mardi 8 octobre 2013

Grigris : Alors on danse ...

Entre comédie sentimentale et sombre fable sociale dans une Afrique oscillant entre modernité et tradition, un film moins naïf qu'il n'y paraît.



Grigris (Souleymane Démé) a 25 ans. Son rêve serait de devenir danseur. Seulement, il a une jambe paralysée qui l'empêche d'accomplir son objectif. Alors pour gagner sa vie, il se débrouille comme il peut, et notamment en tant que photographe. C'est comme ça qu'il rencontre la jolie Mimi (Anaïs Monory), une aspirante mannequin, dont il tombe amoureux. Un jour, son oncle tombe gravement malade. N'ayant pas suffisamment d'argent, il décide de se rapprocher de trafiquants d'essence pour pouvoir le sauver.

Le rêve en philosophie de vie
Grigris est un personnage résolument positif qui a érigé le rêve en philosophie de vie. Il veut devenir danseur. Sa jambe paralysée l'en empêche ? Peu importe : il pratique quand même ses drôles de chorégraphies dans les bars devant un public étonné ou conquis. Et notamment Mimi, une jeune fille qui désire se lancer dans le mannequinat. Grigris est également un homme volontaire. Quitte à transgresser la loi auprès de trafiquants d'essence pour gagner de l'argent lorsque son oncle tombe malade. Ni inconscient ni naïf, il connaît les risques pris pour atteindre son but. Malgré un premier échec, il persiste auprès d'eux car il n'a pas le choix et veut absolument atteindre son objectif. Il veut faire le bien autour de lui. Mais il apprend à ses dépends que ce n'est pas si simple et que, seul, ses moyens de lutte sont limités. Grigris, on le voit ici, est donc quelqu'un capable de se mouvoir pour lui et pour les autres.

Il se meut entre deux univers, celui du «bien», sa famille, et celui du «mal», les trafiquants. Il s'adapte à son quotidien ainsi qu'à celui des autres, car ils ont des intérêts communs, même si leur finalité est différente. Mais dans un cas comme dans l'autre, Grigris reste un jeune homme intègre, car il fait ça par nécessité. Il agit. Bouge. Le mouvement est sa vie. On le voit dans sa danse très personnelle et très expressive. Même son étrange démarche due à sa jambe devient une chorégraphie en soi. Il danse sa vie. Ce sont ces mouvements qui attirent l'attention sur lui, qui le font remarquer, notamment auprès de Mimi. Il a su faire de sa différence, de son handicap, une force, une qualité. Il attire la sympathie malgré son anormalité. Il incarne ainsi une Afrique en mouvement. Une Afrique encore déchirée entre ses traditions et une volonté de modernité, notamment de la part de sa jeunesse, éprise de libertés nouvelles pour lesquelles ils se battent, comme Grigris.

Paysage en mutation
La ville exprime bien ce changement d'ère. Elle est filmée dans tout son dynamisme, sa diversité, avec notamment les bars, lieux de rassemblement de la jeunesse où l'on y va pour se faire voir, se faire remarquer (C'est ce qui se passe pour Grigris avec sa danse par exemple). Le paysage africain est en pleine mutation, en constante et rapide évolution, avec une architecture stricte, qui peut vite s'avérer oppressante. Ici, elle distille, dans la nuit, un sentiment de danger. Grigris, dans sa quête de liberté, lors de sa fuite, quittera cette ville pour les villages plus traditionnels encore très présents, très ouverts et très protecteurs. La solidarité des villageois fonctionne, alors que les villes sont la représentation de la solitude des individus. Elle intègre encore mal. Deux mondes qui se côtoient sur un même territoire, comme deux états d'esprit contradictoires contraints de cohabiter. Finalement, ces villes symbolisent bien l'être humain.

Mahamat Saleh Haroun montre au travers de son personnage principal un monde en mouvement duquel l'Afrique n'est pas exclue. Elle veut bouger, avancer. En ce sens, Grigris incarne l'Africain moderne, épris de rêves, de libertés. Il est optimiste. Le réalisateur filme, à travers lui et malgré les sombres réalités, un aspect joyeux du continent noir. Il donne à voir particulièrement cette jeunesse porteuse d'espoir. En dépit de sa jambe paralysée, Grigris danse quand même. Il se dit que tout est possible et fait de son handicap un atout. Il n'est pas prisonnier de son corps, il le maîtrise. Comme un signe positif d'une population qui regarde vers l'avenir avec confiance. Loin du pathos, le réalisateur tchadien donne sa vision de l'Afrique moderne, son point de vue bienveillant de territoires devenus adultes et qui s'émancipent tout en n'oubliant pas ce qu'ils doivent comme part d'équilibre aux cellules familiales, gardiennes des valeurs et des repères encore essentiels dans leur histoire.



Grigris est un film simple mais non dénué de charme. On suit les péripéties du héros non sans déplaisir, ses amours, ses petites combines pour trouver de l'argent. Et surtout les scènes dansées, qui apporte des moments de respiration et de poésie dans une réalisation qui trouve son équilibre entre le clair et l'obscur. Grigris nous fait passer un agréable moment autant qu'un voyage au cœur d'une Afrique auquel Mahamat Saleh Haroun déclare son amour au travers de ce film. 







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