Un
combat pour l'emploi à hauteur d'Homme : la simplicité du scénario
fait ici la force du nouveau film des frères Dardenne.
Sandra
(Marion Cotillard) bosse dans une petite entreprise de fabrication de
panneaux solaire. Heureuse en ménage avec son mari, elle doit
toutefois faire face à un coup dur : un risque de licenciement
économique. Elle pourrait perdre son emploi, à moins que ses
collègues ne votent pour son maintien au sein de la boîte. Au
risque dans ce cas de devoir renoncer à leur prime de 1000 €
promis. Sandra a donc un week-end pour les convaincre de la maintenir
à son poste. Un combat pour conserver son travail débute alors...
Combat
ordinaire
Après
Rosetta ou encore Lorna (Le silence de Lorna, 2008),
Sandra est la nouvelle héroïne de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Une
héroïne qui, à l'instar de Samantha (Cécile de France dans Le
gamin au vélo, 2011), refuse de voir la fatalité et décide de
se battre. Si cette dernière décidait de faire preuve d'humanisme
envers un enfant rejeté et désœuvré, Sandra compte elle sur la
solidarité des uns et des autres, espérant que le lien social au
sein de l'entreprise dépassera l'intérêt économique personnel.
Mais pour cela, elle va devoir surpasser sa fragile santé ainsi que
sa honte de devoir faire du porte à porte pour demander à ses
collègues de renoncer à une prime pour elle. Dépressive, elle
manque de défaillir à plusieurs reprises. Heureusement elle peut
compter sur le soutien sans faille de son mari, qui la pousse à
faire fi des obstacles et à aller au bout de son défi afin que
celle-ci conserve son emploi et sa dignité.
Et
les caméras des frères belges la suivent au plus près de son
quotidien, façon documentaire comme ils ont l'habitude de le faire.
Ils captent une tension, vive, sur le fil, constamment accrochés aux
basques de Sandra. Ils la filment dans ses angoisses, ses joies, ses
déceptions, lorsque elle reste à la porte devant l'interphone comme
ses réussites lorsque ses collègues lui assurent de leur vote
positif le lundi matin. Le moindre sourire, la moindre émotion est
captée par une caméra-réceptacle des émotions du personnage
principal, un peu tremblante mais toujours vivante. Une histoire
simple mais qui laisse toute latitude à son héroïne dans ses pas,
dans ses choix. Les moments intimes ou publiques, rien n'échappe à
l’œil acéré des réalisateurs du Fils du chemin de croix
de Sandra dans sa quête de retourner un à un les salariés de la
petite entreprise. Un combat ordinaire mené tambour battant par une
bonne Marion Cotillard.
Un
« pas grand-chose » essentiel
Une
frêle femme forte. Voilà comment pourrait se définir Sandra. En
incarnant ce personnage dont le but ne paraît pas spectaculaire de
prime abord, la comédienne, césarisée et oscarisée pour La
môme, porte sur ses épaules quelque chose qui la dépasse : les
conséquences du capitalisme et de la crise économique sur une
salariée lambda d'une petite entreprise. Elle ne désire qu'une
seule chose, c'est conserver un salaire pour pouvoir continuer à
vivre. Quitte, dans le cas où elle conserverait son emploi, à se
mettre à dos ceux qui seraient contraints à abandonner leur prime.
Elle incarne une réalité concrète d'une situation difficilement
explicable, un maillon de base d'une chaîne qui dépasse les
Nations. Mais Sandra refuse de se laisser dépasser. Elle ne demande
pas grand-chose, mais est prête à y laisser sa santé pour ce «
pas grand-chose » qui est l'essentiel pour beaucoup de monde.
Une
situation qui met les autres salariés face au révélateur du choix.
Entre entraide d'autrui et gêne au moment d'annoncer vouloir
conserver la prime, chacun réagit à sa manière, en toute
conscience. D'autres encore préfèrent fuir la réalité en laissant
leur porte close, au risque de décevoir Sandra qui pensait pouvoir
compter sur ces personnes. Dans ou hors de l'entreprise, certains
d'entre eux ne réagissent pas forcément de la manière dont Sandra
l'imaginait. Elle incarne le cruel dilemme revisité de « la bourse
ou la vie » (ici, donc, de l'autre), celle dont les autres membres
de l'entreprise ont droit de vie ou de mort sociale sur elle-même.
Une réalité bien loin de la télé. Pourtant Sandra refusera la
fatalité jusqu'au bout et ira défendre ses chances jusqu'au lundi
matin. En allant au-devant d'eux, elle renvoie le reflet de la
question du « que ferais-tu à ma place ? », et incite à réfléchir
sur le choix du sort réservé à autrui dans notre monde
individualiste.
Sur
un drame vécu par de nombreuses personnes tous les jours, les Frères
Dardenne ont tissé une trame réaliste autant qu'une biographie de
notre époque autour d'un personnage dont le spectateur peut aisément
se reconnaître. Sans trop appuyer ni minimiser les effets et les
enjeux, ils ne font que regarder ce monde qui va mal avec un sens de
l'acuité tout particulier et juste, mais avec une note d'espoir, un
refus de la résignation, marqué particulièrement par Sandra, à
qui ils laissent le dernier mot : « On s'est bien battus ».
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