jeudi 12 septembre 2013

La Grande Bellezza : Sermon sur la chute de Rome

Après This must be the place, Paolo Sorrentino poursuit son travail sur les personnages en décalage avec leur époque.





Jep Gambardella (Toni Servillo) est un journaliste vivant à Rome, un dandy mondain vieillissant et érudit, dont tout le monde recherche la compagnie lors des nombreuses soirées auxquelles il participe. Auteur d'un livre à succès dans le passé, L'appareil humain, il souhaite se remettre à écrire sans pour autant y montrer une quelconque volonté. Faisant preuve d'un certain cynisme et d'un dégoût de lui-même, il vit dans la nostalgie d'un amour de jeunesse, avec en toile de fond la ville éternelle...

Un peu ici, un peu ailleurs

Le réalisateur italien Paolo Sorrentino revient jouer à domicile pour son nouveau film. Une œuvre originale pourtant très inspirée par la littérature. Le personnage principal a écrit un livre qui a eu les honneurs d'un prix littéraire, et parle des écrivains en bon journaliste cultivé qu'il est. Le film lui-même débute par un extrait tiré du livre de Céline, Voyage au bout de la nuit. La Grande Bellezza bénéficie d'un scénario très écrit, avec des personnages haut en couleur et des dialogues savoureux. Un scénario qui se suit et se déguste comme les bonnes feuilles d'un bon classique. Un film qui parle de notre époque sans que pour autant les différents protagonistes y soient ancrés de façon nette. Ils y ont un pied, et un autre dans le passé. Un peu ici, un peu ailleurs, comme pour mieux se moquer d'eux-même et de leurs contemporains. Un recul parfaitement illustré par son principal protagoniste, incarnation de l'esprit du film.

En effet, Jep Gambardella est un personnage mondain et spirituel, un dandy décadent qui ne se sent pas vraiment à sa place dans notre époque. Il repense sans cesse à son glorieux passé, au point de vouloir renouer avec celui-ci en voulant écrire un second livre, après un premier ouvrage, l'appareil humain, auréolé de succès et bardé de prix lors de sa sortie. En outre, sa compagnie est très recherchée, il a de nombreux amis, mais il est terriblement seul. Il vit au quotidien avec sa mélancolie. A l'automne de sa vie, il se sent à un tournant et se demande à quoi il peut encore bien servir. Il a une vision sévère sur ce monde qui ne sait pas où il va. Mais les fêtes aident à détourner la tête des véritables problèmes. Les gens s'amusent et prennent les choses à la légère. Et c'est auréolé de cette frivolité que tout le film se passe, ni franchement drôle, ni clairement sombre. Un clair-obscur qui bénéficie d'un cadre idyllique.

Un grand et fiévreux cri d'amour

Ce cadre, c'est Rome. Ville éternelle aux paysages superbes qui émeut et tétanise, une ville lumineuse filmée comme une femme insaisissable dont on est éperdument amoureux. L'acteur principal d'une œuvre qui lui rend hommage dans tout ce qu'elle a de merveilleux et de mystérieux. Et qui influence profondément le caractère des personnages, en adoucissant ou bien au contraire en renforçant la personnalité des uns et des autres. Une ville indomptable, à l'image des hommes qui y vivent et ont la lourde tâche de l'incarner. Une troublante beauté qui écrase les protagonistes et qui les renvoient à leur propre humilité. Elle dégage un charisme qui les dépasse, une sensualité unique qui hypnotise et séduit immédiatement celui qui veut bien la connaître. Une ville ancienne et moderne. Une ville à laquelle le réalisateur a décidé de déclarer un grand et fiévreux cri d'amour. Une star filmée dans ce qu'elle a de plus violent, de plus brut, de plus nue.

Une ville qui incarne parfaitement le caractère des personnages, leurs émotions. Cette mise à nue semble être dictée par le lieu de l'action. Un peu comme si elle devait être faite ici et maintenant, et qu'ailleurs elle n'aurait pas été possible. Au contraire, il y a une influence mutuelle. Rome change les hommes, et les hommes changent Rome. L'un ne fonctionne pas sans l'autre. A l'instar de la bande-son du film, elle oscille entre deux rythmes, celui de l'avenir et celui de la tradition. Comme les personnages, elle est entre deux rives. Jep Gambardella, par exemple, s'interroge sur son passé autant qu'il se demande de quoi son futur sera fait. Il ne porte pas un regard très optimiste sur ses contemporains, pourtant il doit continuer à vivre, à sourire, à rêver, à aimer. Se battre contre ses démons. Ses états d'âmes sont captés par Paolo Sorrentino qui, avec beaucoup de sensibilité, de discrétion, d'acuité et d'humour, se place sur les traces d'un cinéma italien en plein renouveau. 

Des sexagénaires, qui ont oublié d'être sage, en liberté : voilà ce que nous donne à montrer le metteur en scène d'Il Divo. Et mise en scène est le parfait mot, tant ces personnages truculents se servent de Rome comme d'un décor de théâtre dans lesquels ils évoluent à leur guise, parfois jusqu'à l'auto-caricature. En creux, ils nous renvoient aussi un peu à nous, à nos petites manies, nos regrets et nos joies. Des personnages moins éloignés de nous qu'ils n'en ont l'air en fait... 

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