Concentré d'émotions,
de toutes les émotions, dans le cinquième film du prodige québécois
Xavier Dolan.
Le film se déroule en
2015. Année où une loi permet aux parents d'enfants difficiles de
confier ceux-ci à une institution d'Etat comme un hôpital
psychiatrique pour mineur. C'est dans ce contexte que Diane, veuve
quadragénaire vivant à Montréal, doit s'occuper de son fils Steve,
diagnostiqué comme hyperactif, alors que le centre de rééducation
dans lequel il a été placé à la mort de son père l'a viré à
cause de son comportement. Ensemble, ils vont devoir s'apprivoiser et
trouver un équilibre, coûte que coûte...
Caractère impulsif
Le film débute par une
date. 2015. Or, le film a été réalisé en 2014. Il s'agit donc
d'une œuvre futuriste, mais un futur immédiat. Celui de demain. De
dans quelques heures, à supposer que nous n'y soyons pas déjà. Au
Québec, une loi autorise les parents à confier leurs enfants
difficiles à une institution d'Etat. Donc si un parent se sent
dépassé par sa progéniture, elle peut s'en remettre à son pays
pour s'en occuper à sa place. Diane, elle, n'en est pas encore là.
Cette jeune veuve d'une quarantaine d'année, et qui peine à joindre
les deux bouts – elle se fait virer du
journal dans lequel elle s'occupait du courrier du cœur –
vient tout juste de récupérer son ado, Steve. Reconnu comme
hyperactif, le centre de rééducation dans lequel il était placé
vient de le mettre à la porte à cause de son comportement
violent. C'est donc elle qui va devoir le prendre en charge.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la cohabitation s'avère
au début difficile.
Tout d'abord débordée
par son imprévisibilité, elle va finir par trouver une alliée en
la personne de Kyla, leur nouvelle voisine, mariée, enseignante et
bègue, et actuellement en congé maladie. Et elles ne seront pas
trop de deux pour essayer de calmer ce caractère impulsif qui a
besoin d'attention à chaque instant. Des liens vont se nouer entre
ce trio, dans lequel Steve représente l'épicentre. En effet, à son
contact, autant Diane que Kyla vont évoluer, changer, car elles ont
besoin de montrer à l'adolescent que l'on ne doit pas baisser les
bras et qu'il faut avancer en gardant l'esprit positif, même si rien
n'est vraiment rose. La générosité sera leur leitmotiv. Or, Steve
en a à revendre. Il ressent tout de manière très accentuée, de
façon très brute. Il est entier, et va s'attacher autant à l'une
qu'à l'autre. Mais il reste un ado, avec ses maladresses et sa
spontanéité qui lui font prendre toute sa place, jusqu'à déborder
comme le lait sur le feu.
Gueules cassées
Et ce trop-plein donne
lieu à des scènes tout à la fois gênantes (les propos racistes
envers le chauffeur de taxi), drôles (la danse sur une chanson de
Céline Dion) ou décalées (le karaoké sur « Vivo per lei » dans
un bar alors que Steve est insulté par des loubards), mais dans
lesquelles l'émotion est présente en chaque lieu, chaque plan. Des
plans en 1:1, rectangulaire, afin de mieux guider le regard du
spectateur. Il est obligé de supporter ce qu'il voit. Voir que Steve
(Antoine-Olivier Pylon) prend toute la place. Sur l'écran comme dans
la vie de Diane (Anne Dorval) et Kyla (Suzanne Clément). Trois
personnages qui se nourrissent et s'entraident, même maladroitement,
et malgré les barrières qui se dressent devant eux en permanence.
Ce sont ces tranches de vie que filme Xavier Dolan avec beaucoup de
talent et d'audaces. Il fait avancer sans cesse ses personnages, en
dépit du précipice qui menace ce fragile équilibre.
Ces « gueules cassées »
de la société, ces gens mis en marge, essayent effectivement de
survivre et d'exister. Ils refusent l'inéluctable. En témoigne ici
la figure maternelle. Une « mère courage » mise en valeur et
célébrée lorsque l'occasion se présente (cf le karaoké), hommage
à toutes les femmes qui se battent pour s'en sortir dans leur vie
multiple, mère et travailleuse. Diane est à la recherche d'un
nouvel emploi suite à un licenciement, donc à la recherche d'un
nouveau statut social. Elle doit, comme Steve, se montrer
indépendante, capable de se débrouiller seule tout en assurant pour
deux les fonctions parentales. Mais cela n'est pas simple, notamment
pour nouer ou renouer des liens avec un enfant qu'elle a laissé dans
un institut spécialisé, et donc dont elle n'a pas eu à s'occuper
au quotidien. C'est aussi pour elle l'apprentissage du rôle de mère
d'adolescente. On les voit évoluer sur un fil. Devant nous. Comme
nous.
Film pop gorgé
d'émotions et d'heureuses surprises, Mommy est un film qui va
à cent mille à l'heure, dans le sillage d'un héros hyperactif. Un
film spontané et en même temps maîtrisé de bout en bout, qui
bouscule et ne tombe jamais dans la mièvrerie. Un grand film d'amour
filial porté par un cinéaste surdoué de seulement 25 ans, et qui
réalise ici déjà sa cinquième œuvre de fiction. Une ode à la
liberté, qui propose et qui ose, sans aucune naïveté ni sans
tempérer l'enthousiasme. Un film qui donne un franc sourire.
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