'il paye pour caresser leur peau. Malgré sa carapace d'acier, il a gardé sa capacité à s'émouvoir des crimes qu'il est chargé d'élucider. Ici, il doit s'occuper du meurtre d'une adolescente. Dans son enquête, il est aidé par Brian Epkeen, que la vie a peu à peu fait sombrer. Alcoolique, séparé de sa femme – et ne cherchant pas à cacher son antipathie pour le nouveau compagnon de celle-ci – il joue les têtes brûlées dans un pays loin d'être apaisé, quitte à fleurter avec l'illégalité. Tout deux vont être confrontés à la réalité d'un pays gangrené par la violence, le racisme et les inégalités et où le chacun pour soi a été érigé en règle de vie, loin de la « nation arc-en-ciel » vantée par ses dirigeants depuis 20 ans.

En effet, ce film montre que, derrière le rassemblement de façade, les inégalités sont plus criantes que jamais, entre les quartiers très pauvres et les villas du bord de mer très riches qui se côtoient dans une violence de plus en plus sanglante et un racisme persistant malgré la fin officielle de l'apartheid. Le réalisateur français Jérôme Salle montre que le pays n'est pas guéri de ses démons et que les vols et les trafics de drogue se poursuivent avec des gangs forts face à une police totalement dépassée voire complaisante. Brian Epkeen et Ali Sokhela sont imprégnés de cette ambiance, et même si ce dernier tente de lutter contre cette violence en croyant au pardon, il finira par flancher et y succomber. Son comparse, lui, est borderline et ne montre guère d'illusions quant à l'état du pays et son devenir. Les fractures sont béantes entre des populations fortement marqués par leur différence de statut social et qui les enferment dans des perspectives d'avenir incertaines.

Plaies encore vives

Ali Sokhela et Brian Epkeen évoluent ainsi dans ce climat de peur permanente d'un pays au bord du gouffre. Mais chacun avec leurs valeurs. Sokhela au début du film joue les « bon flic » alors qu'Epkeen apparaît comme un « mauvais flic ». Pourtant, au fur et à mesure de l'évolution du film, leurs convictions vont être mises à rude épreuve, remises en cause personnellement, et les rôles s'inverser. Le pardon est un sujet majeur au cœur du scénario, mais peut-on vraiment pardonner ? Le risque de l'individualisme est permanent. Et malgré le soutien sans faille d'Epkeen, Sokhela perd peu à peu ses illusions, finissant même par succomber à la tentation de la vengeance. Epkeen, à l'inverse, agressif comme l'est l'Afrique du Sud, va peu à peu s'adoucir pour tendre vers ce pardon. Mais cette notion reste une chimère dans un pays dont les plaies encore vives continuent de marquer sa réalité et dont la guérison prendra encore du temps.

Jérôme Salle, en adaptant le polar éponyme de Caryl Ferey, pose une caméra quasi-documentaire sur l'un des pays les plus apaisés du continent noir. Mais il montre rapidement que cela n'est qu'une illusion, et que le quotidien est beaucoup plus cruel et sombre, sans perspective d'avenir pour les plus pauvres, si ce n'est dans les trafics et les combines en tout genre. Porté par deux acteurs en très grande forme, Forest Whitaker et Orlando Bloom, le film est prenant, même si la violence est parfois montrée sous un angle un peu complaisant. Rythmé et maintenant parfaitement le suspense, avec un aspect social très bien démontré, le long métrage du réalisateur français dépasse le simple cadre des frontières du pays pour dénoncer une misère plus globale et montrer une violence crue et qui touche toutes les couches des sociétés. Son film ressemble à une photo de famille, montrée dans toutes ses déchirures et sa sombre réalité.


Le réalisateur de Largo Winch et de Anthony Zimmer filme un thriller sans pathos dont la noirceur peint des caractères forts mais qui ne peuvent rêver, pris au piège d'une réalité étouffante qui n'épargne rien ni personne. L'Afrique du Sud, personnage à part entière, exacerbe les tensions alors que le sentiment d'impuissance n'a jamais été aussi fort. Jérôme Salle se rapproche au plus près des cicatrices d'une nation qui ne demande qu'à recolorer un arc-en-ciel malade et encore bien pâle.
 
 
 



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