Après
This must be the place, Paolo Sorrentino poursuit son travail
sur les personnages en décalage avec leur époque.
Jep
Gambardella (Toni Servillo) est un journaliste vivant à Rome, un
dandy mondain vieillissant et érudit, dont tout le monde recherche
la compagnie lors des nombreuses soirées auxquelles il participe.
Auteur d'un livre à succès dans le passé, L'appareil humain,
il souhaite se remettre à écrire sans pour autant y montrer une
quelconque volonté. Faisant preuve d'un certain cynisme et d'un
dégoût de lui-même, il vit dans la nostalgie d'un amour de
jeunesse, avec en toile de fond la ville éternelle...
Un
peu ici, un peu ailleurs
Le
réalisateur italien Paolo Sorrentino revient jouer à domicile pour
son nouveau film. Une œuvre originale pourtant très inspirée par
la littérature. Le personnage principal a écrit un livre qui a eu
les honneurs d'un prix littéraire, et parle des écrivains en bon
journaliste cultivé qu'il est. Le film lui-même débute par un
extrait tiré du livre de Céline, Voyage au bout de la nuit.
La Grande Bellezza bénéficie d'un scénario très écrit,
avec des personnages haut en couleur et des dialogues savoureux. Un
scénario qui se suit et se déguste comme les bonnes feuilles d'un
bon classique. Un film qui parle de notre époque sans que pour
autant les différents protagonistes y soient ancrés de façon
nette. Ils y ont un pied, et un autre dans le passé. Un peu ici, un
peu ailleurs, comme pour mieux se moquer d'eux-même et de leurs
contemporains. Un recul parfaitement illustré par son principal
protagoniste, incarnation de l'esprit du film.
En
effet, Jep Gambardella est un personnage mondain et spirituel, un
dandy décadent qui ne se sent pas vraiment à sa place dans notre
époque. Il repense sans cesse à son glorieux passé, au point de
vouloir renouer avec celui-ci en voulant écrire un second livre,
après un premier ouvrage, l'appareil humain, auréolé de
succès et bardé de prix lors de sa sortie. En outre, sa compagnie
est très recherchée, il a de nombreux amis, mais il est
terriblement seul. Il vit au quotidien avec sa mélancolie. A
l'automne de sa vie, il se sent à un tournant et se demande à quoi
il peut encore bien servir. Il a une vision sévère sur ce monde qui
ne sait pas où il va. Mais les fêtes aident à détourner la tête
des véritables problèmes. Les gens s'amusent et prennent les choses
à la légère. Et c'est auréolé de cette frivolité que tout le
film se passe, ni franchement drôle, ni clairement sombre. Un
clair-obscur qui bénéficie d'un cadre idyllique.
Un
grand et fiévreux cri d'amour
Ce
cadre, c'est Rome. Ville éternelle aux paysages superbes qui émeut
et tétanise, une ville lumineuse filmée comme une femme
insaisissable dont on est éperdument amoureux. L'acteur principal
d'une œuvre qui lui rend hommage dans tout ce qu'elle a de
merveilleux et de mystérieux. Et qui influence profondément le
caractère des personnages, en adoucissant ou bien au contraire en
renforçant la personnalité des uns et des autres. Une ville
indomptable, à l'image des hommes qui y vivent et ont la lourde
tâche de l'incarner. Une troublante beauté qui écrase les
protagonistes et qui les renvoient à leur propre humilité. Elle
dégage un charisme qui les dépasse, une sensualité unique qui
hypnotise et séduit immédiatement celui qui veut bien la connaître.
Une ville ancienne et moderne. Une ville
à laquelle le réalisateur a décidé de déclarer un grand et
fiévreux cri d'amour. Une star filmée dans ce qu'elle a de plus
violent, de plus brut, de plus nue.
Une
ville qui incarne parfaitement le caractère des personnages, leurs
émotions. Cette mise à nue semble être dictée par le lieu de
l'action. Un peu comme si elle devait être faite ici et maintenant,
et qu'ailleurs elle n'aurait pas été possible. Au contraire, il y a
une influence mutuelle. Rome change les hommes, et les hommes
changent Rome. L'un ne fonctionne pas sans l'autre. A l'instar de la
bande-son du film, elle oscille entre deux
rythmes, celui de l'avenir et celui de
la tradition. Comme les personnages, elle est entre deux
rives. Jep Gambardella, par exemple, s'interroge sur son passé
autant qu'il se demande de quoi son futur sera fait. Il ne porte pas
un regard très optimiste sur ses contemporains, pourtant il doit
continuer à vivre, à sourire, à rêver, à aimer. Se battre contre
ses démons. Ses états d'âmes sont captés par Paolo Sorrentino
qui, avec beaucoup de sensibilité, de discrétion, d'acuité et
d'humour, se place sur les traces d'un cinéma italien en plein
renouveau.
Des
sexagénaires, qui ont oublié d'être sage, en liberté : voilà ce
que nous donne à montrer le metteur en scène d'Il Divo. Et
mise en scène est le parfait mot, tant ces personnages truculents se
servent de Rome comme d'un décor de théâtre dans lesquels ils
évoluent à leur guise, parfois jusqu'à l'auto-caricature. En
creux, ils nous renvoient aussi un peu à nous, à nos petites
manies, nos regrets et nos joies. Des personnages moins éloignés de
nous qu'ils n'en ont l'air en fait...
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