vendredi 6 mars 2015

Au fil de l'eau

Avec Still the Water, la réalisatrice japonaise Naomi Kawase nous propose, sous de faux airs de polars, un film onirique sur la vie, la mort, l'amour et l'(e)au– delà.







L'île d'Amami, au Japon. La nature y exerce pleinement ses droits, et au nom de leurs croyances, les habitants la respectent. Mais, un beau jour, la quiétude des lieux est troublée par le corps d'un homme mort recraché par la mer. Le jeune Kaito, qui l'a vu le premier, en est troublé. Déjà perturbé par une famille déchirée, il est aidé et aimé par son amie Kyoko, qui elle-même est en train de voir sa mère s'éteindre peu à peu. Ces deux êtres vont devoir apprendre à grandir ensemble.

Question de transmission

Dès les premières minutes du film, on croit assister à une future enquête policière : un homme mort est rejeté par la mer et est retrouvé sur la plage de l'île d'Amami par un jeune garçon, Kaito. Mais cela s'arrête là. Même si le fin mot de l'histoire nous est donnée, c'est moins la résolution du meurtre en lui-même que la vie de celui qui a vu le corps en premier qui intéresse Naomi Kawase. Un adolescent confronté aux difficultés de la vie, déchiré entre des parents séparés. Il ne s'entend guère avec son père, tatoueur à Tokyo. Mais pour l'apaiser, il peut compter sur Kyoko, avec qui il fait l'apprentissage des sentiments. Il grandit, et tout se mêle et se confond dans sa tête. Tandis que lui voit la mort en face, un corps déjà inerte, Kyoko, elle, est au chevet de sa mère chamane, appelée à disparaître de ce monde, mais à renaître de l'autre côté. Les croyances sont ainsi mises en scène dans ce film à la beauté onirique.

Ainsi la réalisatrice, dans son nouveau film, pose son regard sur un monde encore pétri de traditions, en totale harmonie avec la nature, les objets et les éléments. Les habitants pensent que dans chaque pierre, chaque plante, chaque arbre se cache un dieu. Ils faut alors les respecter, les considérer d'égal à égal avec les humains. De même que face à la mort les rites traditionnels sont respectés. Face au corps de la mère de Kyoko, que les forces abandonnent petit à petit, sont pratiqués des chants, des danses. Une ambiance tout à la fois festive et grave, chargée en émotions. Tout est fait très sérieusement, et traité de façon quasi-documentaire. Naomi Kawase par ces images joue les rôles de passeuse autant que de mémoire de traditions ancestrales qui se transmettent de générations en générations. Une question de transmission, de changement d'état qui imprègne également son histoire au travers de ses personnages.

Ile intérieure

Ce changement d'état est parfaitement illustré par Kaito, un adolescent qui évolue vers l'âge adulte. Il est déchiré entre des parents divorcés qu'il aimerait voir se réconcilier, et au milieu d'eux cherche sa place. Il ne sait pas à qui en vouloir de cet état de fait. Il se sent impuissant. Il veut s'en sortir seul, mais il n'y parvient pas. Il ne sait comment exprimer à l'extérieur ce qu'il ressent à l'intérieur. L'amitié de Kyoko va l'aider à s'accepter et à accepter les autres, même s'il se rend compte des difficultés qui l'attendent au quotidien. Il veut donner une image de lui positive, de quelqu'un de fort, mais il a conscience de ses peurs. Sa jeune amie, elle, doit faire face à l'absence imminente de sa mère, et donc doit déjà se préparer à grandir sans elle. Face à l'évolution de situations qu'ils n'avaient pas imaginés, pas anticipés, qu'ils subissent comme un sort s'abattant sur eux, ils soudent ensemble de nouveaux liens face à l'adversité qui les aide à affronter la réalité.

Naomi Kawase filme le temps. Elle s'intéresse ici autant au passé qu'au futur, aux traditions ancestrales et intemporelles qu'à l'avenir d'enfants d'aujourd'hui appelés à devenir les adultes de demain. Elle réunit les siècles sur une seule île, lieu de la réalité, au sein duquel règne une part d'irrationnel, mais en même temps lieu du nul part, d'un ailleurs incertain, un lieu personnel du tout un chacun. On a tous une île a soi, à l'intérieur de soi. Un lieu imaginaire, du tout possible, du tout permis, mais où le réel, le pragmatisme y possède sa part. Still the water, c'est l’île intérieure de la réalisatrice. Une île fantasmée, idéalisée, qu'elle matérialise devant sa caméra, son regard artistique. Une île, comme métaphore des rêves et des espoirs de Naomi Kawase. Mais aussi teintée de tristesse, la mort de la mère de Kyoko faisant écho au décès de sa propre mère adoptive. On peut donc le lire comme une biographie de l'âme de l'auteure japonaise.

Still the water est un beau petit film plein d'émotions et de sensibilité qui nous renvoie en miroir à nos peurs d'enfants qui subsistent en chacun de nous malgré le passage du temps. Un film troublant, ode à la nature, à la disparition et à la célébration de l'après, sans que l'on sache trop ce qu'il y aura. Les rites exorcisent les peurs. Face à ce drame, face au vide, la solidarité, l'entraide et l'amour de l'autre permet de mieux supporter la violence du temps. Naomi Kawase nous le démontre sans être elle-même démonstrative.







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