mercredi 12 novembre 2014

A cheval sur la folie


Dans The Homesman, sa troisième réalisation, Tommy Les Jones incarne un Cow-boy déjanté et bourré d'humanité. Une très belle surprise.
 



Nebraska, 1854. Trois femmes ayant sombré dans la folie sont confiées à Mary Bee Cuddy, une femme forte qui s'occupe seule de sa ferme, afin de les emmener chez un pasteur, dans l'Iowa, pour qu'elles puissent être prises en charge. Sur la route, elle croise George Briggs, un homme rustre menacé de pendaison. Elle le sauve, et celui-ci, contre la somme de 300 dollars, accepte de la suivre dans son périple dans les grandes plaines et de faire face avec elle aux multiples dangers...


Amérique des grands espaces

Pour son troisième film en tant que réalisateur, Tommy Lee Jones retourne au genre du western, 9 ans après Trois enterrements, qui lui avait réussi. Via l'adaptation du roman de Glendon Swarthout, « le chariot des damnés », il se – et nous – replonge dans l'Amérique du 19ème siècle, celle des grands espaces, des bandits de grands chemin et de la ruée vers l'or. En cousin pas si éloigné de Henri Moon (alias Jack Nicholson dans En route vers le grand sud, réalisé par l'acteur en 1978), il interprète un George Briggs tout à la fois bourru et bourré d'humanité. Cœur de pierre qui se laissera surprendre, bien qu'il s'en défende, par la beauté de Mary Bee Cuddy ; un cabotin, qui finira par se faire amadouer malgré lui par une femme au caractère bien trempé et déterminée à ne pas se laisser faire par cet olibrius qui sort d'elle ne sais où mais dont elle aura besoin pour affronter tous les obstacles que recèle sa route vers l'Iowa.

Le principal atout réside en effet sur la rencontre de deux personnages forts qui révéleront leurs fragilités et fendront l'armure dans des décors et des situations propices à cela. Mary Bee Cuddy est une bonne chrétienne. Célibataire endurcie, elle est guidée par l'amour de son prochain tout en espérant qu'un jour cet amour lui soit rendu par un homme avec lequel elle pourrait fonder un foyer. Mais le seul qu'elle croise sur son trajet vers l'Iowa est un homme solitaire et égoïste qui n'en fait qu'à sa tête, n'acceptant d'accompagner le convoi que pour l'argent, en espérant que les cinq semaines du périple passent le plus rapidement possible. D'apparence insensible au premier abord ni au sort de Cuddy, ni à celle des trois femmes qu'il doit convoyer, il va au fur et à mesure des dangers à affronter se laisser apprivoiser, révélant de lui des facettes que lui-même semblait avoir oublié, tant il les avait enfouies. Mais elles vont ressurgir malgré lui, imperceptiblement.

Perte ou rédemption

C'est ce qui fait de ce western humaniste une réussite. On y retrouve ici les codes : les cow-boy et les indiens, les trajets sans fin vers des lointaines contrées, la poussière ocre, le vide. Mais contrairement aux grands films sur le Far-West, à dominante masculine, ici c'est une femme qui joue les héroïnes, prenant ses responsabilités sur la tâche qui lui est incombé. Et Mary Bee Cuddy est accompagnée sur sa route par un anti-héros qui s'avère être autant une aide précieuse quant à sa connaissance du territoire qu'un boulet à cause de la légèreté de son comportement. Mais le silence est également omniprésent. Celui des sentiments. Ou plutôt de son absence. Cuddy, qui rêve de fonder une famille, finit par espérer que Briggs sera – par défaut ? - le père de ses futurs enfants. Sauf que lui est éloigné de toutes ces préoccupations. Ce solitaire s'ouvrira néanmoins au contact de ces femmes, au travers de cette singulière traversée.

Tommy Lee Jones filme ici une Amérique du 19e siècle belle comme une œuvre picturale, contemplative et fantasmée. Une Amérique où la religion tient déjà une place prépondérante et où les plus fous ne sont pas forcément ceux qu'on croit, délimitant de manière floue les frontières. Dans un contexte où l'atmosphère reste lourde et dans laquelle la violence continue de s'épanouir dans les lisières, George Briggs est un personnage-bouffon qui permet d'alléger l'air ambiant et de créer un décalage humoristique dans un film qui ne l'est pas toujours. Mais il est surtout supplanté par Mary Bee Cuddy (Hillary Swank), personnage de femme forte dans une mythologie qui en compte peu. Deux personnages proches dans un décor vaste, hostile, contraignant, qui avancent main dans la main, dans une entraide mutuelle qui vont les changer profondément, jusqu'à la perte ou la rédemption.



Dans The Homesman, Tommy Lee Jones filme deux personnages livrés à eux-même dans un territoire qui ne veut pas d'eux. Un convoi de marginaux, où la présence des trois femmes leur rappelle constamment que la folie menace et n'est jamais très éloignée. Mais la présence de la vie est malgré tout omniprésente, car il faut bien faire avec, qu'elle soit menée avec rigueur (Cuddy) ou détachement (Briggs). Deux facettes d'un même monde, deux êtres qui se nourrissent l'un l'autre pour mieux supporter cette traversée et la dédramatiser.
 
 
 


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