Entre
comédie sentimentale et sombre fable sociale dans une Afrique
oscillant entre modernité et tradition, un film moins naïf qu'il
n'y paraît.
Grigris
(Souleymane Démé) a 25 ans. Son rêve serait de devenir danseur.
Seulement, il a une jambe paralysée qui l'empêche d'accomplir son
objectif. Alors pour gagner sa vie, il se débrouille comme il peut,
et notamment en tant que photographe. C'est comme ça qu'il rencontre
la jolie Mimi (Anaïs Monory), une aspirante mannequin, dont il tombe
amoureux. Un jour, son oncle tombe gravement malade. N'ayant pas
suffisamment d'argent, il décide de se rapprocher de trafiquants
d'essence pour pouvoir le sauver.
Le
rêve en philosophie de vie
Grigris
est un personnage résolument positif qui a érigé le rêve en
philosophie de vie. Il veut devenir danseur. Sa jambe paralysée l'en
empêche ? Peu importe : il pratique quand même ses drôles de
chorégraphies dans les bars devant un public étonné ou conquis. Et
notamment Mimi, une jeune fille qui désire se lancer dans le
mannequinat. Grigris est également un homme volontaire. Quitte à
transgresser la loi auprès de trafiquants d'essence pour gagner de
l'argent lorsque son oncle tombe malade. Ni inconscient ni naïf, il
connaît les risques pris pour atteindre son but. Malgré un premier
échec, il persiste auprès d'eux car il n'a pas le choix et veut
absolument atteindre son objectif. Il veut faire le bien autour de
lui. Mais il apprend à ses dépends que ce n'est pas si simple et
que, seul, ses moyens de lutte sont limités. Grigris, on le voit
ici, est donc quelqu'un capable de se mouvoir pour lui et pour les
autres.
Il
se meut entre deux univers, celui du «bien», sa famille, et celui
du «mal», les trafiquants. Il s'adapte à son quotidien ainsi qu'à
celui des autres, car ils ont des intérêts communs, même si leur
finalité est différente. Mais dans un cas comme dans l'autre,
Grigris reste un jeune homme intègre, car il fait ça par nécessité.
Il agit. Bouge. Le mouvement est sa vie. On le voit dans sa danse
très personnelle et très expressive. Même son étrange démarche
due à sa jambe devient une chorégraphie en soi. Il danse sa vie. Ce
sont ces mouvements qui attirent l'attention sur lui, qui le font
remarquer, notamment auprès de Mimi. Il a su faire de sa différence,
de son handicap, une force, une qualité. Il attire la sympathie
malgré son anormalité. Il incarne ainsi une Afrique en mouvement.
Une Afrique encore déchirée entre ses traditions et une volonté de
modernité, notamment de la part de sa jeunesse, éprise de libertés
nouvelles pour lesquelles ils se battent, comme Grigris.
Paysage
en mutation
La
ville exprime bien ce changement d'ère.
Elle est filmée dans tout son dynamisme, sa diversité, avec
notamment les bars, lieux de rassemblement de la jeunesse où l'on y
va pour se faire voir, se faire remarquer (C'est ce qui se passe pour
Grigris avec sa danse par exemple). Le paysage africain est en pleine
mutation, en constante et rapide évolution, avec une architecture
stricte, qui peut vite s'avérer oppressante. Ici, elle distille,
dans la nuit, un sentiment de danger. Grigris, dans sa quête de
liberté, lors de sa fuite, quittera cette ville pour les villages
plus traditionnels encore très présents, très ouverts et très
protecteurs. La solidarité des villageois fonctionne, alors que les
villes sont la représentation de la solitude des individus. Elle
intègre encore mal. Deux mondes qui se côtoient sur un même
territoire, comme deux états d'esprit contradictoires contraints de
cohabiter. Finalement, ces villes symbolisent bien l'être humain.
Mahamat
Saleh Haroun montre au travers de son personnage principal un monde
en mouvement duquel l'Afrique n'est pas exclue. Elle veut bouger,
avancer. En ce sens, Grigris incarne l'Africain moderne, épris de
rêves, de libertés. Il est optimiste. Le réalisateur filme, à
travers lui et malgré les sombres réalités, un aspect joyeux du
continent noir. Il donne à voir particulièrement cette jeunesse
porteuse d'espoir. En dépit de sa jambe paralysée, Grigris danse
quand même. Il se dit que tout est possible et fait de son handicap
un atout. Il n'est pas prisonnier de son corps, il le maîtrise.
Comme un signe positif d'une population qui regarde vers l'avenir
avec confiance. Loin du pathos, le réalisateur tchadien donne sa
vision de l'Afrique moderne, son point de vue bienveillant de
territoires devenus adultes et qui s'émancipent tout en n'oubliant
pas ce qu'ils doivent comme part d'équilibre aux cellules
familiales, gardiennes des valeurs et des repères encore essentiels
dans leur histoire.
Grigris
est un film simple mais non dénué de charme. On suit les péripéties
du héros non sans déplaisir, ses amours, ses petites combines pour
trouver de l'argent. Et surtout les scènes dansées, qui apporte des
moments de respiration et de poésie dans une réalisation qui trouve
son équilibre entre le clair et l'obscur. Grigris nous fait passer
un agréable moment autant qu'un voyage au cœur d'une Afrique auquel
Mahamat Saleh Haroun déclare son amour au travers de ce film.
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