Avec Still the Water,
la réalisatrice japonaise Naomi Kawase nous propose, sous de faux
airs de polars, un film onirique sur la
vie, la mort, l'amour et l'(e)au– delà.
L'île d'Amami, au Japon.
La nature y exerce pleinement ses droits, et au nom de leurs
croyances, les habitants la respectent. Mais, un beau jour, la
quiétude des lieux est troublée par le corps d'un homme mort
recraché par la mer. Le jeune Kaito, qui l'a vu le premier, en est
troublé. Déjà perturbé par une famille déchirée, il est aidé
et aimé par son amie Kyoko, qui elle-même est en train de voir sa
mère s'éteindre peu à peu. Ces deux êtres vont devoir apprendre à
grandir ensemble.
Question de
transmission
Dès les premières
minutes du film, on croit assister à une future enquête policière
: un homme mort est rejeté par la mer et est retrouvé sur la plage
de l'île d'Amami par un jeune garçon, Kaito. Mais cela s'arrête
là. Même si le fin mot de l'histoire nous est donnée, c'est moins
la résolution du meurtre en lui-même que la vie de celui qui a vu
le corps en premier qui intéresse Naomi Kawase. Un adolescent
confronté aux difficultés de la vie, déchiré entre des parents
séparés. Il ne s'entend guère avec son père, tatoueur à Tokyo.
Mais pour l'apaiser, il peut compter sur Kyoko, avec qui il fait
l'apprentissage des sentiments. Il grandit, et tout se mêle et se
confond dans sa tête. Tandis que lui voit la mort en face, un corps
déjà inerte, Kyoko, elle, est au chevet de sa mère chamane,
appelée à disparaître de ce monde, mais à renaître de l'autre
côté. Les croyances sont ainsi mises en scène dans ce film à la
beauté onirique.
Ainsi la réalisatrice,
dans son nouveau film, pose son regard sur un monde encore pétri de
traditions, en totale harmonie avec la nature, les objets et les
éléments. Les habitants pensent que dans chaque pierre, chaque
plante, chaque arbre se cache un dieu. Ils faut alors les respecter,
les considérer d'égal à égal avec les humains. De même que face
à la mort les rites traditionnels sont respectés. Face au corps de
la mère de Kyoko, que les forces abandonnent petit à petit, sont
pratiqués des chants, des danses. Une ambiance tout à la fois
festive et grave, chargée en émotions. Tout est fait très
sérieusement, et traité de façon quasi-documentaire. Naomi Kawase
par ces images joue les rôles de passeuse autant que de mémoire de
traditions ancestrales qui se transmettent de générations en
générations. Une question de transmission, de changement d'état
qui imprègne également son histoire au travers de ses personnages.
Ile intérieure
Ce changement d'état est
parfaitement illustré par Kaito, un adolescent qui évolue vers
l'âge adulte. Il est déchiré entre des parents divorcés qu'il
aimerait voir se réconcilier, et au milieu d'eux cherche sa place.
Il ne sait pas à qui en vouloir de cet état de fait. Il se sent
impuissant. Il veut s'en sortir seul, mais il n'y parvient pas. Il ne
sait comment exprimer à l'extérieur ce qu'il ressent à
l'intérieur. L'amitié de Kyoko va l'aider à s'accepter et à
accepter les autres, même s'il se rend compte
des difficultés qui l'attendent au quotidien. Il veut donner une
image de lui positive, de quelqu'un de fort, mais il a conscience
de ses peurs. Sa jeune amie, elle, doit faire face à l'absence
imminente de sa mère, et donc doit déjà se préparer à grandir
sans elle. Face à l'évolution de situations qu'ils n'avaient pas
imaginés, pas anticipés, qu'ils subissent comme un sort s'abattant
sur eux, ils soudent ensemble de nouveaux liens face à l'adversité
qui les aide à affronter la réalité.
Naomi Kawase filme le
temps. Elle s'intéresse ici autant au passé qu'au futur, aux
traditions ancestrales et intemporelles qu'à l'avenir d'enfants
d'aujourd'hui appelés à devenir les adultes de demain. Elle réunit
les siècles sur une seule île, lieu de la réalité, au sein duquel
règne une part d'irrationnel, mais en même temps lieu du nul part,
d'un ailleurs incertain, un lieu personnel du tout un chacun. On a
tous une île a soi, à l'intérieur de soi. Un lieu imaginaire, du
tout possible, du tout permis, mais où le réel, le pragmatisme y
possède sa part. Still the water, c'est l’île intérieure de
la réalisatrice. Une île fantasmée, idéalisée, qu'elle matérialise devant sa caméra, son regard artistique. Une île,
comme métaphore des rêves et des espoirs de Naomi Kawase. Mais
aussi teintée de tristesse, la mort de la mère de Kyoko faisant écho au décès de sa propre mère adoptive. On peut donc le lire
comme une biographie de l'âme de l'auteure japonaise.
Still the water
est un beau petit film plein d'émotions et de sensibilité qui nous
renvoie en miroir à nos peurs d'enfants qui subsistent en chacun de
nous malgré le passage du temps. Un film troublant, ode à la
nature, à la disparition et à la célébration de l'après, sans
que l'on sache trop ce qu'il y aura. Les rites exorcisent les peurs.
Face à ce drame, face au vide, la solidarité, l'entraide et l'amour
de l'autre permet de mieux supporter la violence du temps. Naomi
Kawase nous le démontre sans être elle-même démonstrative.
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