Thimothy Spall incarne le
peintre, génie en avance sur son temps, sur la nouvelle toile du
réalisateur de « secrets et mensonge ».
Nous sommes au XIXe
siècle. Joseph Mallord William Turner (1775 – 1851) est un célèbre
peintre britannique, membre de la prestigieuse Royal Academy Of Arts.
Ce misanthrope qui fréquente les bordels est très entouré. Ses
nombreux voyages nourrissent son œuvre. Une œuvre qui n'est pas
sans susciter des sarcasmes de la part de ses contemporains. A la
mort de son père, très affecté, il s'isole, jusqu'à sa rencontre
avec Mrs Booth, propriétaire d'une maison de famille en bord de
mer...
« Star » de son
époque
Qu'est-ce que la peinture
? Comment parler de l'immobile, du figé, dans un art en constant
mouvement ? Et pourquoi l'oubli ? Autant de questions que le
réalisateur britannique Mike Leigh développe dans son nouveau film.
Et pour ce faire, il utilise le genre du biopic, et donc ici la
figure du peintre, pour avancer des théories et donner des éléments
de réponse à ses interrogations. Un artiste ancré dans son époque,
mais qui, au travers de son art avant-gardiste, lui échappe
également pour mieux les traverser, quitte à risquer de s'effacer
totalement jusqu'à ce que ne demeure plus que l’œuvre. Ce
peintre, cet artiste, c'est Joseph Mallord Willard Turner, l'une des
« stars » de son époque dans son domaine, admiré autant que
critiqué, membre de l'une des plus prestigieuses et représentatives
académies de son pays. Une personnalité tombée un peu dans l'oubli
et que le cinéaste réhabilite en le faisant revivre le temps d'un
film.
Soit, donc, l'histoire de
J. M. W. Turner, peintre de son état et membre de la Royal Academy
of Arts, à la date de naissance incertaine (probablement avril
1775). Orphelin de mère à l'âge de 4 ans, faisant de son père son
assistant, son art avant-gardiste suscitera autant l'admiration que
les quolibets de ses contemporains. Grand voyageur, ses aquarelles
qui en découlent en feront « le peintre de la lumière ». Il
fréquente également les bordels. Mais au fil du temps son
excentricité et son caractère taciturne ainsi qu'une dépression
suite à la mort de son père l'éloigneront du monde des hommes. Peu
l'importera, d'ailleurs, car il a peu d'amis. Sur le plan privé, il
ne sera jamais marié. Mais père de deux enfants qu'il aura avec
Sarah Danby. Avant de rencontrer la veuve Sophia Caroline Booth, avec
qui il vivra comme mari et femme, et dont il empruntera le nom comme
pseudonyme pour sa dernière exposition un an avant sa mort, en 1851.
Manque de points
d'accroche
Joseph Turner, c'est
Timothy Spall. Dans ses gestes, dans ses attitudes, dans son regard,
dans son expression. Tout en lui se fond dans son personnage avec une
impressionnante aisance. Il est l'écrin magnifique d'un Mike Leigh
qui fait preuve d'inventivité et d'imagination dans sa réalisation.
Plus que du peintre, le britannique peint le portrait d'une époque
et d'un homme posé là par hasard, en décalage avec une société
qui cherche à se faire voir, alors que lui s'effacera au fur et à
mesure que le temps passe. Même sa peinture est d'un autre époque,
difficile à définir. Il est admiré, mais ne semble pas en faire
grand cas. Seule concession aux méandres de son cerveau, ses œuvres,
résultantes de l'acte de création. Et c'est là que se rejoignent
finalement le cinéma et la peinture. Dans l'acte de création. La
peinture représentant un film statique, immobile, chargé de cette
même émotion qu'accroche l’œil du
regardant à qui cette histoire est racontée.
Toutefois, si l'on peut
percevoir un scénario, ou se le créer soi-même le cas échéant,
dans ce qui nous est donné à montrer, le créateur est-il
systématiquement ciné-génique ? Toute vie mérite-t-elle d'être
racontée ? Oui, en tout cas pour de ce qui concerne celle de Turner,
nous répond le réalisateur de Secrets et mensonges. Le
spectateur restera, lui, beaucoup plus sceptique. Sans réelle ligne
directrice ni rebondissement romanesque, il émane une sensation de
manque d'un fil conducteur, chevalet qui maintiendrait l'intérêt du
film. Or, Turner ne semble pas être le personnage le plus
cinématographique du monde. Sa vie n'est pas la plus passionnante de
l'histoire de la peinture, sauf respect pour l'homme, sa carrière et
sa postérité. De ce fait, la relative absence de scénario ne
permet pas de se passionner réellement pour le film ou pour
l'histoire qui est tenté de nous être raconté. Restent l'art du
réalisateur et la performance d'acteur.
« Dans la peinture, il
s'établit comme un pont mystérieux entre l'âme des personnages et
celle du spectateur », écrivait Eugène Delacroix dans son Journal.
Mike Leigh ne fait pas autre chose. Il dresse des ponts entre l'âme
de William Turner et celle des spectateurs. Si l'alchimie entre le
réalisateur et son acteur Thimothy Spall fonctionne à plein,
montrant la beauté des tableaux et celle, plus complexe et
mystérieuse, du peintre, les raisons qui ont poussé le britannique
à faire de la vie de l'artiste une œuvre à part entière
demeurent, elles, obscures. Et ce n'est pas le moindre des paradoxes
du « peintre de la lumière ».
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