vendredi 17 avril 2015

Mommy embaume les cœurs


Concentré d'émotions, de toutes les émotions, dans le cinquième film du prodige québécois Xavier Dolan.





Le film se déroule en 2015. Année où une loi permet aux parents d'enfants difficiles de confier ceux-ci à une institution d'Etat comme un hôpital psychiatrique pour mineur. C'est dans ce contexte que Diane, veuve quadragénaire vivant à Montréal, doit s'occuper de son fils Steve, diagnostiqué comme hyperactif, alors que le centre de rééducation dans lequel il a été placé à la mort de son père l'a viré à cause de son comportement. Ensemble, ils vont devoir s'apprivoiser et trouver un équilibre, coûte que coûte...

Caractère impulsif

Le film débute par une date. 2015. Or, le film a été réalisé en 2014. Il s'agit donc d'une œuvre futuriste, mais un futur immédiat. Celui de demain. De dans quelques heures, à supposer que nous n'y soyons pas déjà. Au Québec, une loi autorise les parents à confier leurs enfants difficiles à une institution d'Etat. Donc si un parent se sent dépassé par sa progéniture, elle peut s'en remettre à son pays pour s'en occuper à sa place. Diane, elle, n'en est pas encore là. Cette jeune veuve d'une quarantaine d'année, et qui peine à joindre les deux bouts – elle se fait virer du journal dans lequel elle s'occupait du courrier du cœur – vient tout juste de récupérer son ado, Steve. Reconnu comme hyperactif, le centre de rééducation dans lequel il était placé vient de le mettre à la porte à cause de son comportement violent. C'est donc elle qui va devoir le prendre en charge. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la cohabitation s'avère au début difficile.

Tout d'abord débordée par son imprévisibilité, elle va finir par trouver une alliée en la personne de Kyla, leur nouvelle voisine, mariée, enseignante et bègue, et actuellement en congé maladie. Et elles ne seront pas trop de deux pour essayer de calmer ce caractère impulsif qui a besoin d'attention à chaque instant. Des liens vont se nouer entre ce trio, dans lequel Steve représente l'épicentre. En effet, à son contact, autant Diane que Kyla vont évoluer, changer, car elles ont besoin de montrer à l'adolescent que l'on ne doit pas baisser les bras et qu'il faut avancer en gardant l'esprit positif, même si rien n'est vraiment rose. La générosité sera leur leitmotiv. Or, Steve en a à revendre. Il ressent tout de manière très accentuée, de façon très brute. Il est entier, et va s'attacher autant à l'une qu'à l'autre. Mais il reste un ado, avec ses maladresses et sa spontanéité qui lui font prendre toute sa place, jusqu'à déborder comme le lait sur le feu.

Gueules cassées

Et ce trop-plein donne lieu à des scènes tout à la fois gênantes (les propos racistes envers le chauffeur de taxi), drôles (la danse sur une chanson de Céline Dion) ou décalées (le karaoké sur « Vivo per lei » dans un bar alors que Steve est insulté par des loubards), mais dans lesquelles l'émotion est présente en chaque lieu, chaque plan. Des plans en 1:1, rectangulaire, afin de mieux guider le regard du spectateur. Il est obligé de supporter ce qu'il voit. Voir que Steve (Antoine-Olivier Pylon) prend toute la place. Sur l'écran comme dans la vie de Diane (Anne Dorval) et Kyla (Suzanne Clément). Trois personnages qui se nourrissent et s'entraident, même maladroitement, et malgré les barrières qui se dressent devant eux en permanence. Ce sont ces tranches de vie que filme Xavier Dolan avec beaucoup de talent et d'audaces. Il fait avancer sans cesse ses personnages, en dépit du précipice qui menace ce fragile équilibre.

Ces « gueules cassées » de la société, ces gens mis en marge, essayent effectivement de survivre et d'exister. Ils refusent l'inéluctable. En témoigne ici la figure maternelle. Une « mère courage » mise en valeur et célébrée lorsque l'occasion se présente (cf le karaoké), hommage à toutes les femmes qui se battent pour s'en sortir dans leur vie multiple, mère et travailleuse. Diane est à la recherche d'un nouvel emploi suite à un licenciement, donc à la recherche d'un nouveau statut social. Elle doit, comme Steve, se montrer indépendante, capable de se débrouiller seule tout en assurant pour deux les fonctions parentales. Mais cela n'est pas simple, notamment pour nouer ou renouer des liens avec un enfant qu'elle a laissé dans un institut spécialisé, et donc dont elle n'a pas eu à s'occuper au quotidien. C'est aussi pour elle l'apprentissage du rôle de mère d'adolescente. On les voit évoluer sur un fil. Devant nous. Comme nous.



Film pop gorgé d'émotions et d'heureuses surprises, Mommy est un film qui va à cent mille à l'heure, dans le sillage d'un héros hyperactif. Un film spontané et en même temps maîtrisé de bout en bout, qui bouscule et ne tombe jamais dans la mièvrerie. Un grand film d'amour filial porté par un cinéaste surdoué de seulement 25 ans, et qui réalise ici déjà sa cinquième œuvre de fiction. Une ode à la liberté, qui propose et qui ose, sans aucune naïveté ni sans tempérer l'enthousiasme. Un film qui donne un franc sourire.  





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