Une ville africaine tombe
sous la coupe des djihadistes, et c'est tout les habitants qui
entrent en résistance contre leurs bourreaux. Une critique onirique
et cinglante d'Abderrahmane Sissako.
Tombouctou. Des
extrémistes religieux prennent d'assaut la ville et aussitôt
imposent leur loi. Désormais, la musique, les cigarettes et le
football sont interdits. Les femmes doivent porter le voile et des
gants. Celles et ceux qui ne respectent pas les nouvelles règles
sont traînés devant un tribunal inique et soumis à l'arbitraire de
leurs oppresseurs. Non loin de là, Kidane, sa femme et sa fille
vivent paisiblement dans les dunes. Son berger de douze ans vient de
perdre la vache GPS et se met à sa recherche. Il tombe sur un
pêcheur...
La terreur en pleine
face
L'action du film se passe
en Afrique. Les Djihadistes poursuivent leur offensive au Mali et
viennent de conquérir la capitale Tombouctou. Oubliés les lois
démocratiques, seule la charia se verra maintenant appliquée. Ceux
qui contreviendraient à leur interprétation très subjective et
rigoureuse de l'Islam pourraient se voir condamnés à mort par
lapidation. Musique, cigarettes et jeux de ballons sont désormais
fermement proscrits. Quant aux femmes, elles devront se dissimuler en
portant le voile et en mettant des gants. Ce qui n'est pas sans poser
quelques problèmes, notamment auprès des poissonnières qui devront
découper leurs poissons avec ces protections très peu pratiques
pour leur travail. Toute l'absurdité du film est là : rien n'est
dit, mais tout est montré. Tout est moqué. Tout peut être sujet à
raillerie, à démonstration du ridicule des situations qui seront
sujets à contournement des lois et à la résistance.
Parallèlement à cela,
un peu en marge, aux lisières de la ville, dans les dunes, vit
Kidane et sa famille. Il y a là sa femme, Satima, et sa fille, Toya.
Il possède des vaches qu'il fait garder par Issan, un petit berger
de 12 ans. Lorsque celui-ci ne retrouve plus la vache préférée de
Kidane, qui porte le doux petit nom de GPS, le patriarche part à sa
recherche. Il finit par la retrouver, mais tue accidentellement
Amadou, un pêcheur. Les djihadistes vont alors exercer leur loi sur
lui. Kidane, en ce sens, symbolise la fin de l'innocence. Au début
du film, il est loin, un peu comme le spectateur – observateur.
Mais les circonstances vont faire que la réalité va le rattraper.
Il va prendre conscience des nouvelles conditions de vie de
Tombouctou et se prendre la terreur en pleine face. En ce sens, il
est un représentant du ressenti des habitants d'Afrique otages de
cette nouvelle forme de terrorisme qui passent soudainement de la
liberté à la peur.
Projet hors-sol
Une peur contrebalancée
par de formidables instants de grâces filmiques, telle cette scène
où les enfants jouent un match de football, mais sans le ballon,
puisque cela est interdit. Un moment d'onirisme parfait qui vient en
lutte, en confrontation directe avec les djihadistes. Un défi comme
déclaration de guerre face au nouvel occupant venu de l'extérieur
et qui impose une loi rude. Le rêve et les aspirations à la
démocratie de la population contre la violence des colonisateurs. Et
le rire. En effet, Abderrahmane Sissoko se moque d'eux et les tourne
en dérision, les mettant face à leurs propres contradictions. Ils
interdisent la cigarettes mais ils fument. Ils
doivent parler arabe mais se comprennent mieux en anglais.
Dans le même temps, le réalisateur
mauritanien montre comment la population se soude pour faire face à
l'adversité et exercer leurs libertés. Ainsi il fait de ce
microcosme l'exemple-type des luttes des peuples pour la démocratie
dans le monde.
En effet, en extrapolant,
nous pourrions très bien imaginer que cela pourrait se passer
n'importe où ailleurs. Cette population de Tombouctou opprimée,
c'est le symbole des luttes des populations en résistance sociale,
culturelle et politique contre leurs gouvernants. Timbuktu peut ainsi
être lu comme un conte moderne, sombre mais rempli d'espoir. Un cri
du cœur d'un pays, et au-delà d'un continent, envers les autres
populations, tout autant qu'une mise en garde envers les gens qui se
laissent faire sans prendre ni garde ni les armes intellectuelles. Le
grand projet hors-sol d'une critique de ceux qui utilisent et abusent
d'une religion, la détournant à leur propre profit aboutit à un
grand film rempli d'émotions qui vise juste et qui nous fait toucher
concrètement du doigt, au travers des instants de vie, de la loupe
que permet la caméra du cinéma, la violence des bourreaux autant
que les rêves de délivrance toujours présents des opprimés.
Au travers de son dernier
film, Timbuktu, Abderrahmane Sissako touche juste et montre un
problème actuel et universel, mais sans verser dans le discours
politique, car c'est par la prise de conscience des peuples que ces
derniers s'en sortiront. Un appel à la solidarité par l'onirisme
qui séduit, concerne, bouleverse et touche chaque spectateur
individuellement, comme une injonction à faire bouger les choses
pendant qu'il en est encore temps. Un magnifique film sur des héros
altruistes, résistants du quotidien.
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