vendredi 3 octobre 2014

Deux jours, une nuit : mon job ma bataille


Un combat pour l'emploi à hauteur d'Homme : la simplicité du scénario fait ici la force du nouveau film des frères Dardenne.


 
 

Sandra (Marion Cotillard) bosse dans une petite entreprise de fabrication de panneaux solaire. Heureuse en ménage avec son mari, elle doit toutefois faire face à un coup dur : un risque de licenciement économique. Elle pourrait perdre son emploi, à moins que ses collègues ne votent pour son maintien au sein de la boîte. Au risque dans ce cas de devoir renoncer à leur prime de 1000 € promis. Sandra a donc un week-end pour les convaincre de la maintenir à son poste. Un combat pour conserver son travail débute alors...

Combat ordinaire

Après Rosetta ou encore Lorna (Le silence de Lorna, 2008), Sandra est la nouvelle héroïne de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Une héroïne qui, à l'instar de Samantha (Cécile de France dans Le gamin au vélo, 2011), refuse de voir la fatalité et décide de se battre. Si cette dernière décidait de faire preuve d'humanisme envers un enfant rejeté et désœuvré, Sandra compte elle sur la solidarité des uns et des autres, espérant que le lien social au sein de l'entreprise dépassera l'intérêt économique personnel. Mais pour cela, elle va devoir surpasser sa fragile santé ainsi que sa honte de devoir faire du porte à porte pour demander à ses collègues de renoncer à une prime pour elle. Dépressive, elle manque de défaillir à plusieurs reprises. Heureusement elle peut compter sur le soutien sans faille de son mari, qui la pousse à faire fi des obstacles et à aller au bout de son défi afin que celle-ci conserve son emploi et sa dignité.

Et les caméras des frères belges la suivent au plus près de son quotidien, façon documentaire comme ils ont l'habitude de le faire. Ils captent une tension, vive, sur le fil, constamment accrochés aux basques de Sandra. Ils la filment dans ses angoisses, ses joies, ses déceptions, lorsque elle reste à la porte devant l'interphone comme ses réussites lorsque ses collègues lui assurent de leur vote positif le lundi matin. Le moindre sourire, la moindre émotion est captée par une caméra-réceptacle des émotions du personnage principal, un peu tremblante mais toujours vivante. Une histoire simple mais qui laisse toute latitude à son héroïne dans ses pas, dans ses choix. Les moments intimes ou publiques, rien n'échappe à l’œil acéré des réalisateurs du Fils du chemin de croix de Sandra dans sa quête de retourner un à un les salariés de la petite entreprise. Un combat ordinaire mené tambour battant par une bonne Marion Cotillard.

Un « pas grand-chose » essentiel

Une frêle femme forte. Voilà comment pourrait se définir Sandra. En incarnant ce personnage dont le but ne paraît pas spectaculaire de prime abord, la comédienne, césarisée et oscarisée pour La môme, porte sur ses épaules quelque chose qui la dépasse : les conséquences du capitalisme et de la crise économique sur une salariée lambda d'une petite entreprise. Elle ne désire qu'une seule chose, c'est conserver un salaire pour pouvoir continuer à vivre. Quitte, dans le cas où elle conserverait son emploi, à se mettre à dos ceux qui seraient contraints à abandonner leur prime. Elle incarne une réalité concrète d'une situation difficilement explicable, un maillon de base d'une chaîne qui dépasse les Nations. Mais Sandra refuse de se laisser dépasser. Elle ne demande pas grand-chose, mais est prête à y laisser sa santé pour ce « pas grand-chose » qui est l'essentiel pour beaucoup de monde.

Une situation qui met les autres salariés face au révélateur du choix. Entre entraide d'autrui et gêne au moment d'annoncer vouloir conserver la prime, chacun réagit à sa manière, en toute conscience. D'autres encore préfèrent fuir la réalité en laissant leur porte close, au risque de décevoir Sandra qui pensait pouvoir compter sur ces personnes. Dans ou hors de l'entreprise, certains d'entre eux ne réagissent pas forcément de la manière dont Sandra l'imaginait. Elle incarne le cruel dilemme revisité de « la bourse ou la vie » (ici, donc, de l'autre), celle dont les autres membres de l'entreprise ont droit de vie ou de mort sociale sur elle-même. Une réalité bien loin de la télé. Pourtant Sandra refusera la fatalité jusqu'au bout et ira défendre ses chances jusqu'au lundi matin. En allant au-devant d'eux, elle renvoie le reflet de la question du « que ferais-tu à ma place ? », et incite à réfléchir sur le choix du sort réservé à autrui dans notre monde individualiste.




Sur un drame vécu par de nombreuses personnes tous les jours, les Frères Dardenne ont tissé une trame réaliste autant qu'une biographie de notre époque autour d'un personnage dont le spectateur peut aisément se reconnaître. Sans trop appuyer ni minimiser les effets et les enjeux, ils ne font que regarder ce monde qui va mal avec un sens de l'acuité tout particulier et juste, mais avec une note d'espoir, un refus de la résignation, marqué particulièrement par Sandra, à qui ils laissent le dernier mot : « On s'est bien battus ».







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