Dans
La belle saison, Catherine Corsini filme une époque pas si
lointaine, celle des débuts du féminisme, où les libertés se
heurtent encore aux carcans moraux.
Delphine
est fille de paysans. Fille unique. Et elle est destinée à
reprendre à terme la ferme familiale. Mais elle s'ennuie dans sa
campagne. Au début des années 1970, Paris représente la liberté.
Ainsi pourra-t-elle peut-être cacher à ses parents son secret en
allant faire ses études dans la capitale : elle est homosexuelle.
Là-bas, elle croise la route de Carole, professeure d'espagnol
hétérosexuelle qui vit pleinement les débuts du féminisme. Les
deux femmes vont tomber sous le charme l'une de l'autre...
Confrontation
entre deux mondes
Le
féminisme et, de manière plus générale, l'évolution de la
condition de la femme et des mentalités liées à leur émancipation
vu par le prisme de l'histoire. Tel est le parti pris de Catherine
Corsini. C'est pourquoi elle nous propose un retour en arrière, dans
les années 1970. Une époque suffisamment éloignée pour l'avoir
digérée, mais suffisamment proche pour nous montrer d'où l'on part
et ce qui reste encore à accomplir. Un coup d'oeil dans le rétro en
forme de confrontation entre deux mondes, l'un urbain, moderne et
remuant, l'autre rural, traditionaliste et ayant échappé aux
tempêtes post-soixante-huitardes qui ont déferlé sur la France.
Une ville aux habitants pétris de culture et désireux de vivre à
fond les changements qui s'annoncent encore adossés aux mouvements
ayant eu lieu deux ans plus tôt, et une campagne travailleuse,
proche de la terre et où le patriarcat reste très ancré dans les
mentalités.
Soit
l'histoire de la rencontre, dans les rues de Paris, entre Delphine
(Izïa Higelin) et Carole (Cécile de France). Delphine est fille
unique d'un couple de paysans. Elle manie aisément la fourche et le
tracteur, mais elle se sent seule et s'ennuie. Le bel
Antoine lui tourne bien autour, et ses parents les verraient
bien se marier. Mais Delphine a un secret : elle préfère les
femmes. Craignant la réaction de ses parents, elle parvient à les
convaincre de faire des études dans la capitale. Là-bas, elle
croise la route de Carole, professeure d'espagnol et ardente
défenseure de la cause des femmes. Si elle choisit de la suivre dans
ses combats, c'est autant pour ceux à mener que pour se rapprocher
d'elle. Sauf que Carole est hétérosexuelle et en couple. Pourtant,
elles vont finir par vivre leur histoire d'amour, dans une époque où
les homosexuels peuvent encore finir en internement psychiatrique à
cause de leur orientation.
Faux
allures de documentaire d'époque
Ce
film joue donc des oppositions. Entre l'homosexuelle assumée mais
qui est contrainte de se cacher et l'hétérosexuelle qui va remettre
sa vie sentimentale en cause et va vouloir vivre sa nouvelle
sexualité au grand jour. Mais lorsque, suite à l'AVC de son père,
Delphine va devoir revenir gérer la ferme familiale, Carole, ne
supportant pas la séparation, va la rejoindre. Là, elle va
découvrir un monde bien loin de son idéal féministe progressiste,
dans un coin où le couple homme-femme reste la norme, avec l'homme
qui reste le chef de famille et le décideur prépondérant, les
femmes n'étant que de simples suiveuses, des exécutantes. C'est un
domaine encore très masculin, où les femmes n'ont pas – ou si peu
– leur mot à dire. Malgré ses efforts d'adaptation, Carole va se
sentir engoncée dans ce monde qu'elle ne comprend pas et dans lequel
elle ne se sent pas à sa place. Elle va s'ennuyer car elle a le
sentiment de perdre sa chère liberté.
La
réalisatrice Catherine Corsini filme l'effervescence des années
post- mai 68 en France, entre une capitale progressiste et des femmes
en lutte pour plus de droits et de revendications féministes et
égalitaristes, et une province encore loin de tout cela, statique et
attachée à ses traditions. Le statu - quo est donc encore de mise,
même si le mouvement existe et sa flamme entretenue. A l'intérieur
de cela, elle introduit une provinciale homosexuelle, donc apte à
bousculer les codes dans des lieux où la différence est encore
source de rejet, et une parisienne hétérosexuelle qui se révèle à
elle-même au contact d'une autre femme, se confrontant par ailleurs
à ses propres principes. La belle saison est un film aux faux
allures de documentaire d'époque mais de réel engagement, sincère,
et qui montre que le chemin qu'il reste à accomplir pour accepter
l'autre, notamment dans les mentalités, est encore long, encore
aujourd'hui.
Malgré
un petit côté « téléfilm » parfois, La belle saison est
un film fort à l'histoire d'amour émouvante, avec notamment une
Cécile de France confondante de naturel. Catherine Corsini situe son
film dans une époque dont la plupart des spectateurs peuvent avoir
des souvenirs, donc s'adresse à eux et les interroge sur leur propre
vision du changement, faisant en creux le bilan de 40 ans de combat
féministe. Sans angélisme ni manichéisme, la réalisatrice a fait
un film personnel mais qui touche tout le monde.
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